Décryptage

Si j’étais Président… Quand la fiction nous plonge au cœur du pouvoir

10 mai 2023
Par Léonard Desbrières
Marc Dugain.
Marc Dugain. ©Francesca Montavoni/Gallimard

Heureux hasard du calendrier, à l’heure où l’aura et l’autorité de l’actuel président de la République vacille, deux romanciers se glissent dans la peau d’un chef d’État confronté au cruel exercice du pouvoir.

Le monde politique constitue un formidable réservoir narratif dans lequel les romanciers aiment à puiser. On a vu fleurir ces dernières années de nombreux récits qui plongent au cœur de la séduction, des manigances, des idéaux et des renoncements intimement liés à l’impitoyable machine politicienne. Et dans ce genre à part de la fiction politique, une figure attire tous les regards et se présente à l’écrivain comme un passionnant matériau romanesque : le président de la République. Comment mettre en scène cette incarnation du pouvoir, cette émanation du peuple qui commence par éblouir, mais finit toujours par décevoir ou même, pire, par trahir ?

Beaucoup de grands romanciers se sont déjà frottés à l’exercice et nous ont offert de savoureuses politique-fictions. Dans L’Aube, le soir ou la nuit (Flammarion, 2007) et dans Rien ne s’est passé comme prévu (Robert Laffont, 2012), les romancier·ère·s Yasmina Reza et Laurent Binet assument le récit documentaire et chroniquent à leur manière la campagne de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Dans Les Sauvages, une tétralogie parue à partir de 2012 chez Flammarion, Sabri Louatah raconte l’accession au pouvoir d’un président de la République d’origine algérienne et l’entremêle avec la destinée d’une famille déchirée par le terrorisme.

Couverture du livre Les Sauvages de Sabri Louatah. ©Flammarion

Avec En pays conquis (Gallimard, 2019), Thomas Bronnec se lance, lui, dans un récit plus insidieux, où un Président de gauche doit négocier avec une assemblée aux mains du Rassemblement national. À la dystopie douloureuse, la romancière Leslie Kaplan préfère, elle, l’absurde et la tragicomédie. Dans la géniale fable politique Un fou (POL, 2022), elle imagine une situation ubuesque dans laquelle la France découvre, incrédule, que depuis plusieurs mois un imposteur usurpait la place du Président. Devenir chef de l’État le temps d’un livre est un jeu romanesque diablement divertissant pour un écrivain, un terreau fertile pour l’imagination qui s’amuse de la confusion entre réalité et fiction. Ou, comme dirait l’adage : « Toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant existé ne saurait être que fortuite. »

Le prophète maudit de Marc Dugain

« Le poète est un prophète et un voyant », disait Victor Hugo. Cela fait presque dix ans que Marc Dugain crie au désenchantement du politique, annonce la déliquescence du pouvoir à l’heure des Gafam et des réseaux sociaux, et dénonce la perversion coupable de ceux qui le détiennent. En 2014, L’Emprise (Gallimard), trilogie monumentale à la croisée du polar, de l’espionnage et de la fable politique, nous offrait déjà une plongée vénéneuse dans les arcanes les plus sombres de la machine étatique française, écartelée entre les secrets diplomatiques, les enjeux économiques et les ambitions machiavéliques. Maintenant que le cauchemar annoncé prend vie sous nos yeux médusés, Marc Dugain aurait tort de se priver. Il continue à gratter la plaie avec un roman coup de poing qui fait fiction avec la plus odieuse des réalités.

Couverture du livre Tsunami de Marc Dugain. ©Albin Michel

Tsunami (Albin Michel, 2023) est un roman au titre évocateur tant il submerge et fait peur. À la première personne, intime et sans fard, on découvre le journal de bord d’un Président élu par surprise en 2027, un roi de la tech propulsé homme providentiel dans un pays où le vide politique est devenu la norme. Cet homme brillant, mais ambigu et encore prisonnier du monde opaque qui l’a fait élire, nous ouvre les portes du pouvoir. On découvre avec lui les jeux d’influence, on suit son combat de tous les instants pour imposer une réforme trouble, destinée en apparence à lutter contre le réchauffement climatique. Marc Dugain fait grimper peu à peu la tension et déploie un de ces thrillers redoutables dont il a le secret : sombre, sans concession, d’un réalisme froid. Sans pitié pour ceux qui nous gouvernent, qu’ils soient cachés dans l’ombre ou sur le devant de la scène, il fait craqueler le vernis doré de l’Élysée et souffle sur les braises d’une contestation prête à exploser.

L’éloge de la paresse d’Hadrien Klent

Dans son nouveau roman truculent, Hadrien Klent explore lui aussi la figure éminemment romanesque de l’homme providentiel, mais situe son prophète à l’autre bout de l’échiquier politique, du côté des socialistes utopistes. Il y a deux ans, dans Paresse pour tous (Le Tripode, 2022), le lecteur avait déjà croisé la route d’Émilien Long, un héros malgré lui, économiste devenu sans le vouloir la voix d’un peuple déterminé à changer de vie pour changer le monde. Prix Nobel d’économie, auteur du Droit à la paresse au XXIe siècle, un essai économique rédigé dans un écho au manifeste social provocateur de Paul Lafargue, publié en 1880, ce personnage reprenait avec vigueur, passion et humour l’archétype de l’intellectuel dépassé par sa parole. Et si on ne travaillait plus que trois heures par jour ? Sa proposition était soudainement devenue, sous l’impulsion de la foule déchaînée, un programme politique pour gouverner.

Couverture du livre La Vie est à nous. ©Albin Michel

La Vie est à nous (Le Tripode, 2023) est la suite directe des aventures d’Émilien Long. Après la campagne, place à l’exercice du pouvoir. Un défi d’une tout autre ampleur quand on espère bouleverser les mœurs. Un chantier titanesque se dresse devant lui. Comment inverser le sens des priorités dans notre société gangrénée ? Comment mettre fin à la course effrénée du productivisme roi ? Comment retrouver goût à la vie simple, lente, paisible ?

Les multinationales qui vivent de la course au profit, les nantis qui protègent leurs privilèges, les partisans du « c’était mieux avant » : les ennemis ne manquent pas et sont prêts à tout pour faire tomber cet étonnant justicier de l’Élysée. Farce corrosive qui prête à sourire (jaune), ce roman retrouve son sérieux quand il interroge la place de la politique dans nos vies et qu’il questionne notre rapport au pouvoir. Et si, en mettant sans cesse la figure présidentielle sur un piédestal, nous tracions nous-même les contours de notre servitude volontaire ?

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