Irène Drésel est la première compositrice à avoir remporté un César pour une musique de film. Pourtant, rien ne la destinait à créer des BO. Rencontre.
Derrière les strass et les paillettes, le Festival de Cannes est aussi l’occasion de braquer les projecteurs sur toutes ces petites mains qui participent à la création des films. Depuis 2018, la Sacem s’associe à l’événement pour valoriser la musique de film et les compositeur·rice·s. Lors de cette 76e édition, le grand Howard Shore (notamment connu pour avoir composé la BO du Seigneur des Anneaux) a également animé une masterclass dans laquelle il a révélé les secrets de son métier. Quelques heures avant le coup d’envoi, L’Éclaireur s’est glissé dans les coulisses du Festival pour interviewer Irène Drésel, compositrice de talent.
Vous avez été la première compositrice à remporter le César de la meilleure musique originale pour un film. Qu’est-ce que ce prix représente pour vous ?
J’ai l’impression d’endosser un rôle et de devoir être un “modèle” pour des jeunes filles ou des femmes qui voudraient faire ce métier. Ça implique une forme de pression, mais je pense que c’est nécessaire pour favoriser l’évolution de la représentation des femmes dans ce milieu.
Concernant la soirée en elle-même, il y avait beaucoup d’infos et je crois que je n’ai pas encore le recul nécessaire pour savoir vraiment ce que ça représente pour moi. Mais une chose est sûre : je suis très contente, d’autant plus que je défends ce film [À plein temps, ndlr] depuis le début.
Avez-vous rencontré des obstacles dans ce milieu, justement parce que vous étiez une femme ?
C’est difficile de répondre, car c’est la première fois que je composais pour un film. À la base, je ne voulais même pas le faire. Je suis musicienne électronique, je fais de la scène et je compose des albums. Les bandes originales, ça m’est tombé dessus. On m’a proposé ce projet et j’ai dit oui. Tout simplement.
Comment êtes-vous tombée dedans ? Est-ce le résultat d’une rencontre ?
Je connaissais déjà la boîte de prod’ qui bossait sur le projet, car j’avais fait une musique de pub web pour eux dans le passé. Quand le réalisateur était sur la préparation de son film, il a pensé à moi parce qu’il aimait ma musique. Il a auditionné une dizaine d’artistes et ça a bien matché entre nous. Je venais de finir mon premier album et j’avais deux mois pour faire la BO d’À plein temps, donc j’ai tout donné. Pour répondre à votre question : je n’ai jamais rencontré d’obstacle, puisque je n’ai jamais cherché à faire ça.
Rembobinons l’histoire : qu’est-ce qui vous a poussée à devenir compositrice ?
Je viens d’un parcours autour de l’image ; j’étais aux Beaux-Arts de Paris et aux Gobelins en photo. Le but de ma vie, c’était d’être artiste plasticienne. Lors de la création d’une vidéo pour une expo, j’avais besoin d’une musique et j’ai décidé de la faire moi-même. À l’époque, j’écoutais déjà beaucoup de techno, donc j’ai décidé de composer mon premier son dans ce registre.
La musique était donc un hasard ?
Oui, mais je sentais qu’il me manquait quelque chose quand je travaillais uniquement avec l’image. Quand j’ai ouvert les vannes pour faire de la musique, ça m’a complètement happée et à partir de là, il n’y a plus rien qui comptait dans ma vie. Il n’y avait plus que ça. C’était la première fois de ma vie que quelque chose était aussi important pour moi.
Vous le disiez : la techno est votre genre de prédilection. Quelles sont vos influences ?
Quand j’ai commencé dans les années 2013, James Holden et Nathan Fake étaient vraiment mes références. Aujourd’hui, ça a un peu évolué. J’ai moins de références qu’avant, puisque j’écoute des sons très différents, comme des musiques thaïlandaises ou indiennes.
Votre rapport avec la musique est-il différent quand vous composez pour un film ou un album ?
Quand je compose des albums, c’est ma propre musique. C’est moi qui décide de tout, comme les sons ou le style. Je n’ai pas de label, donc je suis libre de proposer ce que je veux. Quand il s’agit d’un film, on est à son service. Il faut créer une musique qui ne vient pas l’écraser, mais qui l’épouse. Il faut être très à l’écoute du réalisateur et comprendre ce qu’il a dans la tête. C’est un tout autre exercice. Je dirais que c’est plus une commande, finalement.
Parvenez-vous à exprimer votre créativité malgré ces restrictions ?
C’est plus difficile. Quand j’ai commencé à composer la BO, j’avais des directives très précises. Le réalisateur voulait une musique à la fois typée années 1970 et moderne, mais il ne voulait pas de rythme ni de batterie – alors que j’utilise beaucoup ces instruments dans ma musique. Je dois avouer que ça m’a un peu perturbée.
Je me suis demandé pourquoi ils faisaient appel à moi, s’ils ne devaient pas contacter quelqu’un d’autre… Finalement, je me suis retrouvée dans ces propositions et j’ai réussi à créer une bande originale dans laquelle je me retrouve, même si ce n’est pas du tout ce que je fais en concert (qui est une musique beaucoup plus lumineuse et puissante).
Votre première expérience en tant que compositrice de BO vous a-t-elle donné envie de participer à d’autres projets cinématographiques ?
Oui, mais tout est question de rencontre. Ça dépendra du réalisateur et de ce qu’il a dans la tête. J’ai un projet en cours pour un autre film actuellement, mais je ne peux pas en dire plus !
Nous sommes justement à Cannes, qui attire des grands noms du cinéma. Avec quel réalisateur rêvériez-vous de travailler ?
Ari Aster. J’ai beaucoup aimé son film Midsommar, qui est devenu l’une de mes références. Il est bien barré, et j’adore ça !