Décryptage

10 ans après ses débuts, ce jeu émouvant vient nous rappeler pourquoi il a autant marqué les esprits

22 février 2024
Par Valérie Précigout (Romendil)
“Brothers: A Tale of Two Sons Remake” sort le 28 février sur PC, PS5 et Xbox Series.
“Brothers: A Tale of Two Sons Remake” sort le 28 février sur PC, PS5 et Xbox Series. ©Starbreeze/Avantgarden, 505 Games

Alors qu’il se croyait prédestiné pour le cinéma, Joseph Fares se lance en 2013 dans la création d’un jeu vidéo qui marquera durablement les esprits. Le remake de Brothers: A Tale of Two Sons, conçu pour célébrer les dix ans du projet, nous rappelle à quel point ce titre reste l’un des plus touchants qui soient.

Plus confidentiel qu’un ICO ou même qu’un Limbo, souvent cités en référence parmi les jeux susceptibles de marquer à vie, Brothers: A Tale of Two Sons n’a pourtant pas à rougir de la comparaison. Il dégage un sentiment d’enchantement, de poésie et une émotion qui n’ont que peu d’équivalents dans le domaine vidéoludique.

Les rencontres intimidantes ne sont pas forcément les plus dangereuses.©Starbreeze / Avantgarden, 505 Games

Cependant, trop de joueurs ne connaissent pas encore ce titre multirécompensé. Chercher à le réduire à une catégorie bien définie, telle que l’aventure narrative ou la réflexion, serait d’ailleurs faire totalement fausse route. Car il est unique en son genre et compte bien nous le prouver à nouveau, le 28 février.

Un inoubliable conte de fées

Brothers: A Tale of Two Sons nous raconte une histoire qui, à certains égards, fait directement écho au propre passé de son créateur. Joseph Fares aurait d’ailleurs souhaité publier son jeu sous le simple titre de Brothers, déjà chargé de symboles à ses yeux. Dans une vidéo commentée qui avait été réalisée à l’occasion de la réédition du titre en 2015, le réalisateur évoquait en effet avec émotion le drame qui avait servi d’élément déclencheur à ce projet.

Bien sûr, pas question ici de dévoiler quoi que ce soit concernant le scénario du jeu, mais il est évident que l’homme qui est à l’origine de ce chef-d’œuvre a su insuffler dans sa création une charge émotionnelle qui continue de bouleverser les joueurs, même dix ans après sa sortie.

Le trailer d’annonce du remake de Brothers: A Tale of Two Sons.

Dans sa version originale, le jeu souffrait d’un défaut que certains avaient jugé rédhibitoire : sa durée de vie. Non seulement l’aventure était de courte durée, mais elle était si captivante que beaucoup de joueurs l’avaient terminée d’une seule traite, en une soirée. Il faut dire qu’on imagine mal à quel moment reposer la manette une fois le périple entamé, alors que tant de questions se bousculent dans notre esprit.

Un puzzle narratif à reconstituer

Ancrée dans une ambiance de conte de fées qui vire parfois au cauchemar, l’histoire est celle de deux enfants qui ont perdu leur mère. Les décors sont moyenâgeux, mais on y décèle déjà une part de fantastique assumée. Le jour où leur père tombe gravement malade, les deux frangins n’hésitent pas une seconde à partir en quête d’une mystérieuse eau sacrée capable de le sauver.

En déséquilibre permanent entre le drame et la joie de vivre, le jeu captive immédiatement. Et plus on avance dans le conte, plus il devient impossible de l’abandonner avant son dénouement. D’autant que, dans cet univers de fantasy, il n’est pas rare de croiser des trolls qui côtoient des géants ou d’autres créatures chimériques.

Dans la demeure d’un géant.©Starbreeze / Avantgarden, 505 Games

Dans Brothers, tout repose sur la suggestion. Rien ne nous est réellement indiqué ni expliqué, autant sur le plan ludique que narratif. Le titre se démarque donc déjà par sa volonté de ne pas s’appuyer sur le moindre texte ni le moindre dialogue pour développer son histoire. Les personnes se parlent dans une langue qui nous échappe, mais il suffit cependant de s’impliquer un tout petit peu pour deviner le sens de leurs paroles.

C’est l’un des nombreux éléments qui font penser à ICO, à l’instar de ces vieux bancs sur lesquels on peut s’installer pour admirer le paysage en duo. Les deux frères ne peuvent peut-être pas se tenir la main, mais ils sont en réalité capables de bien plus de choses. L’union fait la force ici, et rien ne semble pouvoir être accompli sans que l’on en vienne à combiner les capacités des deux personnages.

La coopération réinventée

À partir de là, Joseph Fares et sa petite équipe de développeurs auraient pu se contenter de nous livrer un titre certes bouleversant sur le plan narratif, mais beaucoup plus conventionnel sur le plan ludique. Ce n’est pas le cas, bien au contraire. Tout repose justement sur l’idée de nous faire ressentir la complémentarité innée entre les deux frères en nous obligeant à les contrôler simultanément.

Dans le remake de 2024, tout comme dans la version Switch sortie en 2019, il est possible de jouer à deux en coopération. Même si c’est un atout logique pour un jeu de ce type, cela n’était pas dans l’intention première des concepteurs. Car c’est bien le contrôle simultané des deux personnages qui sert de ciment au système de jeu.

Vidéo comparative entre la version originale de 2013 et celle de 2024.

Pour rendre ce concept possible, les créateurs de Brothers ont limité les actions des deux héros au strict minimum : bouger et agir. Chacun des deux sticks directionnels est affecté à l’un des deux frangins qui disposent aussi d’un bouton d’action respectif. Mais, en réalité, ce simple bouton autorise une très grande diversité d’interactions possibles.

En fonction de la personne ou de l’objet devant lequel ils se trouvent, les deux frères agissent très différemment. Cela génère un sentiment de surprise constant pour le joueur qui ne sait jamais à l’avance comment les personnages vont réagir. Surtout, la simplicité d’un tel maniement rend possible le contrôle des deux frères en parallèle, sans que cela devienne une vraie prise de tête.

Un mode coopératif à deux joueurs en local avait été ajouté pour la première fois en 2019 sur la version Switch.©Starbreeze / Avantgarden, 505 Games

Tout le monde peut jouer à Brothers, même les plus réfractaires aux jeux vidéo. Les énigmes mises en place reposent sur la logique et ne cherchent pas à nous mettre de bâtons dans les roues. On avance vite sans pour autant avoir jamais l’impression de faire deux fois la même chose. Les niveaux se révèlent aussi étonnamment courts et ne génèrent aucun sentiment de lassitude.

Mais l’ambiance guillerette des débuts laisse rapidement place à des scènes bien plus sinistres. Ce titre nous marque aussi par ces moments d’étrangeté que l’on traverse sans réellement vouloir s’y attarder. La direction artistique très poétique éclipse totalement le faible budget dont disposait le jeu à sa sortie en 2013. On ne retient que la magie, l’angoisse et le désir de survie qui anime en permanence les deux frères.

De nouveaux secrets à découvrir

Une autre grande réussite du jeu que l’on doit à Joseph Fares est d’avoir su intégrer des scènes facultatives qui font bien plus que débloquer de simples trophées ou succès. Il est presque regrettable que ces moments-là ne soient pas imposés dans le déroulement de l’aventure tant ils montrent à quel point le souci du détail est précieux dans Brothers.

Le réalisateur souhaitait à tout prix éviter que l’obtention des trophées et succès se résume à une chasse aux collectibles éparpillés au sein du jeu. Il a donc eu l’idée de multiplier les détours menant à des séquences amusantes ou enrichissantes, mais à côté desquelles il est très facile de passer si on avance trop rapidement. Le fait de pouvoir relancer les différents chapitres indépendamment, une fois l’histoire terminée, est une bonne occasion de découvrir l’ensemble de ces subtilités.

Ces deux-là attendent sans doute impatiemment notre retour.©Starbreeze / Avantgarden, 505 Games

Porté par une musique onirique qui colle merveilleusement à l’ambiance du jeu, Brothers redouble d’ingéniosité pour exploiter de manière inventive son gameplay si particulier. Contrôler deux personnages différents en même temps permet toutes les fantaisies, à condition de faire preuve d’un peu d’imagination.

Cela se traduit autant par des moments grisants à deux (comme ce fameux vol en deltaplane) que par des scènes acrobatiques saisissantes lorsque les deux frères essayent de gravir une falaise alors qu’ils sont attachés par les pieds. Même les rares boss présents dans le jeu impliquent de nouvelles façons d’exploiter la complémentarité innée entre les deux héros.

Certaines astuces de gameplay frôlent le génie.©Starbreeze / Avantgarden, 505 Games

Tout s’accorde si bien qu’une fois parvenus à la dernière étape du voyage, nos mains ne peuvent plus fonctionner seules, chaque frère étant devenu indispensable pour l’autre… Ce qui donne lieu à une dernière trouvaille de génie dont Joseph Fares avoue avoir été particulièrement fier. Rien que pour cet instant-là, le jeu vaut la peine d’être (re)découvert.

Pour ne jamais oublier

Le remake conçu pour célébrer les dix ans de ce chef-d’œuvre est une occasion unique de le découvrir pour tous ceux qui n’ont pas connu l’original. Mais nul doute que les connaisseurs seront les premiers à se jeter dessus, ne serait-ce que pour revivre l’une des histoires les plus inoubliables de l’industrie vidéoludique.

Cet opus profite d’une réalisation entièrement retravaillée grâce à la puissance de l’Unreal Engine 5, tout en gardant une approche résolument fidèle au jeu d’origine. La présence d’un mode Coopératif permet de s’y adonner à deux joueurs en local, pour une expérience partagée et accessible à tous. On ne peut que se féliciter de voir que la technique est désormais à la hauteur de ce projet qui souffrait à l’époque de moyens assez limités.

Trailer de gameplay de Brothers : a Tale of Two Sons Remake.

Même les musiques ont été réorchestrées à l’aide d’un véritable orchestre en live, alors que l’original nous donnait déjà des frissons sur le plan sonore. Bien sûr, la remise à plat de Brothers: A Tale of Two Sons a aussi permis à l’équipe de développement d’inclure de nouveaux passages totalement inédits et davantage de secrets à dénicher.

Avant de participer à la création de A Way Out en 2018 et surtout à celle de It Takes Two (élu jeu de l’année aux Game Awards 2021), Joseph Fares avait sans doute déjà offert sa contribution la plus personnelle au monde du jeu vidéo en 2013 avec Brothers.

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