Le jeu Zombicide fête ses 10 ans cette année ! Ses auteurs français, Jean-Baptiste Lullien, Raphaël Guiton et Nicolas Raoult parlent peu. Pourtant, ce sont des stars du jeu de société. Publiée par la société américaine Cool Mini Or Not, la gamme Zombicide a cumulé plus de 35 millions d’euros sur la plateforme de financement participatif Kickstarter. Il était vraiment temps de leur donner la parole !
D’où est venue l’idée de créer un jeu de figurines à la mécanique abordable pour le grand public ?
Jean-Baptiste Lullien : Nous voulions tout simplement créer un jeu auquel on pouvait aussi bien jouer avec nos enfants qu’avec nos grands-parents. Habituellement, ce genre de jeux avec des dés et des figurines, ce qu’on appelle des jeux “ameritrash”, utilisent des systèmes pour les joueurs experts. L’autre idée était de réduire au maximum la mise en place. Parfois, il est possible de passer deux heures à préparer les éléments et terminer la partie au bout d’une heure. Le défi était de ne laisser que les mécaniques de jeu qui était indispensables et de tout lisser au maximum. On a eu de belles engueulades à ce sujet lors du développement de Zombicide d’ailleurs. (Rires)
Pourquoi un univers d’invasion de zombies ?
J.-B. L. : À la fin des années 2000, les zombies étaient vraiment revenus à la mode. Et au-delà de ça, c’est un adversaire neutre. On ne peut pas reprocher à quelqu’un de jouer à tuer des zombies. Cela décomplexe énormément la violence ! Nous ne voulions pas faire un jeu dans lequel tuer des gens serait banal. Le zombie était donc la solution parfaite pour exercer une violence sans état d’âme.
Les jeux Zombicide sont édités par des Américains et non par des Français (bien qu’Asmodée distribue le jeu en France), pourquoi ?
Raphaël Guiton : La raison est très simple. Jean-Baptiste, Nicolas [Raoult], moi-même et les sculpteurs des figurines connaissions David Preti de Cool Mini or Not (CMON) depuis longtemps. À l’époque, CMON était une petite société, et lorsque nous avons eu l’idée de Zombicide, nous nous sommes naturellement tourné vers eux par amitié. Ils ont tout de suite accepté avec, immédiatement, un énorme succès à la clé. Au fur et à mesure, nous avons grandi avec CMON et eux ont grandi avec nous.
Pourquoi être passé par des sites à financements participatifs dès le départ plutôt que par une distribution classique en boutique ?
R. G. : C’était une idée de David Preti qui, dès 2011, avait compris le potentiel de ces plateformes. Nous, en tant que petits Français, nous trouvions cette solution étrange. Mais, au bout de toutes ces années, nous pensons désormais tous nos Zombicide spécifiquement pour ces campagnes de crowdfunding. Cela implique qu’au-delà de la boîte de base [trouvable en boutique, ndlr], nous nous devons de trouver tout un tas d’éléments annexes à offrir en contreparties : des figurines exclusives, des boîtes d’extensions, du matériel supplémentaire… La cohérence se doit d’être de mise, ça ne peut pas être du plastique balancé pour remplir la page de la campagne.
L’abondance de matériel, et notamment de figurines, comme dans Zombicide, a donné naissance au terme un peu péjoratif de jeux “kilo-plastique”. Comment réagissez-vous à cette étiquette ?
R. G. : Ce n’est pas comme si on fabriquait des gobelets jetables… Nos figurines sont très travaillées, les sculpteurs les améliorent à chaque fois. Idem pour les cartes et les tuiles. Notre système de jeu a besoin de tout ce matériel. Cela fait partie du plaisir et de l’attrait du public pour ces jeux. Bien entendu, on utilise du plastique, mais cela ne représente pas le plus gros poids de la boîte.
J.-B. L. : Oui, le jeu utilise du plastique, c’est sûr, mais nous avons pensé Zombicide comme un jeu durable. Quand je fais des tests pour des jeux que nous créons, j’utilise encore des figurines du tout premier Zombicide : elles ont été fabriquées très soigneusement et dans un plastique vraiment solide. C’est aussi en partie pour cela que nous utilisons des tuiles au lieu d’un plateau pliable, car ces plateaux finissent par s’user et se déchirer. Nous pensons toujours les Zombicide pour qu’ils puissent être joués de nombreuses fois, pour que les figurines puissent être peintes, pour qu’on puisse les revendre d’occasion en bon état et qu’ils puissent avoir la plus longue vie possible. Une démarche que nous avons eue dès le début. Je ne crois pas que nous ayons à culpabiliser vis-à-vis de l’environnement.
N. R. : Et il n’y a pas que le matériel qui est durable ! Le système du jeu l’est tout autant. De nombreux scénarios sont publiés régulièrement pour tous les Zombicide. On peut jouer à ce jeu toute une vie, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de jeux du même type. Depuis le temps, nous aurions pû créer un Zombicide avec un système Legacy (type de jeux dont le matériel est altéré, voire détruit, au cours des parties, ndlr) avec des autocollants, des cartes à déchirer, etc. Mais cela nous posait justement des problèmes éthiques par rapport au gaspillage.
Le succès de Zombicide empêche-t-il parfois de remettre en question la mécanique ou le concept même de la gamme ? N’avez-vous pas finalement créé un système de jeu tellement efficace qu’il en devient très peu évolutif ?
R. G. : Nous ne faisons jamais de changement de règles ou d’éléments au seul prétexte de “faire du neuf”. Il nous est arrivé de changer un point de règle d’un Zombicide à l’autre en écoutant tout simplement le retour des joueurs. Il faut savoir qu’on pense toujours un nouveau Zombicide à partir de son plateau, de l’environnement dans lequel vont évoluer les personnages. Il faut déjà tester si cet environnement est intéressant et modulable. Des projets de Zombicide ont déjà été jeté à la poubelle parce que la géographie du plateau n’était pas assez intéressante. C’est en partant des lieux où va se dérouler l’action que nous adaptons les règles du système. On garde certaines évolutions dans le Zombicide suivant, tout en intégrant de nouveaux mécanismes liés au nouveau plateau. Nous avons ainsi eu de nombreux concepts au cours des dix ans de la gamme : l’eau, le vide, l’obscurité… Rien n’est gratuit.
N. R. : Nous ne partons pas du principe que nous avons créé une mécanique parfaite et immuable. Loin de là ! Nous adaptons sans cesse la mécanique en essayant de ne pas abîmer le cœur du moteur du jeu – qui a d’ailleurs du mal à être défini finalement, car il est extrêmement modulable. Toute notre démarche est d’adapter le moteur du jeu à un univers, et non l’inverse.
J.-B. L. : Il y a également des adaptations dues à l’évolution du jeu de société. Par exemple, un constat s’est imposé à nous : le public demandait davantage de narration au sein des jeux d’action. Les joueurs sont un peu lassé des simples “battle royale”. Nous avons inclus ce nouveau paradigme dans les deux extensions de Zombicide 2e édition : Washington Z.C. et Fort Hendrix. L’histoire y est beaucoup plus poussée, quitte à les rendre un peu moins rejouable que nos créations précédentes. C’est le revers de la médaille : si on met davantage de narration et d’inattendu, alors on s’éloigne du système de rejouabilité infinie.
Comment les différents univers pour les nouveaux Zombicide sont-ils choisis ?
R. G. : Pour être honnête, ce sont des idées qui viennent d’un peu partout. Zombicide Undead or Alive [l’un des plus récents de la gamme, ndlr] a vu le jour car l’un des sculpteurs de figurines du jeu est un fan absolu de westerns. L’illustrateur était également fan et nous a fait des dizaines de dessins en une semaine… Cela a plu à Cool Mini Or Not et on s’est lancés. C’était pourtant un risque, car le western ne fait plus vraiment partie de la pop culture.
L’univers de l’heroic fantasy (Zombicide – Green Horde et Black Plague) nous paraissait étrange pour un jeu de zombies, mais David Preti de CMON nous a convaincus. Le Zombicide de science-fiction (Zombicide – Invader), lui, nous a presque été imposé. CMON travaillait avec le célèbre illustrateur Adrian Smith, qui a créé beaucoup de concepts pour un jeu de science-fiction. Ils se sont dit que cela ferait un super univers pour la gamme. C’était donc un exercice très spécial pour nous, car nous étions au service de concepts visuels extérieurs. Finalement, l’expérience s’est révélée très intéressante. Même si nous avons dû, parfois, faire des concessions sur les univers, nous restons des auteurs assez libres. CMON ne touche quasiment jamais à nos règles.
Comment analysez-vous le succès indéfectible de la gamme Zombicide après 10 ans d’existence ?
J.-B. L. : Chacun d’entre nous a son explication. Pour ma part, je pense que le premier Zombicide est sorti au bon moment, en pleine “zombiemania”. Des tas de jeux sur ce thème ont suivi. Les jeux coopératifs étaient également plus rares, car il faut créer une intelligence artificielle qui gère les méchants et c’est assez compliqué. Nous avons également bénéficié des lumières de David Preti, une pointure aussi bien dans le domaine du jeu que du business. Et puis, ce n’est pas pour nous jeter des fleurs, mais nous avons également énormément travaillé pour créer ce jeu !
N. R. : C’est un jeu aux règles simples sur un sujet léger, car on n’est davantage dans le jeu d’action que dans un jeu d’horreur. Cela a permis de toucher un public très familial. Même si l’âge indiqué sur les boîtes est 13 ans, il est possible de jouer avec des enfants de 7 ans. C’est un jeu que l’on peut sortir à tout moment. Même si on ne connaît pas toutes les règles sur le bout des doigts, il y a toujours un référent à la table qui pourra expliquer simplement ce qu’on peut y faire ou pas.
R. G. : C’est le côté très pratique du jeu coopératif. Il suffit d’une personne connaissant bien les règles pour pouvoir entamer une partie. Cela a beaucoup facilité l’entrée du grand public dans l’univers du jeu. Et puis… C’est cool de buter du zombie !
La gamme Zombicide
Voici toutes les variantes des jeux Zombicide. Cette liste n’inclut pas les nombreuses extensions et compléments de matériel.
Zombicide – saison 1 (2012)
Un jeu de figurines coopératif aux règles simples et qui explose les scores sur le site de financement participatif Kickstarter. Une petite révolution !
Zombicide – Black Plague (2015)
Fini les décors urbains ! La gamme se transpose dans le monde de l’heroic fantasy.
Zombicide – Green Horde (2018)
La suite de Black Plague. Ici, les gobelins et les orcs sont zombifiés.
Zombicide – Invader (2019)
Sur une idée de l’éditeur, les auteurs adaptent leur concept dans la science-fiction. Les zombies sont désormais de dangereux aliens.
Night of the living dead – A Zombicide Game (2021)
Jeu hommage à l’œuvre référence des zombies : La Nuit des morts-vivants du réalisateur
George Romero (1968).
Zombicide – 2nd édition (2021)
Retour aux décors urbains et contemporains. Les auteurs en profitent pour rafraîchir
les règles de leur classique.
Zombicide – Undead or Alive (2022)
Les zombies au Far West ! Un immense clin d’œil au genre, de John Ford à Sergio Leone,
en passant par Tarantino.
Marvel Zombies – A Zombicide game (2023)
Zombicide reprend une série de comics Marvel dans laquelle les célèbres super-héros
sont des zombies. Le jeu atteint près de 10 millions d’euros lors de sa campagne
de financement participatif.
Remerciements à Cédric Gimzia d’Asmodée.