Décryptage

Activision-Blizzard : tout ce qu’il faut savoir sur le rachat historique par Microsoft

19 février 2023
Par Benjamin Logerot
Annoncé au début de l'année 2022, le rachat d'ABK par Microsoft serait le plus gros rachat de l'industrie du jeu vidéo de tous les temps.
Annoncé au début de l'année 2022, le rachat d'ABK par Microsoft serait le plus gros rachat de l'industrie du jeu vidéo de tous les temps. ©FP Creative Stock/Shutterstock

Toujours en attente de validation par les différentes entités mondiales compétentes, le rachat d’Activision-Blizzard par Microsoft est un des dossiers les plus en vue de ces dernières années dans le monde de la culture et de la tech. On vous fait un résumé, un peu plus d’un an après l’annonce coup de tonnerre de Microsoft.

Le 8 février dernier, la CMA, l’autorité chargée de veiller à la bonne tenue de la concurrence au Royaume-Uni, délivrait un avis préliminaire négatif à ce rachat historique. Rien n’est encore joué pour Microsoft et Activision-Blizzard, encore sous le coup d’enquêtes approfondies de la part de l’Union européenne et de la puissante FTC américaine, qui a même décidé d’amener l’affaire devant un tribunal.

Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les enjeux d’un tel rachat, chiffré à plus de 68 milliards de dollars et, surtout, qu’est-ce que cela pourrait changer pour nous, joueurs et joueuses de jeux vidéo sur ordinateurs et consoles ?

18 janvier 2022 : un coup de tonnerre

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Pas seulement dans le secteur du jeu vidéo, mais dans celui de la tech en général. Microsoft annonçait sa volonté de racheter l’éditeur de jeux vidéo Activision-Blizzard-King (ABK) pour la modique somme de 68,7 milliards de dollars. Si l’affaire devait être conclue, ce rachat sera le plus gros du jeu vidéo et de Microsoft. De son côté, ABK, ce sont quelque 10 000 employés et des licences de jeux vidéo parmi les plus rentables de tous les temps. Call of Duty, World of Warcraft, Candy Crush Saga, Overwatch 2

franchises Activision blizzard
Avec 8,8 milliards de chiffre d’affaires en 2021, ABK est un des plus gros éditeurs de l’industrie du jeu vidéo. ©Activision-Blizzard-King

Autant de franchises qui viendraient garnir une bibliothèque toujours plus épaisse chez Microsoft, qui avait déjà racheté Zenimax Media (Bethesda, idSoftware) en 2021 pour 7,5 milliards de dollars. Ce rachat arrive également à point nommé pour ABK et son patron Robert « Bobby » Kotick, au centre depuis plusieurs mois d’un énorme scandale de harcèlement sexuel et autres conditions de travail toxiques dans plusieurs studios de l’éditeur dirigés par le milliardaire. Grèves, démissions et publications d’enquêtes accablantes à la chaîne ne laissaient que peu d’espoir à Bobby Kotick, très critiqué dans sa gestion de l’affaire, de garder son trône.

Une longue enquête du site Bloomberg, parue le lendemain de l’annonce du rachat par Microsoft, met en lumière ce qui a amené cette décision. Ce scandale a poussé Phil Spencer, président de la division gaming chez Microsoft, à approcher ABK, qui souhaitait alors se faire racheter par Facebook. Dans ses annonces, la firme de Redmond a souvent mis en avant sa volonté d’apporter sa propre culture d’entreprise, bienveillante et inclusive, au sein d’ABK si le rachat venait à être validé.

Microsoft, ABK, FTC, UE, CMA, Sony : qui sont les acteurs de ce dossier ?

Eh oui, si vous ne pouvez toujours pas bénéficier d’une production Blizzard exclusive à la Xbox ou à un Call of Duty sur le Game Pass, c’est parce que ce rachat n’a toujours pas été validé par les autorités compétentes. Pour résumer, une telle opération doit être examinée par les autorités de régulation de la concurrence dans les régions où l’entreprise opère. Si quelques pays ont déjà donné leur avis, principalement positif, ce ne sont que des marchés mineurs. Les principaux organismes sont en réalité l’Union européenne elle-même, la CMA anglaise, ainsi que la FTC, la Federal Trade Commission, aux États-Unis.

call of duty
Call of Duty est la franchise la plus rentable d’Activision. Elle est logiquement au centre des débats, générant d’importants revenus pour Sony et ses PlayStation.©Activision

Et, de ce côté, la tendance n’est pas à l’optimisme pour Microsoft. L’UE lui a envoyé un avertissement concernant le rachat, la CMA a émis un avis défavorable et la FTC a décidé de traîner l’affaire en justice. La raison principale ? Si le rachat devait avoir lieu, Microsoft aurait sous son contrôle la franchise Call of Duty, qui se vend en majorité sur les consoles PlayStation de Sony.

Pour ces autorités, le risque que Microsoft fasse passer cette licence juteuse en exclusivité sur son écosystème porterait préjudice à la fois à l’industrie entière, mais aussi et surtout aux consommateurs et consommatrices. Par exemple, la CMA craint que le rachat d’ABK « résulte en des prix plus élevés, moins de choix et moins d’innovations pour les joueurs et joueuses du Royaume-Uni ».

Sony, de son côté, ne compte évidemment pas laisser tomber cette licence si lucrative et fait tout pour que le deal échoue. Par voie de presse interposée, les deux géants du jeu vidéo se renvoient la balle. Microsoft propose de porter la licence pendant encore au moins dix ans sur les consoles PlayStation. Une offre également faite à Nintendo, qui a accepté. Mais Sony refuse toujours, encore marqué par l’annonce récente de Phil Spencer révélant que trois jeux Bethesda de 2023, dont le très attendu Starfield, seraient exclusifs aux consoles Xbox et PC Windows.

Pour le moment, Microsoft ne peut rien faire d’autre que solidifier ses dossiers en attendant les divers retours des autorités, qui pourraient l’obliger à changer des termes du rachat. L’entreprise a par exemple jusqu’au 22 février pour proposer des compromis à la CMA. La Commission européenne doit, quant à elle, s’exprimer le 11 avril prochain au maximum. Le procès entre Microsoft et la FTC s’ouvre le 2 août pour un verdict attendu l’année prochaine.

Bref, encore de nombreux obstacles sont sur la route du géant. Celui-ci peut évidemment abandonner son projet pharaonique, mais s’exposera alors à de fortes indemnités à payer à ABK, de l’ordre de 2 à 3 milliards de dollars.

Et les joueurs dans tout ça ?

Concrètement, qu’est-ce que ce rachat pourrait changer dans la vie des joueurs et joueuses de jeux vidéo ? S’il est difficile de concevoir pour le moment la décision de rendre la licence Call of Duty exclusive aux machines Microsoft, le doute est tout de même permis. Libre alors à Microsoft de gérer les prix et le rythme de sortie de ces jeux jusqu’alors annualisés. Mais la question des prix se posera surtout sur le Game Pass. Le géant américain est déjà dominant sur le marché du jeu vidéo cloud et en streaming grâce à sa puissante plateforme. Y ajouter les catalogues d’ABK et faire face à une possible demande plus élevée pourrait entraîner la hausse des prix du service ainsi qu’une domination encore plus nette.

Autre point non négligeable, Microsoft souhaiterait mettre en place une plateforme de jeux mobiles. ABK est déjà très fortement positionné sur le segment, à la différence de Microsoft. Call of Duty Mobile, Candy Crush ou encore Diablo Immortal sont de gigantesques hits sur smartphones. Le géant américain pourrait tirer profit de l’expertise d’ABK sur les jeux mobiles et créer sa plateforme dédiée. Une plateforme qui viendrait, d’ailleurs, selon Microsoft, directement concurrencer les stores d’Apple et de Google, seuls acteurs présents sur le marché. Il est évident que cette stratégie est aussi bien mise en avant par Microsoft, qui sait pertinemment que les deux géants sont régulièrement dans le collimateur des autorités.

Pour le reste, le climat est encore trop incertain. On ne peut que conjecturer et, pour le moment, se fier aux paroles de Microsoft. L’entreprise essaie tant bien que mal de prouver le bien fondé de ce rachat et des bénéfices que le grand public en tirera. Mais il ne s’agit pour le moment, encore une fois, que de paroles. Les autorités de la concurrence vont donc presser l’entreprise pour lui faire faire des compromis et ainsi donner des garanties aux joueurs et joueuses, mais aussi aux autres grands de l’industrie.

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