Article

Streaming vidéo, la pollution invisible

02 décembre 2022
Par Marion Piasecki
Streaming vidéo, la pollution invisible
©metamorworks/Shutterstock

Le visionnage de vidéos constitue aujourd’hui l’un des principaux usages du numérique. Mais quel est son impact environnemental ?

Regarder une vidéo sur YouTube, TikTok, Netflix ou sur tout autre réseau social fait partie du quotidien de centaines de millions de personnes à travers le monde. Contrairement à l’usage de la voiture, la pollution liée au streaming n’est pas directement visible pour les utilisateurs. Pourtant, elle existe bien.

Un impact difficile à évaluer globalement

Comme l’explique la série documentaire d’Arte Frankenstream : ce monstre qui nous dévore, sortie cette semaine, Internet était, à ses débuts, sobre. Pas par volonté politique et écologique, mais par nécessité technique : il fallait encore passer par le réseau téléphonique traditionnel, ce qui limitait drastiquement la quantité de données. C’était l’Internet de la compression : les audios n’étaient pas de très bonne qualité, les vidéos petites, pixelisées et souvent saccadées. C’est le passage à la connexion haut débit et son lot de nouvelles infrastructures qui ouvert les vannes et permis de faire circuler toujours plus de données, jusqu’à perdre la raison.

Alors, quelle est la pollution générée par le visionnage de vidéos sur Internet aujourd’hui ? En réalité, cela reste difficile à dire, parce qu’il faut réaliser l’analyse sur le cycle de vie, ce qui dépend de plusieurs facteurs. Le terminal utilisé pour regarder la vidéo – télévision, ordinateur, tablette, smartphone – a besoin de plus ou moins de matériaux pour être fabriqué, la télévision étant plus polluante de par sa taille. Le type d’électricité utilisé pour alimenter les centres de données – charbon, nucléaire, énergies renouvelables – a aussi un impact sur le niveau de pollution. Le type de connexion a également son importance, la 4G consommant plus que le wifi. Enfin, la qualité d’image est un facteur, puisque cela rend la vidéo plus ou moins lourde en données.

Le simulateur de l’Ademe permet d’avoir une idée de l’impact de certains usages numériques courants, dont le streaming vidéo, avec quelques variables comme le terminal et la connexion utilisés.

L’Agence de la transition écologique (Ademe) a récemment mis en ligne un simulateur d’impact environnemental du numérique basé sur les évaluations de Négaoctet. D’après ce site, une heure de streaming en haute définition sur un smartphone utilisant le wifi consomme 0,03 kg CO2e, ce qui équivaut à 100 mètres en voiture. En 4G, on passe à 0,08 kg CO2e, soit 400 mètres en voiture. Selon une étude NordVPN de 2021, les Français passent en moyenne 6 heures 18 par semaine sur les sites de streaming comme Netflix et 4 heures 40 sur les sites de vidéos comme YouTube, soit au total 11 heures par semaine à visionner des vidéos sur Internet. Si un Français moyen regardait toutes ses vidéos sur smartphone en haute définition avec le wifi, cela ferait 16 kg CO2e par an, soit 75 km en voiture. Avec la 4G, 43 kg CO2e par an, soit 196 km en voiture. Cela paraît peu, mais ce simulateur ne compte que l’impact de l’usage lui-même et met de côté l’impact de la fabrication du terminal, qui constitue une grande partie de la pollution numérique.

Les entreprises de la tech coincées entre enjeux environnementaux et économiques

Une part non négligeable de l’impact venant des terminaux eux-mêmes, il faudrait donc en acheter moins… Difficile quand les publicités pour smartphones sont omniprésentes et que le modèle économique des constructeurs se base sur l’idée que les utilisateurs vont changer de modèle tous les deux ou trois ans.

Du côté des centres de données, les nouvelles générations tentent de réduire leur consommation électrique grâce au refroidissement naturel ou à la réutilisation de la chaleur. Problème : cela implique généralement que les serveurs soient très loin et pourrait à terme entraîner une concentration trop élevée de la consommation d’électricité dans certaines régions du monde. Le documentaire d’Arte donne l’exemple de l’Irlande, où de nombreuses entreprises américaines de la tech s’installent pour raisons fiscales et pourraient siphonner 70 % de l’électricité du pays pour alimenter leurs centres de données d’ici 2030.

À lire aussi

Plusieurs plateformes de streaming s’expriment déjà sur leurs engagements environnementaux. YouTube (via Google) revendique une neutralité carbone depuis 2017 grâce aux compensations carbone et souligne ses investissements dans les énergies renouvelables dans le but de n’utiliser que des sources d’énergies sans carbone d’ici 2030. Stratégie similaire chez Netflix, qui estime atteindre son objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre fin 2022 en réduisant sa consommation et en faisant des investissements massifs dans le maintien d’écosystèmes naturels et de la biodiversité. Son second objectif est de réduire son impact de 45 % d’ici 2030 par rapport aux chiffres de 2019. Côté diffusion de vidéos en direct, Twitch est beaucoup plus opaque, n’ayant pas publié d’article à ce sujet et n’ayant pas répondu à notre demande d’interview.

Cependant, ces initiatives ne font pas tout. Pour être rentables, les entreprises n’encouragent pas des usages raisonnables : les plateformes de streaming veulent que les utilisateurs restent le plus longtemps possible en poussant au binge-watching ou à regarder des vidéos recommandées ; les publicités sont partout alors que ce sont des minutes de vidéo que les utilisateurs n’aiment pas voir ; les sites pornographiques – 27% des flux de vidéos en ligne en 2018 – ne font que le minimum pour empêcher les mineurs de les regarder ; Meta veut évoluer vers le métavers qui demandera encore plus de données et les constructeurs de terminaux sortent des nouveaux modèles tous les ans. Pour que la sobriété numérique soit adoptée à grande échelle, il faut donc que les entreprises trouvent de nouveaux modèles économiques.

Comment limiter son impact ?

Face à un tel problème, on peut craindre d’avoir à changer radicalement de mode de vie pour être plus sobre. En réalité, ces habitudes ne sont pas si difficiles à prendre. Pour commencer, renouveler moins souvent ses appareils aura un impact très important. Et si vous voulez regarder un film en très grand format dans votre salon, la fabrication d’un vidéo-projecteur est moins polluante que celle d’une télévision à diagonale égale.

« Si un Français moyen regardait toutes ses vidéos sur smartphone en haute définition avec le wifi, cela ferait 16 kg CO2e par an, soit 75 km en voiture. Avec la 4G, 43 kg CO2e par an soit 196 km en voiture. »

Pour regarder un épisode de série dans les transports en commun, anticipez en le téléchargeant en wifi chez vous plutôt que le regarder en streaming 4G à l’extérieur. Vous pouvez aussi adapter la qualité de la vidéo en fonction de la taille de l’écran, une définition de 360p est par exemple suffisante pour un smartphone. Privilégier l’audio à la vidéo est également une bonne idée, il existe même des extensions à installer sur son navigateur internet, y compris sur mobile, pour désactiver l’image sur YouTube ou Twitch. Pratique quand on n’est intéressé que par l’audio (pour une musique ou une conférence par exemple) ou que l’on a l’habitude de mettre une vidéo en bruit de fond.

À lire aussi

Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste