Décryptage

Naruto, Goldorak, Jujutsu Kaisen… Pourquoi autant de jeux vidéo sont tirés d’anime ?

14 novembre 2023
Par Vincent Oms
“Naruto X Boruto Ultimate Ninja Connections” célébre les 20 ans de l'anime.
“Naruto X Boruto Ultimate Ninja Connections” célébre les 20 ans de l'anime. ©Bandai Namco

Avec des sorties rapprochées à venir, le succès des mangas et anime en jeu vidéo ne se dément pas. De quoi s’interroger sur le phénomène.

Naruto X Boruto Ultimate Ninja Storm Connections le 17 novembre, Goldorak : le festin des loups le 14 novembre, Jujutsu Kaisen Cursed Clash le 1er février 2024… Ces trois grosses sorties vidéoludiques adaptent des licences de manga et d’anime prestigieuses. S’adressant à des publics différents, elles nous interrogent sur ce phénomène récurrent depuis des années : pourquoi ce mariage de raison entre jeux vidéo et anime s’est-il transformé en une idylle indestructible ?

Pour y répondre, il faut se replonger aux origines de cette rencontre, d’abord assez complexe à identifier. En effet, les débuts de l’utilisation de licences connues issues de la bande dessinée ou de l’animation japonaise sont un peu flous, pour plusieurs raisons. Les débuts du jeu vidéo grand public s’étalent sur la longue période des années 1980, des premiers micro-ordinateurs familiaux aux consoles connues. À cette époque, le média n’en est qu’à ses balbutiements et les ayants droit des stars de la télé et des librairies, tels que la Toei, se montraient peu exigeants. Résultat : les premières tentatives sont assez catastrophiques.

Des débuts flous et pas fous

Quel a été le premier manga ou anime adapté en version pixels ? Devant cette question, les historiens du jeu vidéo semblent sécher. D’abord parce que certains exemples sont restés confinés sur l’archipel, les licences n’étant pas encore connues à l’étranger. On pense notamment à Macross (Robotech chez nous) qui a forcément eu droit à des shoot’em up sur des machines antiques et typiquement japonaises.

Mais qu’importe, puisque la construction de ces premiers pas reste la même (ou presque) : transformer un jeu lambda, parfois médiocre, en lui donnant l’habillage d’un manga ou d’un anime connu. Sur la Nintendo NES, les deux premiers exemples marquants sont Dragon Ball et Les Chevaliers du Zodiaque, pour des résultats malheureusement catastrophiques.

Les Balles du dragon

Ces deux titres ont marqué des débuts compliqués, d’autant plus visibles du point de vue hexagonal que le succès chez nous de ces deux licences a conduit les distributeurs à traduire l’intégralité de ces titres en français, une rareté en Europe. Mais la qualité de la traduction, particulièrement de Dragon Ball, avec quelques pépites comme les « balles du dragon » remplaçant les « boules de cristal », ou « l’Hermite » désignant Tortue Géniale, donnaient le ton d’un Zelda-like plus que médiocre.

©Bandai Namco

Idem pour Saint Seiya, qui porte les stigmates d’un même traitement : une simple refonte graphique d’un jeu générique. Une évidence d’autant plus facile à vérifier que nombre de ces jeux ont été rebaptisés et leurs personnages remplacés selon les territoires.

En France, Ken le Survivant a connu deux jeux anonymes, Black Belt et Last Battle sur consoles Sega, amputés de leur licence japonaise. Un régal pour les amateurs de rétrogaming aujourd’hui, qui peuvent comparer les versions en riant. Mais les jeunes joueurs, victimes de ces pratiques, riaient beaucoup moins à l’époque.

©Bandai Namco

Des intérêts (enfin) convergents

Avec l’explosion des shonens à l’international, les licences phares des années 1990 deviennent des têtes de gondoles recherchées. Dragon Ball, Ranma et consorts deviennent des jeux essentiels dans le paysage vidéoludique. Les capacités des consoles de la génération d’alors, dont la Super Nintendo, font la démonstration d’une évidence : jeu vidéo et anime ont tout pour s’entendre. Surtout, les ayants droit ont compris que la presse et les critiques ne tolèrent plus les erreurs coupables du passé.

©Shōgakukan / Ocean

Conséquence quasi immédiate : les licences connues, Dragon Ball en tête face au phénomène Street Fighter, deviennent peu à peu des références, et non plus des ersatz des classiques du média. Cette montée en puissance est aussi motivée par l’explosion des mangas à l’international. Devenus une culture à part entière, ils ne peuvent plus se contenter de portages ratés.

Ça tombe bien, les joueurs ne veulent plus d’adaptations calamiteuses. Les palettes de couleurs des consoles de l’époque font honneur aux anime et les moyens donnés aux studios leur permettent d’atteindre leurs objectifs. Et ce n’est que le début.

L’ère moderne qui change tout

Assurés d’un succès appuyé par cet angle plus positif, mangas, anime et jeux vidéo se lient pour de bon. Les progrès techniques accompagnent cette relation, croissant au même rythme que les spectateurs de ces médias. Après une 2D plus colorée, la 3D permet peu à peu de retranscrire au mieux les shonens populaires.

Notamment avec un style graphique qui change tout : le cel shading, effet visuel qui donne un aspect crayonné aux simples polygones. La révolution est en marche, bien qu’on puisse regretter un travers, qui veut que les jeux de combats soient le genre de prédilection. De Dragon Ball à Naruto, les exemples sont nombreux et appuyés par des chiffres forts.

La corne d’abondance

Goku et sa bande ont longtemps animé les débats, mais l’arrivée de Naruto a considérablement changé le paradigme. Malgré un taux de distribution assez faible des nombreuses productions vidéoludiques japonaises du ninja de Konoha, la réussite commerciale a vite créé une vocation. Volonté qualitative, choix des meilleurs studios et intérêt des éditeurs phares ont fait de la retranscription des mangas et des anime un enjeu stratégique.

Cet engouement est marqué par des chiffres vertigineux. En 2022, Bandai Namco annonçait avoir franchi la barre des 12 millions d’exemplaires vendus pour Naruto Shippuden Ultimate Ninja Storm 4. Le fruit d’un long investissement, qui a fait de Naruto non seulement un rival des jeux de combat traditionnels tels que Tekken, mais surtout le plus gros succès pour une telle adaptation avec plus de 30 millions d’exemplaires vendus au total. Aujourd’hui, il est impensable d’imaginer un anime ou un manga populaire sans son pendant vidéoludique. Au point, enfin, de varier les genres.

Fidélité et simplicité

Difficile de marier le jeu de combat, locomotive durant de longues années des licences animées, avec des œuvres incompatibles. Qu’importe, de nombreuses tentatives essaient, avec un bonheur relatif, d’adapter des tendances à la sauce jeu vidéo. L’Attaque des Titans, One Piece et consorts en sont la plus belle démonstration, entre jeu d’action brut et jeu de rôle.

Le futur titre s’inspirant de Spy x Family démontre lui aussi ce souci de cohérence avec le matériau initial, faisant de la petite Anya l’héroïne d’un jeu basé sur la réflexion. Qu’il semble loin le temps des place holders.

En parallèle, transposer les anime en jeu vidéo est devenu d’une simplicité déconcertante, notamment grâce à l’usage du cel shading, mais pas uniquement. Le design simple et épuré des personnages permet de les modéliser sans gros efforts et de se concentrer sur la jouabilité, des effets spéciaux de plus en plus spectaculaires, voire des mondes ouverts dans le cas d’un RPG.

Une simplicité qui, ajoutée aux excellentes performances sur le marché de ces titres, en fait un incontournable pour les développeurs tels que Bandai Namco. Cette belle histoire d’amour, en dépit de débuts compliqués, n’est donc pas près de s’arrêter.

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Article rédigé par
Vincent Oms
Vincent Oms
Journaliste