Décryptage

Comment la licence GTO a réussi à conquérir la planète

31 mars 2024
Par Samuel Leveque
L'intégrale de “GTO” est disponible sur Netflix depuis le 1er avril.
L'intégrale de “GTO” est disponible sur Netflix depuis le 1er avril. ©Studio Pierrot/Netflix

Depuis plus de 30 ans, les mangas et anime mettant en scène Onizuka, le prof et loubard au grand cœur, continuent de cartonner. L’intégrale de la série débarque aujourd’hui sur Netflix, l’occasion de s’intéresser à ce phénomène unique en son genre.

Imaginée par le mangaka Tōru Fujisawa, la licence GTO semble particulièrement à l’honneur cette année. Outre le retour de l’anime culte de 1999 sur Netflix, le spin-off Paradise Lost continue sa publication française et la télévision japonaise accueille un nouveau drama dans lequel Onizuka, désormais quinquagénaire, continue de redresser les torts dans l’éducation nationale.

Un manga de baston qui révolutionne le genre

En 1991, le jeune mangaka Tōru Fujisawa cherche à percer dans le milieu du manga. Deux ans après avoir quitté son Hokkaido natal pour monter à Tokyo, ce fan de course automobile et de science-fiction, dessinateur autodidacte, peine à rencontrer le succès. Il finit alors par imaginer l’histoire de deux voyous au grand cœur qui enchaînent les galères amoureuses et les bastons dans une petite ville portuaire, un genre alors particulièrement à la mode.

Young GTO le manga culte des années 1990 qui a lancé la licence.©1991 Fujisawa Toru, Kodansha

Ce manga, c’est Shonan Junai Gumi (Young GTO en France). Une œuvre à première vue classique, mais qui se distingue des autres shōnens par plusieurs aspects. Non seulement Fujisawa place son action dans une agglomération moyenne en bord de mer plutôt qu’à Tokyo, mais il parvient aussi à créer des personnages drôles et mémorables, très ancrés dans la pop culture de leur époque. Eikichi Onizuka et Ryuji Danma deviennent alors des icônes du manga des années 1990. Ils voient ainsi leurs aventures de losers magnifiques s’étirer sur plus de 30 tomes, qui sont adaptés plusieurs fois à l’écran et qui étendent même leur univers à travers un spin-off dans les années 2010.

Onizuka, le crétin justicier qui répare les torts de la société japonaise

Après avoir mis un point final à Young GTO en 1996, Fujisawa décide de lui donner une suite, Great Teacher Onizuka, dans laquelle Onizuka, désormais jeune adulte, décide de devenir enseignant en pensant ainsi vivre une vie oisive et facile. Après quelques péripéties rocambolesques, l’éternel puceau bagarreur se retrouve dans un prestigieux lycée privé à gérer une classe de collégiens en apparence tranquille, mais secrètement rongée par des drames et de la violence.

GTO mettait en scène une galerie de personnages ultra-attachants.©Fujisawa Toru, Kodansha

Tout au long des 25 tomes de Great Teacher Onizuka, le talent de Fujisawa pour raconter des histoires s’épanouit pleinement. Outre son humour ravageur, la série brille aussi par sa capacité à affronter frontalement les démons d’une société japonaise en apparence idéale. Violences sexuelles ou éducatives, hypocrisie des adultes, poids écrasant des structures hiérarchiques et autres inégalités sociales sont passés à la moulinette d’un personnage hors du commun : Eikichi Onizuka.

Le héros de GTO est ainsi notoirement bourré de défauts. C’est un satyre, il boit et fume comme un pompier, et il a une culture générale se limitant aux stars du catch et aux pièces automobiles. Mais le génie de la série est aussi de le présenter comme un homme sincèrement révolté par les injustices et ne se satisfaisant pas de l’hypocrisie de ses collègues. Peu soucieux des conséquences, il affronte toutes les difficultés bille en tête pour résoudre les problèmes à la racine. Il nous est présenté comme l’un des seuls profs de son école véritablement à l’écoute des problèmes parfois gravissimes de ses étudiants.

Kamen Teacher, un autre manga de l’auteur, mettant en scène deux de ses passions : les motos et les profs justiciers.©2007 Fujisawa Toru, Shueisha

Le succès de ce Cercle des poètes disparus version baston est monumental : plus de 50 millions d’exemplaires écoulés à travers le monde, des dramas, des films et une adaptation animée par le studio Pierrot qui rencontre un succès monstre lors de sa diffusion française en 2004. Il faut dire que peu d’autres mangas de cette époque vont aussi loin et de manière aussi universelle dans l’analyse des problématiques de la jeunesse. La dénonciation des injustices du monde des adultes, donnant au manga un côté particulièrement jubilatoire et libérateur, est d’une finesse qui n’a pas perdu en pertinence depuis 30 ans.

L’après GTO : des séries dérivées à foison

Après la fin de GTO, Fujisawa tente de se lancer dans d’autres registres, notamment avec les séries d’espionnage Rose Hip Rose et Rose Hip Zero. Mais le succès n’est pas au rendez-vous et, dès 2009, l’auteur reprend ses personnages fétiches dans de nombreux mangas poursuivant les aventures d’Onizuka. Great Teacher Onizuka: Shonan 14 Days, d’abord, dans lequel il se retrouve à encadrer des délinquants juvéniles, puis GTO: Paradise Lost dans lequel il se retrouve en prison.

Ino-Head Gargoyle, l’un des nombreux spin-offs de la licence, met en scène un policier corrompu.©Tôru FUJISAWA / Kodansha Ltd.

Des personnages secondaires bénéficient, eux aussi, de leur moment de gloire : les bandes dessinées Ino-Head Gargoyle et GTR s’intéressent par exemple à d’anciens camarades de gang d’Onizuka, désormais devenus des adultes relativement dysfonctionnels.

Malgré de nombreuses tentatives de s’écarter de la licence GTO, le mangaka en revient donc toujours à ses premières amours, qui continuent d’assurer la fortune de son éditeur principal, la Kōdansha. Les aventures d’Onizuka sont à présent traduites dans une trentaine de langues et sont devenues cultes dans de nombreux pays, le tout au risque de se lasser lui-même, comme en témoignent les nombreux hiatus subis par le manga depuis quelques années.

Une licence vouée à finir en beauté ?

Onizuka et ses amis affrontent donc les torts et les travers d’une société toujours plus cruelle sous son vernis de responsabilité depuis près de 35 ans. Son succès ne s’est jamais démenti, mais Fujisawa a récemment confirmé sa lassitude vis-à-vis de la licence. L’auteur a laissé de côté plusieurs mangas inachevés en raison de son travail sur GTO et souhaite désormais consacrer la fin de sa carrière à la reprise de ces séries oubliées.

Publicité de 2024 pour une banque japonaise mettant en scène le personnage ultrapopulaire d’Onizuka.

La fin de Paradise Lost sera donc une conclusion que l’on espère époustouflante pour les aventures d’Eikichi et sa bande. Mais la licence, elle, semble devoir continuer à rassembler les foules : après un drama en 2020 mettant en scène la jeunesse du héros, c’est donc le téléfilm GTO Revival qui remet la franchise sur le devant de la scène, au Japon, ce 1er avril. L’acteur Sorimachi Takashi y incarne à nouveau Onizuka, rôle qui était déjà le sien il y a 25 ans. Mais, après tout, il n’y a pas d’âge pour être le meilleur prof du monde.

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