Connu pour ses vidéos de mentalisme sur YouTube, Fabien Olicard a étendu son terrain de jeu dans les salles de théâtre et dans les livres. On s’est faufilé dans les coulisses de son dernier spectacle, Archétypes, pour qu’il nous en dise plus sur notre cerveau.
On vous compare souvent à Patrick Jane, de la série Mentalist. Vous vous retrouvez dans ce personnage, ou sa représentation est-elle complètement fantasmée ?
Je me reconnais dans son sens de la déduction, son analyse des détails insignifiants et son étude des émotions. Cependant, l’exécution de ses “talents” est complètement fantasmée. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fiable et rapide. La grande différence entre nous, c’est que je n’ai pas de scénariste qui me confie les bons indices au bon moment !
Un épisode de la première saison est très parlant. Patrick Jane se rend chez une dame avec la volonté qu’elle se confie à lui. Il prépare un thé et trempe le sachet en le faisant descendre et remonter dans la tasse. Ce geste est la symbolique du “oui”, du haussement de tête. C’est une suggestion pour que l’autre s’ouvre à nous. Dans la série, le stratagème fonctionne : c’est le déclencheur qui va la faire parler. Dans la réalité, si la personne ne souhaite pas s’exprimer, le taux de réussite est quasiment nul. En fait, Patrick Jane est le super-héros des mentalistes.
A contrario, la série Lie to me est très réaliste. Le personnage principal, qui est mentaliste, s’inspire de Paul Ekman. Ce psychologue a écrit des œuvres majeures sur le mensonge et les micros-expressions (comme le livre Je sais que vous mentez). Il était consultant sur les deux premières saisons, et il ne voulait pas que le show déroge à la réalité. Les épisodes qu’il a pilotés sont quasiment des formations au mentalisme.
Dans votre spectacle, vous nous assurez que nous sommes tous des mentalistes. Pouvez-vous nous donner des clés pour développer ces capacités ?
Bien sûr : trempez un sachet de thé dans une tasse… (Rires) Plus sérieusement, mes conseils sont très simples. Pour commencer, ne vous dites pas que vous êtes incapables, ou que vous ne savez pas faire. Cette idée est une protection du cerveau pour se reposer. C’est plus simple de se dire qu’on ne comprend rien aux maths, plutôt que d’essayer. La première clé, c’est de travailler sa mémoire en comprenant comment elle fonctionne – il existe de nombreux ouvrages sur le sujet.
On a tendance à bachoter comme des malades, puis à tout oublier, puis à bachoter de nouveau, puis à tout oublier après un examen. Abandonnez cette technique et accordez plus de temps à l’apprentissage réel. Si vous souhaitez retenir un cours ou une conférence, commencez par lire le document trois fois, sans chercher à le mémoriser. Prenez le temps. C’est essentiel.
Sur quels mécanismes repose le mentalisme ? Est-ce de l’analyse non verbale, un travail de mémoire ou une simple question de probabilité ?
La vérité, c’est que le mentalisme n’existe pas en tant que tel. Il n’y a pas de définition ni de règles qui disent qu’il faut travailler sa mémoire, sa capacité d’influence ou le non verbal pour être un bon mentaliste. Pour moi, c’est un subtil mélange de ces trois thèmes, auquel on peut ajouter l’illusionnisme, avec le détournement de l’attention ou encore la gestion du spectateur.
Ensuite, le cadre va définir quelle capacité mettre en avant. Quand je suis sur scène, je mise plus sur la probabilité et l’influence. La raison est simple : j’ai besoin d’un résultat probant ; les spectateurs doivent voir quelque chose. Dans la vraie vie, on peut avoir recours au non verbal durant un entretien d’embauche par exemple. Ça nous permet de voir si le recruteur s’ennuie, s’il est vraiment à l’écoute…
Pouvez-vous nous confier un de vos secrets ? Je pense notamment à un tour de votre spectacle, où vous avez deviné la carte à laquelle pensait un spectateur – c’était la dame de cœur.
Ceux qui analysent ce numéro négligent une chose : je choisis la personne qui monte sur scène. Je la désigne en fonction de ce que je pressens d’elle, ce que j’ai vu depuis le début du spectacle, sa participation… Un homme va spontanément choisir du pique. Si je le contrarie, il va partir sur du trèfle pour me piéger. Si je l’embête encore un peu et qu’il a l’impression que je le manipule, il va aller vers une couleur qu’il considère comme étant improbable : du rouge, donc du cœur. Ensuite, le lien avec la dame se fait presque automatiquement.
À l’inverse, les femmes pensent généralement à du cœur. Si je les agace, elles partiront sur du pique. Sous la pression, les spectateurs choisissent une carte qui leur vient immédiatement en tête. Je cherche ces réponses spontanées, qui répondent aux schémas classiques neuronaux.
Autre test : demandez à n’importe qui de penser à un nombre entre 1 et 10. La plupart du temps, il vous répondra 7. C’est un chiffre qui semble un peu caché et compliqué à trouver, mais du coup, c’est le plus attendu. Il faut savoir que ces réponses varient d’un pays à l’autre, car il y a des conditionnements sociétaux. Par exemple, les Anglais pensent à la dame de pique quand on leur demande de choisir une carte, car la reine est une figure forte dans leur pays.
Comment avez-vous appris tous ces tours et vous êtes-vous formé au mentalisme ?
Je ne me suis jamais dit que je voulais devenir mentaliste ; ça s’est fait tout seul. Depuis tout petit, je suis très curieux. Je veux comprendre comment fonctionnent les objets, le cerveau… et j’adorais des personnages comme Sherlock Holmes, le Professeur Xavier ou encore Lupin. Je voulais apprendre à analyser, déduire et anticiper comme eux. J’ai lu beaucoup de livres et d’articles sur le sujet, j’ai regardé des tonnes de conférences, et un jour, je me suis dit que toutes ces connaissances pourraient me servir dans mon travail.
Sur scène, vous faites un “super burger de la mort” où vous parvenez à retenir 20 réponses qui pourraient être posées par Alain Chabat. Dans l’émission Burger Quiz, très peu de candidats parviennent à se souvenir des 10 réponses demandées. Quelle est votre astuce ?
J’utilise la mémoire épisodique, qui repose sur un principe de visualisation. La technique, extrêmement ancienne, se nomme la “table de rappel”. L’idée est d’associer les nombres à des images, sans se soucier de leur valeur ni de la quantité. Par exemple, je lie le chiffre 1 à un guerrier Hun, le 2 à un cygne… Donc si la deuxième personne du public me dit le mot “pathologie”, je vais combiner cette idée avec le chiffre 2, et visualiser un cygne en train de se moucher. À la fin, quand les 20 spectateurs m’ont donné leurs idées, j’ai autant d’images (drôles) dans la tête. C’est beaucoup plus simple de les retenir de cette manière.
Avons-nous tous la même mémoire ? Certaines personnes partent-elles avec des capacités supérieures dès la naissance, ou parviennent-elles simplement à mieux les développer que les autres ?
Si on enlève les troubles et les maladies, on a tous globalement le même cerveau et la même capacité de stockage. Cependant, nous n’avons pas la même capacité d’attention, d’émerveillement (on retient mieux quand il s’agit d’un sujet qui nous passionne), de patience… Pour résumer : nous avons le même disque dur, mais pas les mêmes points d’entrée. Je donne des conférences et des formations à des personnes qui ont des âges et des motivations différents. Pourtant, les clés que je leur donne pour développer leur mémoire fonctionnent toujours. Si on a la bonne recette et qu’on s’en sert bien, ça marche.
Que pensez-vous du programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima ? Est-il vraiment efficace ?
J’aime bien ce genre de jeux. C’est ludique, mais pas terrible d’un point de vue scientifique. Je pense qu’il y a une surcommunication par rapport au résultat réel. Par exemple, les jeux de société sont 20 fois plus efficaces qu’un entraînement quotidien avec le Dr Kawashima. Les escape games sous forme de boîte comme Exit ou Unlock, Time’s Up, les titres solos ou à deux sont super bons pour la mémoire et le système cognitif.
Le cerveau est la seule partie du corps qui s’use si on ne s’en sert pas. Celui d’une personne experte dans le programme du Dr Kawashima n’est pas mieux que celui de ma grand-mère de 102 ans qui fait uniquement des mots croisés et qui n’a pas de mémoire pour le reste. Pour développer ses capacités, il faut stimuler notre tête avec des mécaniques différentes. C’est pourquoi les jeux sont aussi bien : les règles changent d’un titre à l’autre, on s’adapte à nos adversaires…
Avez-vous aussi des films, des séries, ou de jeux vidéo à nous conseiller ?
Je vous recommande de regarder des œuvres à plusieurs degrés de lecture et qui se regardent plusieurs fois, comme Tenet ou Inception. Prenez le temps de visionner des films longs ou des documentaires – on a la chance d’en avoir sur des thématiques très différentes aujourd’hui. Pour les séries, essayez de ne pas les enchaîner ; prenez le temps de les digérer. Si vous demandez à une personne qui a bingé cinq saisons d’un show de vous raconter l’histoire quelques mois plus tard, elle ne s’en souviendra pas vraiment. Les biopics sont aussi super pour la mémoire, car ils nous renvoient à des moments historiques que l’on peut raccrocher à des instants de nos vies.
En ce qui concerne les jeux, misez sur les open world comme The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, qui sortira très bientôt. Ce type de jeu fait appel au même GPS interne utilisé dans l’hippocampe pour nos trajets dans la rue. De plus, ils sont très variés : il y a des énigmes à résoudre, de l’immersion… Contrairement à ce que certains pensent, les jeux de stratégie ne nous abrutissent pas. Au contraire. Un titre comme Fortnite nécessite de mettre en place des stratégies, de communiquer avec son équipe, de connaître toutes les maps par coeur… C’est ultrastimulant pour la mémoire.
Dans votre spectacle, vous parlez de rêves lucides. Avez-vous des tips pour nous aider à développer cette capacité ?
Pendant longtemps, on pensait que les rêves lucides n’existaient pas et que les dormeurs avaient simplement l’impression de pouvoir contrôler leurs songes. Des études ont démontré le contraire : on peut vraiment avoir conscience qu’on est en train de rêver. Les trois grands tips pour tenter ce type d’expérience sont simples. Premièrement, répétez-vous “je vais rêver en ayant conscience que je rêve” avant de dormir pour envoyer un message fort à votre inconscient.
Ensuite, rappelez-vous de ce que vous avez vécu durant votre nuit. Avant même d’ouvrir les yeux (et de vous jeter sur votre téléphone), essayez de “jubjoter”, de vous replonger dans vos rêves. Agrippez-vous aux plus petits détails pour le revivre avant de tout écrire dans un carnet.
Enfin, habituez-vous à faire des tests de réalité. Dans la journée, regardez l’heure, regardez sur le côté, puis regardez de nouveau l’heure pour vérifier qu’elle soit cohérente. Dans vos rêves, vous aurez le même réflexe sauf que les minutes ne s’écoulent pas de la même manière. Le cerveau a du mal à gérer les détails. Si vous voyez une incohérence, pas de panique, vous êtes en train de rêver ! Et ne vous mettez pas de pression : quelqu’un qui s’entraîne bien parvient à réaliser un ou deux rêves lucides maximum par mois.
Fabien Olicard est au Palais des Glaces jusqu’au 21 décembre et en tournée dans toute la France avec son spectacle Archétypes. Il animera aussi le programme La Grande Expérience, le 21 décembre sur TMC, dans lequel il montrera au public la puissance de leur mémoire, de leur esprit et des mensonges.