Entretien

“Il y a ce petit parfum sexiste, grossophobe et homophobe dans les anciennes saisons de la Star Ac

25 novembre 2022
Par Agathe Renac
La première saison de la Star Academy a été diffusée en octobre 2001.
La première saison de la Star Academy a été diffusée en octobre 2001. ©Endemol, TF1

La Star Academy a fait son grand retour 21 ans après son lancement, et le ou la gagnante de cette nouvelle édition sera révélé lors de la finale, demain soir. L’occasion de revenir sur cette émission culte avec le plus grand fan de France, Flonflon Musique.

Vous avez profité du confinement pour vous replonger dans les premières saisons de la Star Academy, que vous commentiez sur votre chaîne Twitch. Était-ce par simple curiosité ou étiez-vous un adepte de la première heure ?

Je suis un enfant de la télé. En 2001, je regardais les six chaînes qui existaient et je consommais TF1 à mort. J’avais 9 ans quand la Star Ac a commencé et on savait déjà que cette émission serait particulière. Les familles l’acceptaient plus que le Loft, qui avait un côté très téléréalité et voyeuriste. À l’inverse, les parents et les enfants étaient habitués aux télécrochets et appréciaient suivre les élèves de cette école de musique.

J’adorais ce programme. J’achetais tous les magazines et j’ai même retrouvé ma carte de fan-club ! Quand j’ai appris que ma cousine avait pu assister au concert de la toute première saison, j’étais trop jaloux. Je regardais les quotidiennes quand je pouvais et j’étais devant les primes tous les samedis soirs avec mes parents. On attendait impatiemment le moment où Michal allait arriver sur scène pour chanter. J’ai maté les trois premières saisons assidûment, puis j’ai commencé à lâcher à partir de la quatrième, en 2004.

Vous étiez plutôt team Jenifer, Nolwenn Leroy, Élodie Frégé ou Grégory Lemarchal ?

Team Jenifer à fond ! Elle avait ce côté girl next door qui réussit. C’est le rêve absolu : tu n’es personne et tu deviens une star du jour au lendemain. Même avec du recul, je trouve son profil super intéressant. On a vécu la finale de la première saison comme celle d’une Coupe du monde. J’étais avec toute ma famille : mes cousins, mes tantes, mes parents… On voulait vivre ce moment ensemble et on était à fond. On appelait carrément TF1 pour donner notre vote à Jenifer. Plus de 12 millions de personnes étaient devant leur poste, c’était énormissime !

Vous avez regardé l’émission 20 ans après sa diffusion. A-t-elle tant vieilli que ça ?

Oui, et sur plusieurs aspects. Pour la première saison, on sent que la production y croyait à moitié : les premiers primes ne marchaient pas, leur plateau était tout petit, ils n’avaient pas de place pour danser… Quand ça a commencé à fonctionner, le niveau a augmenté. Ils ont mis les moyens, et ont même engagé un groupe pour accompagner les élèves. C’est devenu un télécrochet très quali, artistiquement parlant. En revanche, les propos ont très mal vieilli.

Quelles scènes vous ont particulièrement choquées ?

Il y en a tellement. Les réflexions sur les femmes, les homosexuels, les corps… C’est un festival. Comme tout le monde, j’avais complètement oublié. Quand j’ai tout revisionné il y a deux ans, je me disais : “Trop bien, je vais retrouver Jean-Pascal, il me faisait trop rire quand j’étais petit”. J’avais tout faux : c’est le pire. Ce qu’il dit est juste ignoble.

Dans une séquence, il explique que “la danse c’est pour les pédés et les tarlouzes du cul”. Il le répète plusieurs fois, et on entend le public rigoler derrière lui. Il y a aussi la fameuse séquence de présentation de Jenifer lors du premier prime qui mentionne ses mensurations. Le magnéto qui suit ne fait que parler de son poids et de ses complexes, et elle ajoute : “J’aimerais perdre des kilos pour être mieux”. C’est terrible.

Il y a ce petit parfum sexiste, grossophobe et homophobe dans chaque ancienne saison de la Star Ac. Par exemple, Nikos parle des élèves comme des “charmantes créatures de l’académie”. Ces propos n’existent (heureusement) plus aujourd’hui. Récemment interviewé par France Inter, il a reconnu que des remarques problématiques étaient diffusées dans l’émission et qu’il était de leur devoir que ça change.

Il a tenu parole et je suis très satisfait de cette nouvelle saison. Par exemple, ils répètent qu’il faut être soi-même. J’aurais aimé entendre ces phrases-là quand j’étais petit. Quand on voit leur prof de sport leur dire : “Je ne suis pas là pour vous changer physiquement, mais mentalement, pour que ça vous fasse du bien”, je me dis qu’on est loin de la première saison où un diététicien venait sur le plateau pour expliquer qu’il faut perdre du poids pour devenir une star.

Il y a quelques mois, on a appris le grand retour de la Star Ac sur TF1. Qu’avez-vous pensé de ce retour ?

En réalité, j’étais au courant depuis un an. J’ai une communauté de fous furieux qui ont plein d’infos sur ce milieu. L’officialisation a traîné, car la production voulait absolument Nikos et le château. C’était leurs conditions pour valider ce retour. Pour tout vous dire, je pensais que cette nouvelle saison était une mauvaise idée, qu’il fallait laisser au passé ce qui appartient au passé. Je me suis dit que la Star Ac, qui reposait sur des jugements toxiques, ne pouvait pas fonctionner en 2022. Par exemple, les debriefs de Raphaëlle Ricci les lendemains de prime ne passeraient pas aujourd’hui. Elle détruisait les élèves un par un, c’était hyper problématique.

“Le seul bémol du casting, c’est le choix du directeur. (…) Il a défendu le fait que des documentaires antisémites et complotistes, comme Hold Up, soient diffusés sur sa plateforme.“

Flonflon Musique

Le Québec a relancé l’émission il y a quelque temps et ça a cartonné, mais leurs épisodes dégoulinaient de bienveillance. Les Français n’ont pas la même mentalité, donc je pensais que ce format ne fonctionnerait pas chez nous. Je l’admets : j’avais tort. Cette nouvelle saison est super. Le vrai challenge était le casting, aussi bien au niveau des profs que des élèves, et ils ont assuré. C’est quasiment parfait. Il y a de bons profils, drôles et bienveillants, c’est vraiment équilibré.

Le seul bémol, c’est le choix du directeur. Michael Goldman est un grand producteur, il est dans le métier depuis 20 ans, il a dirigé My Major Company, il est “fils de”… Je le trouve très pertinent dans l’émission, mais ce qu’il a fait il y a deux ans m’a scandalisé et je ne comprends pas pourquoi on n’en parle pas plus. Parmi toutes ses activités, il est patron de Tipeee. Il a défendu le fait que des documentaires antisémites et complotistes, comme Hold Up, soient diffusés sur sa plateforme. Il a dit : “Je soutiendrai tous les contenus de mon site, du plus antisémite, au moins antisémite”. Le fait que TF1 ait fait fi de cette déclaration me révolte.

Entre les premières et la dernière saison, les codes de la téléréalité ont été bouleversés par des émissions comme Secret Story, Les Anges, ou encore Les Marseillais. Les candidats de cette nouvelle Star Academy ont grandi avec ces modèles, mais les ont-ils influencés ? Y a-t-il plus de clashs, d’histoires d’amour…?

La question de la téléréalité est complexe. Je pense que les émissions de W9 ou NRJ12 n’appartiennent plus vraiment à ce genre. Les candidats sont payés, ce sont des influenceurs… On parle même de “série réalité”. Les spectateurs savent très bien que ces programmes sont fabriqués et artificiels. À l’inverse, le but de la Star Academy n’est pas de faire une téléréalité d’enfermement.

L’édition 2022 est vraiment marquée par cette idée que les candidats sont juste passionnés par la musique et veulent en faire leur métier. Alors oui, ils ont grandi avec des influenceurs, ils savent comment poser devant une caméra, ils demandent à leurs proches s’ils passent bien à la télé… Ils font attention à leur image, mais ce n’est pas plus mal. Dans les années 2000, cet univers était tout nouveau et la production manipulait les élèves. Aujourd’hui, ils ont davantage de contrôle sur ce qu’ils renvoient.

Quelles sont les différences majeures avec les premières saisons, mis à part la bienveillance ?

Ils ont gardé beaucoup de références cultes, comme le château, la minute de téléphone… Et c’est émouvant. J’ai l’impression d’avoir 10 ans à nouveau. Il ne me manque plus que mon chocolat chaud et mes Pitch. La petite nouveauté, c’est les masterclass d’artistes. Ils viennent au château pour transmettre leur expérience aux élèves. Bilal Hassani a parlé de la gestion de son image sur les réseaux sociaux, M. Pokora de son rapport à la scène, aux télécrochets et de la traversée du désert qu’il a subie pendant trois ans… C’est hyper intéressant.

“Il manque cet aspect shōnen, où on prend plaisir à suivre un outsider qui n’est pas très fort mais qui se transcende.“

Flonflon Musique

Je pense que la vraie différence avec les saisons précédentes, ce sont les candidats. Ils ont choisi des amateurs très éclairés en musique, ou des semi-professionnels. À l’époque, c’était des nobody total, comme Jean Pascal par exemple. Aujourd’hui, ils arrivent, ils se mettent au piano, à la guitare, ils te sortent un truc de fou. Tu te dis que c’est cheaté [triché, ndlr] !

Le fait qu’ils aient tous un bon niveau n’enlève-t-il pas du piquant ? Il n’y a plus vraiment ce challenge de les voir progresser…

C’est vrai. C’est le seul point que je remets en question. Il manque cet aspect shōnen, où on prend plaisir à suivre un outsider qui n’est pas très fort mais qui se transcende. Globalement, tout le monde chante très bien. Quand tu t’y connais en musique, tu peux voir les améliorations, mais quand tu es novice, tu vois juste des personnes qui chantent très bien, tout le temps.

Certains élèves ne peuvent pas évoluer car ils ont déjà un niveau très élevé. D’autant plus que cette nouvelle saison est très courte ; ils n’ont pas ce temps long pour réellement s’améliorer. Il aurait fallu trois ou quatre semaines supplémentaires. Du coup, tout réside dans l’émotion et l’attachement des spectateurs à un candidat particulier. Malgré ce niveau de fou, on a tous notre chouchou qu’on ne veut pas voir partir.

Les invités sont-ils essentiellement des “produits TF1” ou la production a-t-elle réussi à attirer de gros guests cette saison ?

Ils l’ont dit : cette saison est un test. Je dois admettre qu’ils ont du mal à faire venir de gros groupes internationaux, mais j’apprécie beaucoup l’éclectisme des invités – ce qui n’était pas forcément le cas avant. Samedi dernier, c’était effectivement un plateau très TF1 compatible, avec Zazie, Dadju, Kenjdi, M. Pokora… En revanche, les autres semaines, il y a eu Pomme, Juliette Armanet, Louise Attaque, Feu! Chatterton, qui sont davantage des artistes France Inter ! Beaucoup de spectateurs critiquent le fait qu’il y ait uniquement des chanteurs ou groupes français, alors qu’à l’époque, il y avait Rihanna et Beyoncé.

Déjà, je trouve que les Français sont très bons. Ensuite, ces invités internationaux étaient exceptionnels – il y avait plus souvent Serge Lama et Dany Brillant – et ils n’avaient pas le succès qu’ils ont aujourd’hui. Rihanna ne pesait pas des milliards de dollars, Beyoncé était présentée comme la “nouvelle Madonna” et sortait des Destiny’s Child…

La vraie particularité de cette nouvelle saison, c’est le fait que les invités ont grandi avec la Star Ac et on sent qu’ils sont trop heureux d’être sur le plateau. Ils sont émus et ils font comprendre aux élèves qu’ils auraient rêvé d’être à leur place. Ces artistes ne sont pas méprisants, contrairement à avant, où il y avait ce côté statutaire avec Michel Sardou, Garou, Marc Lavoine…

Ce retour surprise pourrait-il se pérenniser ? La Star Academy pourrait-elle devenir un concurrent sévère de The Voice, l’autre émission phare de TF1 ?

Je n’aurais jamais cru à un retour gagnant, mais c’est un succès. Les audiences sont bonnes, TF1 semble ravi. La quotidienne et le replay cartonnent. Des rumeurs affirment qu’il y aura une autre saison l’an prochain, et je suis quasi certain qu’elle sera plus longue. Concernant The Voice, je n’en ai aucune idée. En tant que spectateur, je préfère clairement la Star Academy. L’autre m’ennuie. Le concept des fauteuils qui se retournent est redoutable. Je regarde toujours les premières émissions, puis j’arrête à partir des battles parce qu’ils entrent dans le télécrochet ultra mis en scène.

Même si la Star Ac a misé sur des chanteurs très forts, j’adore le fait de pouvoir suivre leur quotidien, voir les cours… On apprend plein de choses. Finalement, les deux émissions sont centrées sur la musique mais elles sont très différentes. Je pense qu’elles peuvent coexister sans problème, toujours avec Nikos – qui est, soit dit en passant un monstre (ou un robot) pour enchaîner toutes ces émissions.

Votre verdict pour demain soir ? Qui gagnera la finale ?

Je mise sur Enola !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste