L’iPod a fêté ses 20 ans cette semaine et le baladeur numérique occupe une place majeure dans l’histoire d’Apple. Celui qui fut présenté comme « un appareil numérique qui n’est pas un Mac » a changé la manière d’écouter de la musique et ouvert la voie à l’iPhone. Retour sur l’histoire emblématique d’un produit pas comme les autres.
Aujourd’hui, nous avons décidé de vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. D’une époque où Google a trois ans, Yahoo est encore un géant et Facebook n’existe pas. Internet est encore balbutiant – notamment en France, où il attendra le milieu des années 2000 pour définitivement décoller – et la musique numérique gagne en popularité. Depuis la fin des années 1990, la plateforme Napster participe à la révolution numérique dans la musique en permettant à ses utilisateurs d’échanger facilement des chansons. Le service de P2P est resté dans l’histoire en participant à la démocratisation des échanges sur Internet et du MP3, avec Kazaa ou encore eMule. Les fabricants de graveurs CD connaissent également leurs heures de gloire durant cette période.
Pendant ce temps, Apple est loin d’être le mastodonte que l’on connaît aujourd’hui. La marque à la pomme sort d’une période délicate à la fin des années 1990, frôlant même la faillite en 1997. Le retour de Steve Jobs aidera la Pomme à retrouver des couleurs avec l’arrivée de l’iMac en 1998, un Macintosh toujours présent au catalogue. Les nouveaux logiciels se succèdent et la firme lance la première version de Mac OS X en mars 2001. La 18e version majeure du système d’exploitation, macOS Monterey, est disponible depuis la fin du mois d’octobre 2021. Cette période pose les bases de la multinationale américaine que nous connaissons aujourd’hui, mais il manquait encore quelque chose à Steve Jobs pour faire définitivement grandir sa société.
La genèse
Apple va mieux au moment où Steve Jobs s’apprête à monter sur scène, ce 23 octobre 2001, pour présenter ce nouvel « appareil numérique qui n’est pas un Mac ». À ce moment-là, l’emblématique patron de la firme californienne ne sait pas encore que son petit appareil qui tient dans une poche ne changera pas seulement la manière d’écouter de la musique, mais qu’il bouleversera l’intégralité de l’industrie musicale. Avant de révolutionner cet univers, Steve Jobs a profité de sa passion pour la musique pour réfléchir à l’iPod avec l’intime conviction que les « lecteurs MP3 » alors disponibles sur le marché étaient « nuls ». Un sentiment partagé par les équipes d’Apple, dont Phil Schiller et Jon Rubinstein, qui participeront activement à la naissance du projet. « Ils étaient vraiment pourris (…) ils contenaient 16 malheureux morceaux et on ne savait pas comment s’en servir », explique Phil Schiller, figure emblématique de la marque à la pomme, dans la biographie de Walter Isaacson consacrée à Steve Jobs.
Comme souvent dans son histoire, Apple n’est pas le premier à innover. La musique portable avait déjà connu plusieurs vies grâce aux Walkman ou Discman de Sony et la numérisation étaient déjà en marche avec le « MP3 ». La société californienne avait même pris du retard en préférant miser sur la vidéo ou la photographie numérique, deux segments prometteurs, plutôt que sur l’audio et les graveurs. L’iMac aura finalement droit à un graveur CD et Steve Jobs reconnut son erreur. « Je me sentais bête. Je pensais que nous avions raté le coche. Nous avons dû travailler dur pour rattraper notre retard », admettra-t-il quelques années plus tard au magazine Fortune.
Exigeant et pressé, le patron d’Apple avait déjà d’autres ambitions et l’aventure iPod est intimement liée à celle de SoundJam MP. Ce logiciel, racheté en 2000 par Apple, permettait de gérer sa musique depuis un Mac. Imaginé par trois anciens de la firme de Cupertino (Jeff Robbin, Bill Kincaid et Dave Heller), l’utilitaire est à l’origine d’iTunes et aidera Apple à imaginer son baladeur, puis à dominer le marché de la musique dématérialisée avec l’iTunes Store. En quelques mois, la marque veut concrétiser son projet en lançant son baladeur et s’attache les services de Tony Fadell. D’abord consultant, celui qui est régulièrement présenté comme le père de l’iPod avait déjà tenté de mettre au point un baladeur équivalent et de vendre son idée à quelques grands noms du secteur. C’est finalement Apple qui lui tendra la main, non sans le forcer à rejoindre l’entreprise. Une initiative qui jeta un froid entre celui qui créera Nest (racheté par Google) quelques années plus tard et Jon Rubinstein.
Les deux hommes seront décisifs dans le développement, au même titre que Phil Schiller. Sur le plan matériel, le petit baladeur avait besoin de se distinguer de la concurrence et l’un des éléments phares de l’iPod est la présence d’un minuscule disque dur. Ingénieur chez Apple, Jon Rubinstein jouera un rôle déterminant pour rassembler les pièces d’un puzzle alors connu sous le nom de projet P68. Il ira notamment négocier avec Toshiba, qui venait de mettre au point un minuscule disque dur de 4,5 cm, sans savoir quoi en faire. L’iPod venait de trouver ce qui allait lui permettre de stocker 5 Go de données, soit environ un millier de morceaux. Tony Fadell, trouvait là un projet similaire à son idée de base, dirigera le projet. Toutefois, c’est à Phil Schiller que revient l’idée de la molette qui participera au succès du baladeur. Fidèle à ses convictions, Steve Jobs demandera à ses troupes de « simplifie[r] » au maximum l’expérience utilisateur. Il trouvera également son nom : l’iPod.
Créé en quelques mois seulement, l’iPod sera loin du prototype dévoilé par Panic à l’occasion de son 20e anniversaire. Ce dernier est particulièrement imposant et plein de vide, comme l’a expliqué Tony Fadell sur Twitter. « Il s’agit d’un prototype d’iPod P68/Dulcimer que nous avons (très rapidement) réalisé avant que le design du produit final ne soit prêt. Nous ne voulions pas qu’il ressemble à un iPod pour des raisons de confidentialité – l’emplacement des boutons, la taille – il y avait surtout de l’air à l’intérieur – et la roue fonctionnait (mal). » Authentique, il était fonctionnel, mais évidemment très loin des exigences de Steve Jobs.
« Je l’ai là, dans ma poche [l’iPod]. Cet extraordinaire petit appareil peut contenir mille chansons et se glisse tout simplement dans la poche d’un jean », dira le patron d’Apple lors de la présentation de son baladeur.
Le succès
Si l’iPod est considéré comme un produit incontournable, le succès ne fut pas immédiat. À ses débuts, la firme avait fait le choix d’utiliser une connectique FireWire. Longtemps disponible sur les Mac, cette connectique était plus rapide, mais moins populaire que la norme USB de l’époque. De plus, l’iPod ne fonctionnait qu’avec les Mac, qui étaient loin de leur popularité actuelle et n’ont jamais rivalisé avec Windows en termes de parts de marché. Il faudra attendre les premières déclinaisons, la deuxième et la troisième génération, pour voir le géant de Cupertino peaufiner sa copie et s’ouvrir vers de nouveaux horizons.
La suite donnera raison aux décisions d’Apple, qui rendront son baladeur incontournable, avec des choix forts pour lutter contre le piratage. Ainsi, il était impossible de transférer des morceaux depuis l’iPod vers un ordinateur tandis qu’iTunes – lui aussi disponible sur Windows – était l’occasion de toucher un nouveau public.
Pendant plus d’une décennie, l’iPod connaîtra un succès important avec un pic de ventes en 2008. Le baladeur savourera d’ailleurs une période clé entre 2007 et 2010, dépassant chaque année les 50 millions d’unités écoulées.
Les différents iPod
Ce statut d’indétrônable baladeur numérique s’explique par les évolutions régulières qu’Apple a apportées à son appareil. Fort de l’engouement pour son petit produit, Apple le déclinera sous différentes formes dans les années 2000. Les nouvelles gammes sont pensées pour répondre aux nouveaux usages ou besoins, permettant à Apple de faire grossir les ventes jusqu’à offrir à l’iPod une ligne indépendante dans ses bilans financiers.
L’iPod d’origine connaîtra six versions différentes. De 2001 à 2007, il a évolué avec son époque en s’offrant des contrôles tactiles en 2003 ou un écran couleur en 2004. Plus fin, il verra surtout sa capacité de stockage progresser jusqu’à 160 Go pour laisser la possibilité d’emporter tous les morceaux. Appelé « Classic » à la fin de sa vie, celui qui est parfois considéré comme le « vrai » iPod disparaîtra en 2014 du catalogue d’Apple.
En 2004 et 2005, Apple ajoutera un modèle plus compact appelé iPod mini. Cette version était plus abordable et plus colorée que le baladeur d’origine, mais sa quantité de stockage était limitée à 4 Go et 6 Go. Sa courte durée de vie permit à Apple de multiplier les déclinaisons, avec le lancement du nano qui connaîtra une carrière bien plus longue.
De 2005 à 2012, ce modèle s’imposera comme un incontournable avec sa mémoire flash pour le stockage. L’iPod nano connaîtra plusieurs évolutions en devenant plus compact en 2007, avec l’intégration d’un écran de 2 pouces. Un nouveau changement de format aura lieu l’année suivante et Apple reverra intégralement sa copie avec la sixième génération. Avec son format carré, cet iPod nano lancé en 2010 est le précurseur de l’Apple Watch.
Il partage aussi des points communs avec l’iPod shuffle, le plus minimaliste des baladeurs de la pomme. Comme un pied de nez à la concurrence, ce modèle a parfois ressemblé à une clé USB et la troisième génération a même tenté de faire disparaître ses boutons. Ces derniers étaient déportés sur le casque, permettant à l’iPod shuffle de ne proposer qu’un petit interrupteur.
Dernier modèle à avoir vu le jour, l’iPod touch est présent au catalogue depuis 2007. En 15 ans, cet iPod n’a pas connu autant d’évolutions que l’iPhone dont il s’inspire fortement. Son design est proche de celui des iPhone d’ancienne génération et Apple lui a offert quelques nouveautés en 2019, portant son stockage à 256 Go.
À lire aussi
L’iPhone, l’iPod ultime
En 2007, Apple révolutionne le marché des téléphones intelligents en présentant l’iPhone. Alors au sommet de sa forme (le pic des ventes a lieu en 2008), l’iPod voit débarquer l’appareil qui précipitera sa chute. Le smartphone hérite des fonctionnalités du baladeur et en apporte de nouvelles qui en font, encore aujourd’hui, un outil incontournable. Les deux produits cohabitent toujours, mais l’iPhone a dépassé son grand frère dès 2011 sans jamais être inquiété.
Atteignant des sommets, le succès du smartphone poussera Apple à supprimer la ligne réservée à l’iPod dans ses bilans financiers en 2014. Le géant californien venait alors de vendre 14,4 millions de baladeurs, contre 169,2 millions d’iPhone. Malgré cela, l’iPod est toujours présent dans le catalogue d’Apple avec l’iPod touch.
À la surprise générale, le baladeur a même eu droit à une mise à jour en 2019, en reprenant les bases de l’iPhone. Il est aujourd’hui le seul représentant d’une gamme qui se serait écoulée à environ 400 millions d’exemplaires (tous modèles confondus) en 12 ans. Un succès précieux pour Apple, qui a en partie forgé son image sur le succès de son petit baladeur.
À lire aussi
Vingt ans après, l’esprit de l’iPod demeure dans l’univers Apple
Vingt ans plus tard, l’iPod apparaît pour beaucoup comme un lointain souvenir. Pourtant, il est toujours présent dans l’univers d’Apple et continue d’inspirer les produits de la marque. Outre son héritier naturel, l’iPhone, la marque à la pomme continue d’être présente avec succès dans l’univers de l’audio via ses AirPods. Les écouteurs et le blanc d’origine de l’iPod et de ses écouteurs, mis en avant dans les pubs dédiées au baladeur, sont plus que jamais présents. S’ils ont coupé le fil, les AirPods Pro ou AirPods 3 n’ont pas oublié l’emblématique baladeur.
À l’heure des wearables, l’Apple Watch peut difficilement nier avoir été inspiré par l’iPod nano. La sixième génération du petit baladeur était carrée et les accessoiristes n’ont pas hésité à le transformer en montre. La Nano Watch était née et Apple lui a même offert le cadran Mickey Mouse, que l’on a ensuite retrouvé sur la célèbre montre. À l’inverse, certains étuis peuvent transformer une Apple Watch en iPod.
Derrière ces succès se cache la notion de « pod » qui a donné son nom à l’iPod. Proposé par le publicitaire Viennie Chieco, le nom « iPod » fait référence aux pods spatiaux qui s’arriment au vaisseau mère. Dans l’esprit de Steve Jobs au début des années 2000, le Mac apparaissait comme l’outil ultime pour piloter tous les petits appareils. Quelques années plus tard, c’est l’iPhone qui a repris ce rôle avec les AirPods ou l’Apple Watch. En attendant les lunettes Apple ?