Critique

Du rose au noir, West Side Story retrouve toute sa flamboyance originelle

25 octobre 2023
Par Benoît Gaboriaud
“West Side Story“, 2022, Duesburg, Allemagne.
“West Side Story“, 2022, Duesburg, Allemagne. ©Johan Persson

Inspiré de Roméo et Juliette, la tragédie de William Shakespeare (1564-1616), West Side Story revient pour la énième fois sur les planches parisiennes, plus exactement celles du Théâtre du Châtelet. Porté également au grand écran avec brio par Jerome Robbins et Robert Wise en 1961, puis par Steven Spielberg en 2021, le music-hall le plus célèbre de l’histoire de Broadway continue de fasciner. Et pour cause, il évolue sur scène comme au cinéma quasiment sans fausse note.

Maria, America, Tonight, I feel prettyWest Side Story est un concentré de tubes transgénérationnels, mais aussi une tragédie sombre dont le succès était loin d’être assuré. Deux morts à la fin du premier acte, c’est beaucoup ! En termes de massacres de héros, les scénaristes de Game of Thrones n’ont rien inventé. À l’époque, le public n’y était pas préparé. Aujourd’hui, c’est différent, nous le sommes davantage, tout comme à cette œuvre connue de tous, mais qu’on prend un réel plaisir à revoir, d’autant que chaque adaptation diffère légèrement. 

West Side Story, 2022, Duesburg, Allemagne.©Johan Persson

Une version qui respecte l’originale à la lettre

Ne tournons pas autour du pot, celle proposée par le Théâtre du Châtelet, déjà applaudie par 3 millions de spectateurs dans le monde, est un enchantement qui évolue subtilement du rose au noir. Le début est inéluctablement mièvre. Arthur Laurents, qui a écrit le livret, l’a voulu ainsi. Dans cette mise en scène signée Lonny Price, le coup de foudre entre Maria et Tony au bal réunissant les bandes rivales, les Jets et les Sharks, vire presque au comique, mais tout le reste est parfait.

Cette adaptation se veut respectueuse à la lettre de la version originale signée Leonard Bernstein pour la musique, Arthur Laurents pour le livret et Stephen Sondheim pour les paroles. Point d’audace, donc, mais tout est là : les doigts qui claquent, les jupons qui virevoltent, les sauts aériens, le New York des années 1950 avec ses escaliers de secours emblématiques du Lincoln Square dans l’Upper West Side, les rythmes mambos… Même Anybodys, le garçon manqué souhaitant incorporer les Jets, parfois gommé !

West Side Story de retour au Théâtre du Châtelet – La bande-annonce.

Dans sa version sombre et violente, Steven Spielberg avait atténué la mièvrerie de certaines scènes et surtout osé offrir ce rôle à Iris Menas, un·e acteur·rice non binaire, faisant ainsi d’Anybodys un être dans l’air du temps. Le réalisateur d’E.T., l’extra-terrestre (1982) s’était autorisé quelques fantaisies bienvenues en proposant à Justin Peck de revisiter la chorégraphie.

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Le trentenaire y a apporté du souffle, des touches hip-hop discrètes et des gestuelles résolument contemporaines, magnifiées par les mouvements de caméra. À côté, le film aux dix Oscar coréalisé par Jérôme Robbins et Robert Wise en 1961 prend un petit coup de vieux, malgré le charisme iconique de Natalie Wood et George Chakiris. Les nouvelles interprètes auront beau redoubler de talent, l’actrice de La Fureur de vivre (1955) restera probablement à tout jamais l’incarnation absolue de Maria.

Une problématique toujours d’actualité

Pour cette nouvelle version, Lonny Price ne fait donc preuve d’aucune transgression, mais assurément d’un certain talent. Les fans et la génération Z qui souhaitent (re)découvrir l’authentique West Side Story seront comblés. Finalement, c’est peut-être là toute l’audace du metteur en scène : montrer que la version originale présentée le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre, à Broadway, n’a pas pris une ride.

Entre la recrudescence des conflits et les banlieues difficiles de plus en plus livrées à elles-mêmes, on ne peut que lui donner raison. Car la question que pose West Side Story depuis toujours est bien celle-ci : comment s’aimer (ou tout simplement vivre) au sein d’une société assoiffée de sang ? Encore aujourd’hui, à la manière des Jets et des Sharks, les journaux nous montrent quotidiennement que certains hommes au sang chaud semblent jubiler à l’idée de s’affronter, semant égoïstement sur leur passage le chaos. Aussi, le récit se déroule dans un décor indémodable, celui de New York ; une source inépuisable d’inspiration pour les artistes contemporains. 

West Side Story, 2022, Duesburg, Allemagne.©Johan Persson

Un casting hors pair

Et le casting ? Hors pair, avec une mention spéciale à Mélanie Sierra en Maria, magistrale et poignante dans le final, et à Sky Bennett, particulièrement charismatique en A-Rab, membre des Jets. Le jeune prodige volerait presque la vedette à Taylor Harley qui campe un Riff à fleur de peau, touchant.

Chanteur excellent, Jadon Webster en Tony surjoue et semble vouloir masquer son côté éphèbe, pourtant bien bâti, par des élans de virilité mal maîtrisés. Très attendue, surtout après ce qu’en a fait Spielberg, America manque un peu de folie, mais ce bémol tout relatif est vite balayé par le ballet flamboyant des Jets de la scène 13 de l’acte I, dite Cool, ainsi que par l’incroyable Gee, Officer Krupke (scène 9 de l’acte II), conjuguant ici à merveille le burlesque de Chaplin et la bonne humeur de Chantons sous la pluie (1952). Bref, à l’heure où tout est revisité ou remis au goût du jour, ne boudons pas le plaisir de revoir un classique de comédie musicale indémodable et intact !

West Side Story, au Théâtre du Châtelet à Paris, jusqu’au 31 décembre 2023.

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