Il a fait salle comble, à Paris, au Théâtre du Gymnase, avec son spectacle Félicitations, et tout, et tout pendant plusieurs mois. Le 4 avril 2024, il sera en tournée dans toute la France. L’Éclaireur a rencontré l’humoriste Benjamin Tranié pour parler de son seul-en-scène complètement déjanté qui raconte le mariage « beauf » de Philippe Retcon et Tiffany Ledut. L’un des coups de cœur de la rédaction.
Comment est né le spectacle Félicitations, et tout, et tout ?
Comme pour le premier spectacle, on cherchait, avec Zaid Sahebdin, un lieu unique où il pourrait y avoir plusieurs catégories sociales de personnes. Quand on a commencé à écrire ce second spectacle, je me suis marié la même année. Ça a beaucoup aidé dans le choix du décor. Beaucoup de spectacles ont abordé ce sujet, mais nous voulions le faire à notre sauce, en explorant une vraie galerie de personnages et de situations.
« Je fais vraiment sur scène tout ce qui me met un peu mal à l’aise au quotidien et que je n’arrive pas à faire dans la vie. »
Benjamin TraniéHumoriste
Souvent, les gens qui assistent au spectacle me confient que ça leur rappelle certains mariages auxquels ils ont assisté. Après, j’espère que leur mariage n’a jamais été aussi catastrophique, car en écrivant le spectacle on s’est demandé quel pourrait être le pire mariage. On voulait montrer des mariés insupportables et des personnages secondaires aussi déjantés. On s’est dit que ce serait très amusant d’avoir tout ce que l’on détesterait avoir à son mariage.
Vous êtes-vous inspiré de votre propre mariage ?
J’ai la chance d’avoir eu un très beau mariage [rires]. Après, en termes de mise en scène, on a essayé de reprendre des choses que j’avais à mon mariage. Par exemple, nous avons pris une wedding planneuse pour nous assister. Dans le spectacle, j’étais obligée de lui donner le même nom, c’était un petit hommage. Mais je vous rassure, mon beau-père a fait un discours très simple et très chouette, et le discours de la demoiselle d’honneur était audible ! Heureusement, il n’y a pas eu d’imprévu ni de choses compliquées.
Quel challenge cela représente-t-il d’écrire autant de personnages, de trouver leur univers et leur ton ?
C’était très dur ! Certains personnages sont apparus pendant ou après le rodage, comme le photographe. On l’a testé et ça a fonctionné parfaitement. Par contre, le père de la mariée ne marche que depuis que je joue à Paris. Le côté réactionnaire a beaucoup fonctionné auprès du public parisien. Avant, c’était un personnage très porté sur l’argent et son réseau, mais on en faisait trop. Si ça ne fonctionnait pas à Paris, on aurait dû lui dire adieu. L’écriture a donc évolué pendant plusieurs mois pour trouver certains personnages.
Parmi toute cette galerie de personnages, lequel préférez-vous ?
Dans la vie, je suis quand même quelqu’un d’assez réservé. Je ne suis pas le plus marrant dans ma bande de copains. J’aime bien faire rire, mais je ne suis pas celui qui ose prendre la parole pour faire passer une blague à tout prix. Tous mes personnages sont vraiment à l’opposé de qui je suis au quotidien. Au lieu de faire une thérapie, je me suis demandé : “Comment extérioriser tout ce que je n’arrive pas à faire dans la société ?” Je fais vraiment sur scène tout ce qui me met un peu mal à l’aise au quotidien et que je n’arrive pas à faire dans la vie.
Je pense que le personnage qui s’y prête le plus est le photographe porté sur les femmes mûres. Quand je sors du personnage, je me dis, “Mais qu’est-ce que je fais ?” [rires] Avec lui, on comprend que l’on va aller dans quelque chose d’un peu salace. C’est le moment où il y a un peu un twist dans le spectacle. J’adore le lâcher-prise qu’il permet. Au théâtre et sur scène, j‘adore voir des acteurs devenir fous.
Dans le spectacle vous n’interprétez pas les mariés, pourquoi ce choix ?
C’est une bonne question. On avait une vraie volonté de ne pas présenter le marié pour des besoins de rythme et d’histoire. En revanche, la mariée, ce n’est pas spécialement une volonté, mais à titre personnel, les femmes, ce n’est pas ce que je maîtrise le mieux.
Avec mon coscénariste, nous sommes en train de réfléchir à d’autres choses, à en rajouter. La mariée en fait partie. Je pense, par exemple, ajouter une discussion sur le mariage avec sa grand-mère. On la ferait un peu plus intervenir, sans la voir, avec plus d’émotion. C’est un travail que l’on a déjà fait sur le personnage de l’agent, Claude Bourbier.
Est-ce important pour vous que le spectacle évolue sans arrêt ?
On aimerait trouver, à un moment donné, quelque chose qui serait inscrit dans le marbre, mais je pense que comme tout humoriste, j’aime me mettre en péril. J’aime ajouter des petites blagues de temps en temps. Ça aide aussi le cerveau à être toujours en éveil pendant que l’on joue. Aujourd’hui, on sent que le spectacle est encore très perfectible sur la fin. Il y a plusieurs points de vue sur le mariage que je n’aborde pas et je trouve ça un peu dommage.
On est en train de travailler beaucoup plus là-dessus afin d’apporter plus d’émotion dans le spectacle. On a encore plein de choses que l’on veut ajouter, mais la finalité serait quand même d’avoir un spectacle où ça chipote un peu, sur des petits mots, des petites choses, mais que la mise en scène et du texte soient solides. On espère faire cela très prochainement !
Il y a aussi un autre thème dans le spectacle, mis à part le mariage, c’est la “beaufitude”. Comment la définiriez-vous ?
Tous mes personnages ont en commun de n’avoir aucun filtre. C’est, pour moi, l’élément fort d’un beauf. Ce n’est pas forcément une coupe mulet et des santiags. Ce sont des gens sans filtre et qui, en général, se retrouvent dans un endroit qui n’est pas le leur, avec des gens qui ne sont pas de la même catégorie sociale qu’eux et qui n’ont aucun scrupule à le dire tout en restant là à boire une coupe de champagne. C’est le fait d’être à l’opposé de ce qui nous entoure.
Après ce spectacle, avez-vous pour projet de sortir des personnages et de vous raconter sur scène, avec plus de profondeur justement ?
Je pense que je ne suis, pour l’instant, pas prêt à être comme ça. Je ne suis pas un angoissé de la vie, mais je me dis que ma vie n’est peut-être pas assez intéressante. Après, elle pourrait l’être, car il m’est arrivé deux ou trois choses que je pourrais raconter, mais je ne suis pas assez bon là-dessus pour en faire un spectacle d’une heure.
Dans Félicitations, et tout, et tout, j’ai une partie, à la fin, où je discute avec des gens. J’adore faire ça, mais je ne sais pas si j’arriverais à raconter ma vie dans un seul-en-scène. Est-ce que c’est l’envie de garder mon jardin secret ? C’est fort possible. Est-ce que c’est parce que c’est plus facile de lâcher prise sur scène avec des personnages ? Sûrement !
Le fait d’incarner une multitude de personnages sur scène implique aussi une certaine fraîcheur. Vous revenez aux personnages dans le stand-up, quelque chose que l’on n’avait pas vu depuis longtemps.
C’est vrai ! D’ailleurs, je trouve ça hyper dommage. Notre force, en France, c’est la comédie française, c’est le théâtre. C’est dommage, dans un sens, de se laisser “américaniser”. Les personnages, c’est notre baguette, notre spécialité ! Ceci dit, il y a une génération qui commence un peu à revenir là-dedans.
Quel souvenir gardez-vous de la scène parisienne ? Comment appréhendez-vous la tournée française qui s’annonce ?
Je garde un très bon souvenir de Paris. Le spectacle est maintenant “timé” grâce au public parisien. Il ne laisse rien transparaître. Grâce à ce public exigeant, je sais quand une blague fonctionne ou pas. Le public en dehors de Paris est toujours tellement bienveillant. Alors quand une vanne est bof, ça rigole très gentiment. Ceci étant dit, j’ai toujours eu la chance d’avoir un public qui me porte. Du coup, j’aborde la tournée sereinement, avec beaucoup d’envie ; une envie de revanche par rapport au rodage. J’ai présenté au public de rodage un spectacle qui était vraiment aux prémices de ce qu’il est maintenant. Je suis content de retourner dans les villes où je leur ai montré un bébé qui était en train d’être conçu. Grâce à eux, on peut enfin présenter un spectacle beaucoup plus fort et plus riche qu’avant.
J’aime beaucoup la tournée, je trouve ça vraiment super de rencontrer les gens, de voir les gens de la campagne. Dans ma ville natale, on avait une salle de spectacle et quand les humoristes venaient jouer, j’ai un souvenir magnifique de les voir, après leur spectacle, nous saluer. Je me dis que si j’étais à leur place, je serais hyper content de rencontrer mon public.
Quel est votre dernier coup de cœur culturel ?
Je lis actuellement une bande dessinée qui s’appelle RIP. J’adore le dessin et ça se dévore vraiment comme un film. Chaque tome adopte le point de vue d’un personnage, alors que c’est la même histoire qui est racontée. On apprend plein de choses différentes, c’est très axé sur la mort et sur des meurtres. Je suis très friand de cet univers. Toujours côté BD, j’ai adoré celle de Mourad Winter, Les Meufs, c’est des mecs bien. Puis, comme tout le monde, j’ai adoré Anatomie d’une chute (2023).