Entretien

Lou Lubie : “Les contes de fées ne sont pas sexistes, mais beaucoup d’auteurs le sont”

28 septembre 2023
Par Agathe Renac
Dans “Et à la fin ils meurent”, Lou Lubie nous dévoile les origines des contes de fées.
Dans “Et à la fin ils meurent”, Lou Lubie nous dévoile les origines des contes de fées. ©Delcourt/Lou Lubie

Passionnée par les contes de Grimm et Perrault, l’illustratrice et bédéiste Lou Lubie a décidé de nous livrer les secrets de ces histoires qui ont bercé notre enfance dans Et à la fin ils meurent. Exit les princesses de Disney, les héros et héroïnes d’origine sont bien plus trash qu’on l’imaginait.

Comment est née l’idée de ce livre ?

Un peu par hasard, au cours d’une soirée. Je parlais des contes avec des ami·e·s qui étaient très très remonté·e·s contre eux, qui les considéraient comme sexistes. Ils avaient vraiment l’image de la princesse qui chante avec les oiseaux en attendant son prince charmant. Je ne partageais absolument pas cette vision, car j’ai grandi avec les contes écrits par Perrault et les frères Grimm – je n’avais pas de magnétoscope quand j’étais petite, donc je n’avais vu que très peu de Disney.

« Disney a probablement sauvé les contes de l’oubli. »

Lou Lubie
Bédéiste, illustratrice

Je leur ai donc raconté tous ces textes de la tradition écrite, en commençant évidemment par les plus violents et les plus trashs, et ça les a beaucoup fait marrer. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que tout le monde ne connaissait pas vraiment les contes et leurs origines. Je me suis dit que ce serait cool de partager mes connaissances et ces histoires avec tous les adultes. D’ailleurs, le titre m’est aussi venu ce soir-là. Et à la fin ils meurent était une évidence.

Faites-nous donc partager ces petits secrets ! Quels étaient les ingrédients principaux de ces contes, à l’origine ?

Les contes sont probablement aussi vieux que l’humanité. C’est un dérivé profane des mythes religieux et ça a toujours été une tradition orale, avant que les premiers écrits arrivent autour du XVIIᵉ siècle. Le point commun entre toutes ces histoires, c’est la quête symbolique. Il n’y a pas de héros bien identifié, mais un récit qui va plutôt faire appel au subconscient et qui va brasser des thèmes très universels. Après, les questions de la sexualité et de la violence sont très présentes dans les contes, mais elles sont propres à chaque époque.

Quelles histoires vous ont le plus choquée dans les écrits de Perrault, Grimm et Basile ?

Quand j’étais petite et que je lisais les contes de Grimm, ça ne me choquait absolument pas que les sœurs se coupent le talon et les orteils, que les colombes leur crèvent les yeux, ou encore que la méchante mariée soit enfermée dans un tonneau bardé de clous qui descend une colline. Ça me semblait tout à fait normal et très cathartique.

©Éditions Delcourt, Lou Lubie

J’ai dû attendre la trentaine pour avoir un “choc”. J’ai récemment découvert les écrits de Basile, qui a imaginé des contes burlesques, parfois joyeux, mais surtout destinés à un public mûr. Il écrivait pour la cour, donc il y a du sexe, de la violence et tout le monde en prend pour son grade.

Il manie la langue avec délice et c’est un plaisir de le lire, mais en même temps, j’étais un peu choquée par certains de ses contes. Il y en a notamment un avec une mariée blanche et une mariée noire. Cette dernière est une esclave africaine et les mots qu’il utilise pour la décrire sont d’un racisme qui est absolument intolérable à notre époque.

Basile a aussi écrit le conte La Vieille écorchée, qui est très trash et dans lequel la représentation des femmes est malmenée. Pouvons-nous dire que les contes sont sexistes ?

Non. Les contes de fées ne sont pas du tout sexistes, mais beaucoup d’auteurs le sont. Il faut bien faire la différence entre ce qui est l’essence du conte, avec ses motifs très universels qui se répètent d’histoire en histoire et de conteur en conteur depuis la nuit des temps, et les auteurs, qui sont souvent des hommes et qui viennent ajouter leurs valeurs au récit.

Quand ils sont très religieux et dans la bonne morale, ils vont écrire des histoires un peu coincées du cul, mais à l’inverse, celles de Madame d’Aulnoy sont féministes pour l’époque. Elles dénoncent le mariage forcé et mettent en avant des héroïnes qui se rebellent. Donc soyons clairs : le conte n’est pas sexiste.

Barbe bleue parle quant à lui de féminicide. Dans la version de Perrault, le personnage féminin est sauvé par ses frères, contrairement à celle des frères Grimm, où elle comprend toute seule comment s’en sortir. Seraient-ils donc plus progressistes ?

Je ne pense pas qu’on puisse parler de progressisme, ce sont simplement deux morales qui s’opposent. C’est une question de religion. Perrault est catholique et il y a une idée de rédemption, de pardon, du Seigneur qui va venir en aide à ses fidèles, dans sa religion. On est dans une démarche très passive, finalement.

Les frères Grimm sont quant à eux protestants. Ils sont beaucoup plus actifs dans leur destin. On va donc avoir des héros et des héroïnes qui se débrouillent par eux-mêmes et qui agissent.

©Éditions Delcourt, Lou Lubie

Pour vous donner un exemple concret, l’histoire de Cendrillon change selon l’auteur. Perrault nous décrit un personnage qui attend que la bonne fée vienne l’aider pour le bal – et on peut y voir un symbole qui peut se rapprocher d’une figure religieuse.

À l’inverse, les frères Grimm nous parlent d’une héroïne qui est seule, qui trouve sa robe dans un arbre et qui va au bal par ses propres moyens. Personne ne lui dit quoi faire. Les personnages protestants sont beaucoup plus libres que les catholiques.

Ces contes ont ensuite été adaptés par Disney, des siècles plus tard. Cependant, vous affirmez dans votre livre que ces nouvelles versions sont plus sexistes. Par exemple, Blanche Neige s’attribue elle-même la charge du ménage, au lieu de faire un deal avec les nains. Comment expliquez-vous ce recul dans la représentation des héroïnes ?

Il s’agit de la représentation américaine des années 1930. On retrouve la femme traditionnelle qui est à la maison, qui élève les enfants et qui attend le retour de son mari. C’est une vision très ancrée dans cette époque et dans cette culture. Naturellement, les films de Disney reflètent cette idéologie.

©Éditions Delcourt, Lou Lubie

Si ces œuvres nous choquent aujourd’hui, c’est parce qu’on a fait beaucoup de progrès sur ces questions-là et qu’on associe souvent à Disney ses trois premiers films : Blanche-Neige, Cendrillon et La Belle au bois dormant. C’est assez injuste de regarder des œuvres qui ont plus de 100 ans à travers le prisme d’aujourd’hui, sous prétexte que Disney existe toujours. Il faut vraiment remettre les choses dans leur contexte à chaque fois.

Avez-vous remarqué une évolution dans la représentation des femmes, ces dernières décennies ?

Oui, clairement. On voit des héroïnes qui essaient d’être un peu plus en phase avec leur époque. Raiponce se bat seule contre les méchants et elle n’est pas sauvée par le prince – qui n’est d’ailleurs plus du tout un prince. On a aussi une réécriture complète du conte de La Reine des neiges, où l’amour sororal est valorisé. Il y a une vraie évolution, mais je pense qu’ils ont encore un train de retard par rapport à ce que la société attend.

Ils doivent se sentir limités, avec cette peur de perdre des spectateurs en cours de route. Ils n’osent pas être à l’avant-garde, notamment sur les questions LGBTQIA+. Beaucoup de pays censurent des films à la moindre thématique queer et je pense que Disney est encore un peu frileux sur ces sujets.

Disney a-t-il opéré d’autres changements majeurs lors de ces adaptations ?

On leur a beaucoup reproché d’avoir édulcoré les histoires. Il n’y a plus de violence ni de sexe, ce sont des contes très lisses, un peu niais et grand public. Ils ont aussi attribué des personnalités aux nains, alors qu’ils ne sont que le “bloc sept nains” dans le récit d’origine. D’ailleurs, ils ne sont même pas dans le titre, contrairement à l’œuvre de Disney.

©Éditions Delcourt, Lou Lubie

La firme aux grandes oreilles a apporté plusieurs modifications, qui peuvent être critiquées, mais elle a probablement sauvé les contes de l’oubli. Est-ce qu’on s’intéresserait encore à ces histoires si on n’avait pas grandi avec elles ? Ce n’est pas sûr. À l’époque de Disney, il n’y avait quasiment plus de tradition orale, donc ces récits commençaient déjà à se perdre. On leur doit beaucoup.

Il faut aussi garder en tête qu’à l’origine, les contes n’étaient pas illustrés. En les mettant en image, le géant s’est confronté à un nouveau problème : ce n’est plus l’imagination qui travaille, mais le regard. S’il était resté fidèle à la version de Grimm et que les belles-sœurs se faisaient crever les yeux par des colombes, ce ne serait pas du tout adapté à l’écran. On ne pourrait pas montrer ça à des enfants, ce serait juste atroce. Ce passage de l’oral à l’image nécessitait donc une grosse évolution.

Les derniers projets d’adaptation en live action ont été vivement critiqués, notamment pour leur réécriture. Qu’en pensez-vous ?

C’est une question difficile. On entend toutes sortes de critiques, mais l’une de celles qui ont fait le plus de bruit, c’est le changement de la couleur de peau de la petite sirène, qui a divisé les spectateurs. Certains se sont réjouis de plus d’inclusivité, d’autres ont eu des réactions racistes, mais je pense qu’il y avait aussi des personnes qui avaient en tête le dessin animé, et qui s’attendaient à revoir une Ariel conforme, donc blanche aux cheveux roux.

Si on se remet dans la tradition du conte, le fait que la petite sirène soit noire ne pose aucun souci, car c’est un conte oral. Il n’a pas d’image. En réalité, chez Andersen, il s’agit d’un homme – puisque c’est une projection de l’auteur dans son personnage. Elle peut donc être de n’importe quelle couleur ou genre, ça ne change rien à l’essence du récit. On peut l’imaginer comme on veut.

Concernant l’adaptation, on peut quand même s’interroger sur une forme de “woke washing”. Dans ce même film, ses sœurs appartiennent toutes à une ethnie différente, ce qui me semble étonnant. Je n’ai aucun souci avec le fait que les sirènes soient noires, mais dans ce cas, elles devraient toutes l’être si elles appartiennent à une même famille. Représenter de la diversité culturelle, c’est aussi respecter ces cultures et non cocher des cases.

Disney a aussi imaginé l’origin story de Cruella et Maléfique pour nous dévoiler leur passé. Quel personnage aimeriez-vous découvrir à présent ?

Absolument aucun. Je suis personnellement très dubitative quant à ces origin stories. Dans les contes de fées, les héros n’ont pas de personnalité, ce sont des archétypes. Le fait d’aller imaginer un passé à Maléfique est une invention très moderne, mais qui sort le personnage du registre du conte. Je ne suis pas du tout dans cette optique.

En tant qu’autrice, je trouve que certains live action sont lamentables. Le fait de remâcher des récits et des films d’animation en changeant quelques détails pour que ça colle à l’air du temps est vraiment navrant. Ils devraient créer, plutôt que de puiser dans des ressources très commerciales.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste