16 ans après avoir joué par hasard au premier jeu The Witcher, j’ai décidé de me lancer dans la lecture de ce qui a été le début de cette immense franchise : les romans de fantasy du Polonais Andrzej Sapkowski. Et je n’ai pas été déçu du voyage.
Fin 2007, alors que je m’ennuie dans un minuscule appartement de banlieue parisienne, un ami de passage me prête un jeu PC qui vient de sortir et dont je n’ai jamais entendu parler : The Witcher. C’est un jeu polonais, moche, perclus de bugs, pas très bien traduit, aux teintes brunâtres et au système de combat incompréhensible.
On y incarne un bonhomme taciturne aux cheveux argentés, un certain Geralt de Riv. Le tout baigne dans une mythologie pas forcément très claire et un ton un peu beauf (on devait notamment séduire des paysannes pour obtenir des illustrations érotiques, la grande classe). Étrangement, j’ai passé 45 heures sans pouvoir lâcher ce titre, assez séduit par la proposition.
Depuis, je n’ai jamais raté un épisode des aventures vidéoludiques de Geralt, qui sont devenues de plus en plus ambitieuses et spectaculaires : The Witcher 2: Assassins of Kings et son intrigue haletante en 2011, The Witcher 3: Wild Hunt en 2015 et son open world sublime, et même Thronebreaker: The Witcher Tales, la petite aventure basée sur le Gwent, le jeu de cartes pratiqué par Geralt et ses compagnons en 2017. Je ne peux pas dire que je suis devenu un immense fanatique du Sorceleur, mais j’y reviens régulièrement, et toujours avec plaisir. Et puis, il y a eu la série télévisée.
Une franchise plus tentaculaire qu’il n’y paraît
Je pense que c’est au moment de l’annonce de The Witcher par Netflix, avec son casting trois étoiles et la promotion massive mise en place par la plateforme américaine, que j’ai réalisé à quel point la série était populaire. J’avais néanmoins bien conscience que les écrits de Sapkowski étaient très célèbres en Pologne – difficile de mettre les pieds dans une librairie de Cracovie ou de Varsovie sans voir ces romans trôner en bonne place sur les étals, façon trésor national.
Wiedźmin, de son nom d’origine, a même été adaptée localement en film et en série il y a 20 ans, et chaque image de ces productions d’époque a quelque chose de parfaitement réjouissant si on aime les perruques et les accessoires de théâtre. En revanche, la sortie de la série télévisée occidentale nous a fait réaliser qu’on était passé à côté de quelque chose de grand si on n’avait pas lu les bouquins originaux.
Ce n’est pas une mince affaire que de se confronter à The Witcher en 2023 : en plus des jeux (longs de plusieurs dizaines d’heures) et de leurs déclinaisons multijoueurs, il y a donc une très touffue série télévisée, un spin-off, un film d’animation et, donc, une bonne grosse pile de bouquins écrits entre 1987 et 2013.
Des livres dont il n’est pas toujours facile de savoir par quels bouts les prendre, puisqu’ils mélangent romans feuilletonnant et recueils de nouvelles pouvant être lus de manière indépendante. J’ai donc été raisonnable : après avoir essayé d’effacer mes souvenirs issus des jeux et de la série, j’ai attaqué la lecture de ces opus dans l’ordre de publication français des éditions Bragelonne, qui trônaient fièrement dans la bibliothèque de ma compagne.
Des nouvelles de conte de fées jusqu’à une série de dark fantasy épique
Mais au fait, de quoi ça parle, Le Sorceleur ? Ma première surprise a été de voir que les romans introduisent globalement beaucoup mieux leur univers que les autres médias de la franchise. En quelques dizaines de pages, on est plongé dans le bain : il est question d’un monde médiéval sombre, qui a jadis été envahi par des créatures infernales, ces dernières étant désormais de plus en plus rares et traquées par les Sorceleurs, des mutants craints par une population ne pouvant néanmoins se passer de leurs services.
Geralt, l’un d’entre eux, grand gaillard taciturne, mais pas dénué d’humour, vogue d’aventure en aventure pour résoudre les problèmes liés à ces monstres. Les conclusions des histoires, mêlant ironie tragique, prophéties autoréalisatrices et amours impossibles sont le plus souvent amères. Dans The Witcher, on est (rarement) là pour rigoler.
Les premiers livres sont une longue et plaisante suite de nouvelles très largement inspirées à la fois des contes de fées occidentaux et du folklore slave : La Belle et la Bête, La Petite Sirène ou encore Blanche Neige sont revisités en version morbide et désespérée. Et ça fonctionne très bien : j’ai dévoré ces premiers volumes en quelques jours. Certaines histoires m’ont rappelé les meilleures quêtes secondaires des jeux, ce qui a été, vous vous en doutez, une immense source de joie.
À partir du troisième tome, Le Sang des elfes, Le Sorceleur prend une tournure un peu plus classique (et assez similaire à ce qui est raconté dans le troisième jeu de CD Projekt) : Géralt prend une certaine Ciri sous son aile, princesse survivante d’un royaume déchu. La jeune fille va rapidement se retrouver au cœur d’immenses enjeux géopolitiques et, en conséquence, se faire kidnapper à peu près trois fois par tomes.
Il s’agira alors pour Géralt et ses compagnons (et particulièrement ses compagnes, les iconiques Triss Merigold et Yennefer de Vengerberg) de traverser le continent de part en part pour la sauver, sur fond de conflit généralisé entre des empires décadents.
Je dois bien l’admettre, j’ai été un peu moins séduit par ces quatre romans constituant la saga de Ciri : ils sont fort bien écrits et constituent plutôt le haut du panier de la dark fantasy dont j’étais si friand il y a quelques années. En revanche, ils ont également un côté moins frais et moins original que ces revisites d’histoires folkloriques par un aventurier cynique découvertes dans les deux recueils d’origine.
Je suis d’ailleurs ravi que les deux derniers livres qu’il me reste encore à découvrir reviennent à un format plus épisodique en s’intéressant à des histoires annexes de la vie de Gélalt. Même si, pour m’attaquer à Coś się kończy, coś się zaczyna, publié en 2000, je vais malheureusement devoir prendre des cours intensifs de polonais, une seule des nouvelles ayant été traduite en français à ce jour. Par bonheur, La Saison des orages, publié en 2015, est quant à lui disponible et d’ores et déjà posé sur ma table de chevet.
Une saga à posséder dans toute bonne bibliothèque de fantasy
Je n’étais pas certain que m’attaquer à « de la fantasy polonaise des années 1980 » soit une si bonne idée que cela avant d’avoir commencé. Cependant, dès la lecture des premières pages des aventures du Sorceleur, il m’a semblé évident que la série de Sapkowski n’avait pas volé sa légende, ni sa place en haut des charts des librairies spécialisées.
Drôle, fine, riche en références subtiles, la série The Witcher se dévore en bouquins au moins aussi facilement (sinon plus) qu’en série ou en jeu vidéo. Je le recommanderais particulièrement aux aficionados de The Witcher 3 qui auraient envie d’en revivre une partie des événements avec un prisme plus littéraire, ainsi qu’à celles et ceux qui chercheraient une bonne porte d’entrée à cet univers (et qui, pour une raison quelconque, auraient un problème avec la mono-expression et le jeu tout en retenue de ce cher Henry Cavill dans la série Netflix).
Finalement, ma plus grande surprise a été le fait de découvrir que mon Geralt préféré n’était ni celui de la série, ni celui des jeux, mais bien le Geralt séminal, avec sa répartie cinglante, sa mélancolie d’aventurier nomade façon Lucky Luke fantastique et son humour pince-sans-rire capable de déminer (ou d’envenimer, au besoin) n’importe quelle situation.