Diffusé sur ADN dès ce 31 octobre, Le Collège noir est la série d’animation idéale à binger pour Halloween. Inspirations, autofiction, terreurs d’enfant… Le créateur du show, Ulysse Malassagne, nous a confié les secrets de cette toute nouvelle production.
Adaptée de votre BD éponyme, cette série d’animation met en scène Ulysse et ses amis, qui vivent des aventures extraordinaires au cœur des montagnes du Cantal. À quel point votre récit est-il autobiographique ?
Quand j’étais au collège, j’avais déjà pris l’habitude de me dessiner avec mes potes et de nous mettre en scène dans de petites histoires. Je voulais transformer toutes nos aventures quotidiennes en aventures épiques. Cette partie de l’anime est donc vraie. Les personnages sont aussi tous inspirés de proches et de connaissances, et les lieux sont réels. Ce sont ceux dans lesquels je m’amusais quand j’étais gamin.
Au-delà de ça, il y a forcément tous les éléments horrifiques, que j’ai imaginés comme une métaphore du passage à l’âge adulte – même si certains éléments fantastiques sont inspirés de choses étranges que j’ai pu voir dans la forêt ou entre deux vieilles pierres dans une église. Mais j’aime bien l’idée que cette frontière entre le réel et la fiction reste floue.
Comment s’est déroulée votre enfance dans le Cantal ? Tout cet espace ne vous conférait-il pas un terrain de jeu infini ?
C’était exactement ça, un grand terrain de jeu. Le personnage d’Ulysse le dit dans la série : c’est un endroit hors du temps qui pourrait être le décor d’une histoire d’heroic fantasy, de chevaliers, ou même de monde post-apocalyptique dans lequel la nature aurait repris ses droits. C’est un paysage très vert, avec beaucoup de forêts, de montagnes et de vieilles pierres. C’est un lieu qui se prête à l’imagination. Quand j’étais jeune, je créais des centaines d’aventures dans ce décor.
Je dois avouer que c’est aussi une petite bulle réconfortante. Le lieu est quasiment inaccessible (c’est très dur d’y aller en train) et coupé de la France. On a l’impression d’être au bout du monde, dans ces montagnes. Je le voyais comme un cocon dans lequel je me sentais bien.
Avez-vous, vous aussi, assisté à des phénomènes paranormaux dans ces paysages montagneux ?
Dans la forêt, j’ai aperçu des lumières étranges qui auraient pu être des esprits, et entendu des bruits mystérieux. Cependant, ça n’a rien d’étonnant. Tous ces lieux anciens regorgent d’histoires similaires et inquiétantes. Il suffit d’un tout petit son ou d’une toute petite lueur pour que l’imagination s’emballe. Un rien peut devenir un esprit ou une créature. Quand j’étais gamin, j’avais envie d’y croire, donc je me persuadais que la forêt était remplie de fantômes et de monstres.
Ces créatures sont omniprésentes dans Le Collège noir. Représentent-elles vos peurs d’enfants ? Laquelle vous effrayait le plus ?
C’était clairement la sorcière. Chaque monstre est inspiré de légendes ou de créatures du folklore français. Il y a donc la sorcière, qui est une figure incontournable, mais aussi le croquemitaine, dont le nom varie en fonction des régions. Toutes ces entités ont été inventées pour délivrer des enseignements aux enfants.
Par exemple, on nous disait de ne pas nous approcher du puits pour ne pas nous faire manger par le monstre qui s’y cachait, mais, en réalité, nos parents voulaient juste qu’on évite de tomber dedans. De la même manière, les monstres de ma série sont des métaphores qui représentent les difficultés auxquelles seront confrontés ces adolescents quand ils grandiront – comme le magicien misogyne dans la bibliothèque.
Comment avez-vous vécu cette période de l’adolescence, ce passage de l’enfance à l’âge adulte ?
Je l’ai vécu comme le personnage d’Ulysse. J’aimais me raconter des histoires dans ma petite campagne, et j’aurais bien aimé y rester (rires). Je n’ai pas l’impression qu’il y a une rupture nette, et qu’on devient un adulte du jour au lendemain. C’est plus un apprentissage, durant lequel on commence à se poser des questions et à réfléchir au sens de la vie. Après, je dois avouer que j’ai eu une adolescence particulièrement heureuse. J’étais très heureux dans mon collège.
C’était un établissement paumé dans les montagnes avec une pédagogie un peu pionnière et expérimentale, façon Montessori. Ils avaient créé leur propre manière d’enseigner. On était clairement sur quelque chose de très hippie, où on tutoyait les professeurs et on était très impliqués dans la vie du collège. Ça nous a responsabilisés très tôt, contrairement aux systèmes plus classiques dans lesquels les élèves subissaient un peu les cours. C’était un super cadre pour grandir, et j’en garde un très bon souvenir.
Ça se ressent dans Le Collège noir. Les protagonistes sont sains et n’ont pas de mal-être profond, contrairement à d’autres personnages de fiction du même âge.
Je tenais effectivement à ce que mes personnages soient stables et sains, car leur mal-être est plutôt symbolisé par les monstres et les horreurs qui les entourent. Je voulais contraster ces créatures sombres avec des protagonistes courageux et positifs. Finalement, la morale, c’est ça : tous ces monstres peuvent être vaincus ; on peut se battre en restant positif.
Quelles œuvres vous ont influencé durant l’écriture de votre BD, puis dans la réalisation de votre série ?
Il y en a beaucoup ! Quand j’étais ado, je lisais pas mal de romans horrifiques et fantastiques, comme Lovecraft, Maupassant ou Edgar Allan Poe. Ces histoires étaient souvent racontées à la première personne, comme si l’auteur nous confiait ce qu’il avait réellement vécu. Ce format m’a beaucoup inspiré dans l’idée d’écrire un récit à la première personne et faussement autobiographique. J’aimais beaucoup cette ambiguïté et le fait de jouer avec la frontière entre la fiction et la réalité.
Sans surprise, mes autres sources d’inspiration sont japonaises. Je suis un grand fan de films d’animation et de mangas, et j’ai été influencé par des auteurs comme Shigeru Mizuki. Ces derniers parviennent à moderniser leur folklore, en le réinjectant dans des œuvres modernes. Je voulais reprendre cette démarche en proposant une BD qui se rapproche des yokai japonais, mais avec des monstres français.
J’ai aussi été marqué (et traumatisé dans le bon sens du terme) par les films de Don Bluth, mais aussi par Fievel, Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles, Little Nemo, Le Roi Lion… Toutes ces œuvres nous confrontaient à des drames, comme la mort d’un parent. J’adorais ce genre de films, car j’avais l’impression qu’on ne me prenait pas pour un débile quand j’étais gamin. Ça me confrontait à des soucis d’adultes et ça m’a aidé à grandir.
J’ai l’impression que ce type de productions se perd aujourd’hui. On a tendance à développer deux types d’animation : une pour les enfants, qui ne doit pas être choquante, mais plutôt légère et gentille, et une pour les adultes qui doit être ultratrash. Il n’y a plus cet entre-deux qui parle aux préados et qui s’autorise à aborder des thématiques sombres.
Derrière ses airs enfantins et comiques, votre série aborde justement des thématiques plus sensibles et matures, comme le deuil et l’infanticide. Pourquoi était-ce si important pour vous de parler de ces sujets ?
C’était surtout pour montrer que cet entre-deux peut exister, encore aujourd’hui. Quitte à parler de problèmes auxquels nous serons confrontés durant la vie d’adulte, autant prendre des sujets assez vénères et graves pour jouer sur ce contraste entre des enfants en pleine innocence et en plein jeu, et la situation dramatique à laquelle ils sont confrontés. L’infanticide avait aussi une portée symbolique ; il représente la fin de l’enfance. Il montre ce moment où on doit tuer l’enfant en nous pour grandir.
Avez-vous rencontré des difficultés lors de ce passage de l’écrit à l’écran ?
C’était vraiment pas facile. Dans ma tête, l’histoire était terminée, car je l’avais déjà écrite. J’ai été confronté à un gros travail de réécriture, puisqu’on est passé de petits épisodes très courts de cinq pages avec un petit monstre et une petite aventure, à des épisodes plus longs avec une histoire qui se suit. Je devais donc tout reprendre depuis le début, tout en gardant la base, avec les mêmes personnages et le même fil rouge.
C’était plus difficile de décider ce que je devais garder ou jeter que d’inventer une toute nouvelle histoire. C’est comme si j’avais construit un château de cartes et que je devais en réaliser un deuxième tout en gardant la structure du premier, mais en changeant sa forme et en retirant quelques cartes… Bref, c’était très compliqué.
J’ai donc décidé d’écrire le scénario à quatre mains, avec la scénariste d’animation Magali Pouzol. Je voulais superviser cette réécriture, en préservant l’âme et l’identité de l’œuvre originale, tout en bénéficiant de son expertise. Elle m’a beaucoup aidé sur la structure, les arcs des personnages, les rebondissements… Elle a été géniale et super efficace.
Quand on parle de série d’animation, on pense forcément aux anime japonais. Quelle est la place de la France dans cette industrie ?
Elle est en train de prendre une place assez importante. C’est assez drôle, car les Américains et les Japonais, qui sont les deux mastodontes du milieu, ont toujours dit qu’ils s’inspiraient des artistes français pour produire leurs œuvres. Ils viennent même chercher leurs artistes en France ! On a donc un vrai savoir-faire et une culture de l’animation depuis très longtemps, mais, paradoxalement, le public a très longtemps pensé que les dessins animés étaient pour les tout petits et qu’ils n’étaient pas très sérieux.
Cette idée persiste, mais elle disparaît progressivement grâce à cette génération qui a grandi avec des anime japonais – et qui a compris que les anime pouvaient être des œuvres passionnantes, matures et pour tous les âges. On sent donc une sorte de renouvellement et une envie de proposer une alternative française aux anime japonais qui sont généralement dédiés aux adolescents.
Quand ces spectateurs étaient plus jeunes, ils avaient Miraculous, Code Lyoko, Pat’patrouille… Toutes ces productions françaises fonctionnent très bien du côté des enfants, mais à partir de 10 ans, ils ont envie de regarder des séries plus sérieuses et ils se plongent dans les shows japonais.
J’aimerais donc remplir ce créneau manquant avec Le Collège noir. La série s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes, et s’autorise à proposer des aventures ambitieuses et sombres. L’essor des plateformes nous a permis de lancer de nouveaux projets et je pense que de belles animations françaises vont apparaître ces prochaines années.
Le Collège noir sort aujourd’hui. Qui dit 31 octobre, dit forcément Halloween. Quelles sont les trois séries que vous nous conseillez de binger ce soir pour avoir peur ?
Je suis assez fan des histoires de Mike Flanagan. J’ai beaucoup aimé sa dernière série, La Chute de la maison Usher. Cependant, il n’a jamais réussi à surpasser ses trois premiers shows : The Haunting of Hill House, Bly Manor et Sermons de minuit. Ils sont vraiment géniaux. Il apporte quelque chose de très frais dans le genre horrifique. Ses productions nous font peur, mais elles sont aussi très métaphysiques. Il a un style assez particulier, avec beaucoup de dialogues et un rythme parfois très lent. Mon Halloween idéal serait donc une petite rétrospective de Flanagan.