Les adaptations en prise de vues réelles ont évolué, passant de critiques mitigées à des succès acclamés grâce, entre autres, à une utilisation judicieuse des effets visuels et spéciaux.
L’art de transposer des mangas en productions live-action a longtemps été un terrain miné d’écueils et de déceptions. Toutefois, avec l’évolution de la technologie et une approche plus réfléchie des effets visuels, des succès récents comme One Piece ou Alice in Borderland signalent un tournant décisif. Un tournant que semble emprunter la nouvelle série Netflix Parasyte: The Grey qui se déroule dans l’univers du manga d’Hitoshi Iwaaki, Parasite (ou Kiseijuu en japonais).
Dans cette dernière, des parasites font leur apparition et attaquent les cerveaux de certains humains pour les contrôler. Motivés par un instinct de survie sans faille, ils s’organisent pour mieux exister. L’une de ces créatures essaie de s’emparer du cerveau d’une jeune femme, Su-in, mais n’y parvient que partiellement. Commence alors une cohabitation surnaturelle.
Parasyte: The Grey, une réussite visuelle
Avec Parasyte: The Grey, Netflix évite de décevoir les fans du manga qui pourraient être très exigeants quant à la fidélité du scénario. L’histoire est transposée en Corée du Sud, elle est totalement différente de l’œuvre originale, mais s’inscrit dans le même univers. Les adeptes de la première heure peuvent alors imaginer Shinichi Izumi faire sa vie avec Migi de l’autre côté de la mer du Japon, tout en regardant Jeong Su-in vivre la sienne avec son parasite.
Cependant, un défi de taille se présente, puisque le seul lien entre le manga et l’adaptation live-action est l’existence de ces parasites qui prennent le contrôle des humains et changent de forme. Ce seul lien a alors tout intérêt à être réussi. À la sortie de la bande-annonce, nous avions déjà une bonne indication sur la qualité des effets visuels et les fans s’empressaient d’exprimer leur soulagement. Au visionnage de la série, cette indication est confirmée.
Le show maîtrise avec brio l’alliance entre effets visuels et réalité. La représentation des créatures et de leurs métamorphoses est impressionnante. La faculté qu’a la tête à se diviser en multiples tentacules, les yeux suspendus, et la transformation des tentacules en lames tranchantes sont des exemples d’effets particulièrement réussis. Mais c’est leur intégration avec le réel qui fonctionne bien et rend les scènes de combat mémorables.
Les adaptations cinématographiques de Parasyte de 2014 et 2015, basées sur le manga, ont été largement critiquées pour leurs effets visuels médiocres et des scènes de combat décevantes dans lesquelles il était difficile de s’immerger. Dans The Grey, les mouvements erratiques des acteurs et des actrices sont au service des mouvements de la tête et des tentacules des parasites, tandis que la caméra tremble et se déplace. On a parfois du mal à comprendre ce qu’il se passe, mais cela contribue à augmenter l’intensité des affrontements.
Une autre grande réussite de la série réside dans l’expression glaciale et dénuée de toute émotion des humains sous l’emprise des créatures. Il ne s’agit pas seulement des mouvements bizarres des yeux, mais bien de la capacité des acteurs à enlever toute étincelle avec l’aide d’un maquillage réussi.
Quand les effets visuels sont au service de la réalité
Le superviseur des effets spéciaux de Parasyte: The Grey, Hong Jeong-ho, a probablement compris que les adaptations qui réussissaient étaient celles qui utilisaient les effets visuels avec modération. One Piece en est le parfait exemple, puisque ce portage à l’écran a connu un succès retentissant aussi bien auprès des fans qu’auprès des non-initiés.
Dans la série, les effets visuels sont indispensables pour raconter l’histoire d’un jeune homme aux membres extensibles, confronté à des adversaires aux pouvoirs tout aussi étonnants, tels qu’un clown capable de se découper en morceaux qu’il peut manipuler à distance, ou encore un homme-poisson à la force surhumaine.
Pourtant, le chef décorateur Richard Bridgland a révélé lors d’un entretien avec Collider que les effets visuels n’ont été utilisés qu’avec parcimonie, afin d’enrichir l’univers sans pour autant éclipser son authenticité. « Nous n’avons utilisé les effets visuels que pour étendre le monde au-delà des décors. […] S’il y avait eu trop d’effets visuels, on n’aurait pas eu l’impression d’être dans un monde réel. »
Quelques années plus tôt, en 2021, Alice in Borderland avait déjà établi la norme pour une adaptation réussie en optant pour une approche réaliste des effets visuels. Un des moments les plus marquants de la série est la représentation d’un Shibuya déserté, une prouesse réalisée non pas par des moyens numériques, mais par la reconstruction de cet emblématique quartier tokyoïte, agrémentée de fonds verts stratégiquement placés pour mêler le virtuel au réel. Toute la série est un exemple en matière d’utilisation des effets visuels, prouvant que la qualité visuelle, lorsqu’elle est mise au service du récit, peut considérablement enrichir l’histoire.
Autre exemple convaincant, l’adaptation, toujours sur Netflix, de Yû Yû Hakusho sortie en 2023. Visuellement, la série est une vraie claque, avec des combats impressionnants. Là encore, impossible de faire sans effets visuels, mais la philosophie reste la même : priorité au réalisme. Le superviseur des effets visuels de la série, Ryo Sakaguchi l’assume entièrement et reconnaît que « le meilleur compliment que nous puissions recevoir, c’est lorsque le public ne remarque pas notre travail ».
Apprendre des échecs passés de l’Attaque des Titans et Cowboy Bebop
Le succès est enfin au rendez-vous et pourtant, la route a été longue. Transposer un manga au live-action a souvent été un échec, comme le prouvent Cowboy Bebop ou le film Le Dernier Maître de l’air. Si leurs échecs s’expliquent par des raisons différentes, ils ont comme point commun d’avoir trop misé sur le visuel.
L’adaptation en film de L’Attaque des Titans a été un vrai flop, et on comprend pourquoi. Outre le fait que le film n’arrive pas à rendre hommage à la complexité du scénario du manga, on a réellement la sensation qu’il n’y a rien de réel. Les fonds verts sont utilisés à outrance, les Titans sont très mal faits et le sanglant l’emporte au détriment de l’histoire.
Ce film est assez comparable au Dernier Maître de l’air par M. Night Shyamalan sorti en 2010. Il est tombé dans l’oubli, car il n’avait rien de marquant. Les effets spéciaux n’ont fait qu’accentuer l’aspect caricatural d’une œuvre qui n’avait aucune intention de rester fidèle au matériel d’origine.
Le dessin animé Avatar, le dernier maître de l’air a connu une nouvelle adaptation récemment sur Netflix, et si la série a quelques défauts, elle a su éviter les pièges dans lesquels est tombé le précédent cinéaste. Les effets visuels viennent agrémenter des costumes en accord avec le dessin animé et un casting bien choisi.
Car les effets visuels ne font pas tout. C’est ce que nous a enseigné l’adaptation de Cowboy Bebop. Visuellement, la série Netflix était magnifique, mais elle n’a pas su capturer l’essence du développement des personnages ni restituer l’atmosphère distinctive de la série originale. Sorti à la fin des années 1990, l’anime sortait du lot justement pour son ambiance de Western de l’espace néo-noir explorant la solitude et l’existentialisme avec du blues et du jazz en toile de fond. Rien de tout ça ne transparaît dans la série Netflix.
Les effets visuels sont-ils enfin adaptés aux transpositions live-action ? On dirait bien. Évidemment, la technologie avance et on peut espérer ne plus faire face à des films aussi médiocres que Devilman (2004) ou même Dragonball Evolution (2009). Mais ce qui a réellement changé, c’est l’approche des effets visuels et spéciaux. Ils ne sont plus là pour nous en mettre plein la vue, mais, au contraire, pour s’effacer et se fondre dans le réalisme et dans l’histoire.