Ukraine, Afghanistan, Azerbaïdjan, Arménie, menace impérialiste chinoise sur Taïwan… C’est dans ce contexte que les photoreporters de guerre ont œuvré cette année pour la démocratie et la liberté, en racontant les conflits depuis le terrain. Voici quelques noms récompensés en France en 2022 pour leur travail essentiel.
Reporter de guerre n’est pas seulement un métier, c’est aussi une vocation humanitaire, un choix de vie qui consiste à raconter la guerre et ses conséquences sur celles et ceux qui la vivent. Un ou une reporter de guerre accepte ainsi de partager des dangers mortels avec la population par nécessité d’informer, d’établir un récit de terrain – et, peut-être, une justice.
« Sans eux, que saurions-nous des bombardements incessants, de l’avancée des troupes russes, de la réalité du quotidien des habitants de Kiev, Marioupol ou Odessa ? » se demandent les organisateurs du prix Bayeux Calvados-Normandie pour les correspondants de guerre.
En août, une stèle portant 66 nouveaux noms a été ajoutée au mémorial des journalistes de guerre à Bayeux, en l’honneur des journalistes tués dans le monde ces deux dernières années, dont l’Américano-Palestinienne Shireen Abu Akleh et l’Ukrainien Maks Levin, ainsi que le Français Frédéric Leclerc-Imhoff.
En 2022, 46 journalistes et quatre collaborateurs média ont été tués dans le monde dans l’exercice de leurs fonctions ; 513 journalistes et 21 collaborateurs sont actuellement en prison en raison de leur travail, dont 241 ont été emprisonnés cette année.
« C’est à nous, journalistes, de rechercher la vérité et de la diffuser par tous les moyens. Face à la fatalité des événements, notre jugement est soumis à rude épreuve et l’œil du photographe ne transmet que ce qu’il voit : un instantané de guerre. Mais comme il y a toujours plusieurs photographes, plusieurs journalistes sur un même conflit, cette succession de témoignages finira par raconter “l’histoire-bataille”, au plus près de la vérité des faits », affirme Patrick Chauvel, grand nom du journalisme de guerre français, qui aime à se décrire comme un « rapporteur de guerre » et à qui RSF a consacré un album cette année.
De nombreux prix photographiques français ont mis en avant ces reporters courageux cette année – marquée par l’omniprésence des guerres – en récompensant leur engagement et leur travail pour la défense des libertés et de la démocratie. Car le reporter de guerre œuvre pour la communauté humaine en se faisant le garant de la pluralité du récit historique.
Evgeniy Maloletka raconte le dramatique siège de Marioupol
Lauréat du prix Nikon Bayeux Calvados-Normandie et du Visa d’or News à Visa pour l’image, Evgeniy Maloletka est un photo-reporter ukrainien originaire d’un village à une soixantaine de kilomètres de Marioupol. Ses images du terrible siège de la ville et des bombardements qui ont frappé les infrastructures civiles ont fait le tour du monde, et sont devenues le symbole de la résistance ukrainienne.
Le prix récompense le photographe d’Associated Press qui, avec le cameraman Mstyslav Chernov, était le seul présent sur le terrain lors de l’attaque de l’armée russe. Avec ses photos, il a couvert trois événements cruciaux de la guerre : le bombardement de la maternité de Marioupol le 9 mars, le bombardement du théâtre le 16 mars et la prise de l’usine Azovstal le 20 mai.
Ces images poignantes racontent la guerre sans spectacularisation et rappellent à quel point le rôle de la photographie de guerre reste essentiel. Dans une interview accordée à Polka, il raconte :
« À un moment, nous avons dû demander aux éditeurs d’arrêter de nous publier parce que les forces russes pouvaient comprendre où nous étions. Notre vie était en jeu. Les médias officiels russes et les trolls ont commencé à nous attaquer sur les réseaux sociaux. L’ambassade de Russie à Londres a même utilisé Twitter pour décrédibiliser notre travail. Et le Kremlin nous a accusés de terrorisme. Ils ne s’attendaient pas à ce qu’il y ait des journalistes dans la ville. »
Evgeniy Maloletka
Depuis le 15 mars, comme le rappelle le photographe, Marioupol est totalement contrôlée par les russes et aucun photojournaliste n’est présent sur place pour renseigner sur le nombre de civils réellement tués, même si certains ont rapporté un nombre de morts s’élevant à 10 000 en trois mois.
La photo emblématique du travail d’Evgeniy Maloletka est celle d’Irina, la femme de 31 ans qui est décédée avec son enfant suite au bombardement de la maternité de Marioupol. Dans le cliché tragique, on la voit transportée par les secouristes vers une ambulance, une blessure sur le ventre, le regard perdu dans le vide.
Suivre Evgeniy Maloletka sur Instagram.
Oksana Parafeniuk, l’Ukraine avant et après
Exposée cette année aux Femmes s’exposent, Oksana Parafeniuk est une photographe indépendante basée à Kyiv, en Ukraine. Depuis six ans, elle photographie la vie quotidienne en Ukraine. Avec l’explosion de la guerre, elle a donné vie à l’exposition Ukraine, la vie d’avant, dans laquelle elle met en parallèle la vie avant la guerre avec la guerre en cours. En travaillant pour plusieurs médias internationaux, dont Libération, elle a rendu compte ces derniers mois de la réalité sur le terrain ukrainien.
« Il est important de comprendre à quel point il est difficile pour les photographes ukrainiens de travailler sur place en ce moment. Au cœur de la guerre, ils doivent parfois quitter leur maison en emportant le strict minimum, alors que des amis et des parents restent dans les villes bombardées. Nous travaillons dans des conditions extrêmement dangereuses », a-t-elle rappelé lors du festival Les Femmes s’exposent à Houlgate.
« Je vois les terrils houillers à Toretsk, une usine de coke à Avdiivka – lieux de combats très violents –, les rues de Kyiv et le mémorial de Maïdan, le sanatorium près d’Odessa : tous ces endroits vivent l’enfer et la terreur », poursuit-elle.
« Toute l’Ukraine, en lutte pour sa liberté, est en proie à une douleur et un chagrin immenses. Maintenant, plus que jamais, je comprends l’importance de documenter sur mon pays, de préserver la mémoire des villes ukrainiennes et des Ukrainiens chaque jour qui passe. »
Oksana Parafeniuk
Kiana Hayeri documente la condition des femmes afghanes
Lauréate du prix Leica Oskar Barnack 2022, l’Iranienne Kiana Hayeri documente depuis des années la vie des femmes afghanes. Dans sa série poignante Promises Written on the Ice Left in the Sun, elle se penche sur les bouleversements que l’arrivée au pouvoir des Talibans en 2021 a entraînés.
Les Talibans ont détruit tout ce qui avait été obtenu en termes de liberté d’expression, de droits des femmes et d’éducation, et l’ont remplacé par la peur et l’insécurité. Kiana a capturé des photographies de femmes afghanes en 2018 et 2021 : parmi elles, une enseignante de yoga, une femme heureuse en train de danser dans une salle d’attente, une policière devant le commissariat…
Avec l’arrivée des islamistes, la professeure de yoga a dû fuir avec sa famille, la policière s’est d’abord cachée dans des abris souterrains et a ensuite fui en Allemagne. Ce sont ces destins brisés par la guerre et le totalitarisme que Kiana Hayeri raconte avec courage, en mettant sa vie de femme et de photographe en danger permanent.
Kiana Hayeri considère l’Afghanistan comme « un lieu d’extrêmes, où le meilleur et le pire de l’humanité vivent, côte à côte : la peur et le courage, le désespoir et l’espoir, la vie et la mort coexistent ».
Une exposition lui a été consacrée à Bayeux : Afghanistan, des promesses gravées dans la glace, laissées au soleil. À cette occasion, elle déclarait à Ouest-France : « de plus en plus de restrictions sont imposées aux journalistes. On doit signaler tout voyage en province, il y a aussi des sujets dont on ne peut pas parler, sous peine de menaces… Nous sommes constamment intimidés. Nous, journalistes, mais aussi les Afghans avec lesquels nous travaillons. »
Suivre Kiana Hayeri sur Instagram.
Sameer Al-Doumy suit les dangereuses routes de l’immigration entre la France et l’Angleterre
Sameer Al-Doumy (AFD), Visa d’or humanitaire du Comité international de la croix-rouge (CICR) à Visa pour l’Image, a remporté ce prix pour sa série Les Routes de la mort, qui raconte les dangers de la traversée des migrant·e·s entre la France et l’Angleterre.
Dans ses clichés, le photographe retranscrit la tension existentielle de ces personnes migrantes, prises dans un quotidien impossible et dans une situation d’irrégularité provoquant leur mise en danger. Un travail qui invite une fois de plus à regarder autrement ces bras de mers aux périphéries de l’Europe, entre la Sicile et l’Afrique, la Grèce et la Turquie, la France et l’Angleterre, devenus des cimetières à ciel ouvert.
Après des années de transit à travers d’innombrables pays, de nombreux migrants qui ont fui la guerre ou des catastrophes naturelles se retrouvent à Calais. Ils passent alors des semaines dans des camps de fortune sur la côte française, à espérer pouvoir rejoindre leur destination finale, le Royaume-Uni. Après avoir payé environ 3 000 euros par personne à des passeurs, ils embarquent à bord d’un canot pneumatique équipé d’un tout petit moteur et tentent de traverser la Manche illégalement pour atteindre l’Angleterre afin de commencer une nouvelle vie.
Ces traversées sont périlleuses, à l’image de celle qui a fait 27 morts le 24 novembre 2021. Lui-même réfugié syrien, Sameer Al-Doumy raconte :
« Arabophone, j’ai pu nouer un contact assez rapidement avec les gens installés dans les camps. Et, surtout, l’AFP m’a donné du temps. Ma première semaine sur le terrain, je n’ai pas pris un cliché. J’ai voulu gagner leur confiance. »
Sameer Al-Doumy
Par son travail, il explique avoir voulu raconter le quotidien des migrants : « L’attente, les relations avec les passeurs, la fatigue, les difficultés pour des jeunes femmes de se laver dans des conditions misérables… »