Critique

Assemblage, de Natasha Brown : révolte et renoncement

04 janvier 2023
Par Sophie Benard
Assemblage, de Natasha Brown : révolte et renoncement
©Grasset

[Rentrée littéraire 2023] Le premier roman de Natasha Brown, qualifié de « virtuose » par le Guardian, de « tranchant comme un diamant » par The Observer, nous parvient enfin dans sa traduction française.

La narratrice d’Assemblage est une femme britannique noire qui travaille, comme ce fut dix ans le cas de l’autrice, dans le secteur bancaire, où elle vient d’ailleurs d’obtenir une promotion. Elle jouit d’une excellente situation : elle est même « pétée de thunes », et s’offre les services d’un gestionnaire de patrimoine. Elle est, finalement, « tout ce qu’on [lui] a dit de devenir ». Et elle complète le tableau de sa réussite économique et sociale en fréquentant un gentil garçon de (très) bonne famille.

L’industrie financière était pour moi la seule façon viable de gravir les échelons. J’avais troqué ma vie pour une fraction du confort des classes moyennes. 

Natasha Brown
Assemblage

Assemblage s’articule autour du bref voyage qu’elle entreprend pour aller assister à l’anniversaire de mariage de ses très chics beaux-parents – ce « sommet narratif dans le récit de [son] ascension sociale ». L’occasion rêvée de (se) faire croire à son appartenance à la haute bourgeoisie ; mais une occasion qui, comme les autres, risque de se transformer en démonstration d’être « le genre de diversité qu’il faut ».

Car la narratrice est une transfuge. Transfuge de classe d’abord, mais aussi de race : « Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant, jamais d’ici. » Sa vie de bureau ressemble donc fatalement à celle de toute femme noire : on l’embrasse parfois de force, on la questionne souvent sur ses origines, quand on ne se plaint pas discrètement des « quotas » qui auraient facilité sa réussite. Et c’est sûrement ce qui la rend si consciente des « rouages hideux qui tournent et tournent, sous chaque réussite », y compris la sienne.

Des générations de sacrifices ; un dur labeur, des vies plus dures encore. Tant de souffrance, tant de privations, tant – pour cette opportunité. Pour ma vie à moi. Et j’ai essayé, j’ai essayé d’être à la hauteur. Mais après des années de lutte, à batailler contre le courant, je suis prête à baisser les bras. À ne plus me débattre. À inspirer l’eau. Je suis épuisée. Peut-être qu’il est temps de la finir, cette histoire.

Natasha Brown
Assemblage

Mais ce dont cette narratrice sans nom ni âge a surtout conscience, alors que son entourage l’y renvoie sans cesse et que les micro-agressions se multiplient, c’est des deux indémêlables tares sociales qui pèsent sur elle : elle est une femme et elle est noire.

Dans une langue aussi effrénée que poétique, Natasha Brown saisit ainsi le moment de bascule existentielle de son personnage. Et, comme cette dernière, on étouffe dans le carcan irrespirable des appréhensions et des compromis ; on se laisse entraîner, droit dans le mur et à vive allure.

Assemblage, de Natasha Brown. En librairie le 11 janvier 2023.©Grasset

Alors que l’autrice condense en quelques pages l’ampleur de la légitime révolte de sa narratrice, elle laisse aussi glisser cette dernière vers le renoncement ; un renoncement qui ressemble à s’y méprendre à un acte de résistance.

Mais continuer, maintenant que j’ai le choix, c’est choisir la complicité.

Natasha Brown
Assemblage

D’une rare qualité littéraire, Assemblage s’impose ainsi comme un premier roman aussi juste que percutant.

Assemblage, de Natasha Brown, trad. Jakuta Alikavazovic, Grasset, 160 p., 17 €. En librairie le 11 janvier 2023.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste