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En Ukraine, les photojournalistes racontent la guerre

01 avril 2022
Par Costanza Spina
Lviv, Ukraine - 7 mars 2022. Réfugiés ukrainiens à la gare de Lviv.
Lviv, Ukraine - 7 mars 2022. Réfugiés ukrainiens à la gare de Lviv. ©Ruslan-Lytv

Afin de suivre de la manière la plus pointue possible le conflit en Ukraine et de soutenir l’immense travail des photojournalistes de guerre, nous mettons en avant quelques noms à suivre sur les réseaux sociaux. Des femmes et des hommes qui sont actuellement sur le terrain, entre Odessa, Kiev et Mykolaïv, et qui délivrent quotidiennement une information libre tout en apportant leur aide aux populations locales.

« L’importance du reportage en Ukraine c’est d’alerter et de témoigner sur un conflit qui risque de mettre fin à 60 ans de paix en Europe. C’est très important de couvrir cet événement, parce qu’on est à la limite d’un drame international beaucoup plus fort. » C’est avec ces mots que le photojournaliste Patrick Chauvel a commenté le conflit ukrainien et le rôle des reporters de guerre, alors qu’à plus de 70 ans il vient de rentrer d’Ukraine.

Depuis près d’un mois, l’invasion russe de l’Ukraine se poursuit, laissant l’Europe et le monde pantois face au retour de la guerre sur le continent. Fin mars, les fronts se stabilisent et les bombardements se poursuivent dans plusieurs villes : Marioupol semble l’objectif principal du régime de Poutine, ville martyre de ce conflit, assiégée, dont le théâtre où des civil·e·s se réfugiaient a été détruit la semaine dernière. Un bilan humanitaire impossible à établir à l’heure actuelle, alors que des images accablantes défilent sur nos écrans. Le maire de la ville a qualifié cet acte de « génocide ». Les trois seul·e·s journalistes présents à Marioupol parlent d’« un [bombardement] par minute ». L’objectif : asseoir le contrôle russe sur la mer d’Azov.

Une guerre de siège

Parallèlement, le siège d’Odessa se prépare avec les troupes russes massées à 120 kilomètres de la ville, prêtes à ouvrir une brèche sur la Mer noire. Kiev, la capitale, résiste et l’armée russe reste bloquée aux portes des banlieues nord de la capitale. Le conflit se transforme de plus en plus en « guerre de siège » : n’ayant pas pu avancer et conquérir aisément la capitale, l’armée russe s’attaque aux villes et s’y prend de plus en plus aux civil·e·s, essayant ainsi de provoquer une capitulation par épuisement.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 3 millions de personnes ont fui l’Ukraine, dont plus de 1 million d’enfants. 1,79 million de personnes ont trouvé refuge en Pologne depuis le 24 février, selon le tableau de bord du Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés. La semaine dernière, les États-Unis confirmaient l’envoi de près d’un milliard de dollars d’aide militaire, alors que la France devrait débloquer 300 millions d’euros.

Le 18 mars, anniversaire de l’invasion de la Crimée en 2014, Poutine appelait les Russes à la ferveur nationale dans un stade de foot rempli, en mode télévangéliste, accompagné de chœurs et de chants festifs.

Raconter ce qu’il se passe

Sur place, des photojournalistes courageux·ses nous rapportent chaque jour des images terribles de ce conflit, contribuant largement à la mobilisation générale en faveur de l’Ukraine. Instagram est devenue l’une des sources majeures d’information et la plateforme la plus immédiate utilisée par ces reporters. Alors que Facebook, Twitter et Instagram sont désormais bloqués en Russie, certain·e·s photographes de guerre à l’international se mobilisent pour raconter au reste du monde ce qu’il se passe. Comme le rapporte le français Éric Bouvet, il est néanmoins impératif de se renseigner auprès de sources vérifiées, le Web étant parfois le terrain de désinformation et d’imprécisions.

Afin de saluer l’action de ces journalistes et leur engagement, pour soutenir leur travail et nous informer sur des comptes Instagram fiables, nous répertorions ici les profils de quelques photojournalistes que vous pouvez suivre.

1 Laurence Geai, agence Myop, pour Le Monde

Laurence Geai suit le conflit depuis Mykolaïv, une ville de 500 000 habitant·e·s près d’Odessa. Née le 25 mai 1984, elle est lauréate du grand prix Les Femmes s’exposent en 2020 et d’un World Press Photo en 2021. Membre de l’agence de photographie Myop, elle est actuellement en Ukraine pour Le Monde.

Dans ses reportages, elle a couvert d’abord les manifestations contre la guerre ayant eu lieu à Paris il y a près d’un mois, puis la situation dramatique des civil·e·s à Odessa et Mykolaïv. Au début du conflit, elle a immortalisé l’exode massif de femmes et enfants, comme dans cette image poignante.

« Les pères, fils, maris sont obligés de rester pour défendre leur pays. Sur cette image, un homme dit au revoir à sa femme, en larmes à droite, et à son bébé. C’est déchirant », commente la photographe. Dans un autre reportage, elle s’intéresse au sort des animaux du zoo de Mykolaïv. « Le zoo de Mykolaïv s’est pris des roquettes depuis le début de la guerre. Les Russes sont aux portes de la ville et bombardent quotidiennement. La moitié du personnel a fui la ville et certains hommes sont partis combattre. Le directeur, lui, a décidé de rester pour ne pas abandonner les animaux. Du fait des bruits d’expulsion et des multiples attaques, les animaux sont très stressés. »

Ces derniers jours, la photographe a immortalisé les civil·e·s et les militaires se préparant à l’assaut des Russes, qui semble imminent.

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2 Erin Trieb, réalisatrice et photojournaliste pour National Geographic et le New York Times

Erin Trieb est une photojournaliste américaine ayant déjà couvert des conflits au Moyen-Orient ou en Afghanistan. Elle a notamment suivi les combattantes kurdes des unités de protection de la femme en Syrie. Elle collabore avec le New York Times, Smithsonian Magazine et National Geographic. Depuis trois semaines, elle est basée à Kiev et particulièrement dans sa banlieue nord, Irpin, qui résiste et empêche avec succès l’avancée des troupes russes dans la capitale ukrainienne.

« Au cours des deux dernières semaines, des milliers de citoyens ont fui Irpin et Bucha, deux bastions stratégiques au nord-ouest de Kiev, où les forces ukrainiennes et russes sont actuellement engagées dans de violents combats. Aujourd’hui, il ne reste plus que les malades ou les personnes âgées, ainsi que ceux qui refusent de laisser leur maison derrière eux. Sur la photo, le dernier poste de contrôle ukrainien avant le “no man’s land”, où des obstacles antichars, des camions de ciment et des mines empêchent les avancées des positions de défense russes et ukrainiennes. »

La photographe encourage activement à soutenir l’action d’Amnesty International pour protéger les civil·e·s.

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3 Éric Bouvet, photojournaliste, envoyé par Polka Magazine

Depuis 40 ans, Éric Bouvet documente l’histoire à travers son objectif et s’est affirmé comme l’un des photojournalistes les plus brillants de sa génération. Primé à plusieurs reprises pour son travail, du World Press Photo au Visa d’or en passant par le Prix du correspondant de guerre, il a publié l’année dernière un livre autoédité retraçant ses 40 années de carrière. Il était également le protagoniste d’une exposition à Visa pour l’image 2021.

Aujourd’hui, Éric Bouvet couvre le conflit ukrainien pour le compte du magazine Polka. Lui aussi s’est rendu à Irpin pour rendre compte de la résistance de Kiev. Sur son compte Instagram, le photographe délivre des sonoramas réguliers, dans la limite du possible pour un reporter de guerre. À travers sa voix et ses images, il nous parle de la réalité de la vie d’un photojournaliste sur le terrain et, dans l’un des derniers, il remet les points sur les « i » quant aux dangers de la désinformation pratiquée par certains médias en quête de contenus spectaculaires. Son reportage sur la condition des personnes âgées victimes de la guerre et des animaux que les réfugié·e·s emmènent avec elles·eux est particulièrement percutant.

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4 Aris Messinis, photographe en chef pour l’AFP Grèce.

Les images prises par Aris Messinis, photographe pour l’AFP Grèce, sont parmi les plus bouleversantes. Depuis le début du conflit, il a été d’abord basé dans l’est du pays, au campement de Stanytsia Luhanska, puis sur le front à Novoluhanske et à Chuhuiv, pour ensuite atteindre Kiev, où il est actuellement. Aris Messinis connaît bien les terrains de guerre et les crises migratoires, ayant couvert l’exode des migrant·e·s au large de la côte libyenne. Comme il l’indique, ce à quoi il a assisté dans sa carrière de photojournaliste « défie la raison ».

Le 22 février, alors que Vladimir Poutine reconnaissait l’indépendance du Donbass et de Lugansk, il écrivait sur son compte Instagram, flairant l’offensive majeure qui se préparait : « La reconnaissance des Républiques rebelles de Donetsk et de Lougansk enterre de fait le fragile processus de paix régissant le conflit dans l’est de l’Ukraine, connu sous le nom d’Accords de Minsk. Le Président russe a reconnu les rebelles malgré les avertissements répétés de l’Occident et la menace de sanctions massives à l’encontre de Moscou. »

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5 Patrick Chauvel, photojournaliste.

En 50 ans sur le terrain, Patrick Chauvel, grand nom du photojournalisme français, a couvert 34 conflits. Véritable symbole de cette profession, il vient, à plus de 70 ans, de rentrer d’Ukraine. Ironie du sort, le 4 mars dernier était publié l’album RSF qui lui est consacré et qui célèbre ses 50 ans de carrière. Dans une interview à Quotidien, il dresse le bilan de la situation ukrainienne.

« Le reportage en Ukraine est assez compliqué et du coup assez dangereux, parce que l’armée ukrainienne est totalement paranoïaque. Ils ne veulent pas qu’on les photographie, ils ont peur qu’on dévoile leur position aux Russes », expliquait-il à Brut. Alors que plus de cinq journalistes ont déjà trouvé la mort dans ce conflit, Chauvel rappelle avec amertume que les reporters ont « toujours été une cible » en temps de guerre. « Pour un pays de l’ex-Union soviétique, un journaliste c’est quelqu’un qui sert la propagande », continue-t-il, ce qui augmente le niveau de danger pour les professionnel·le·s sur place. De quoi nous rappeler l’importance de soutenir les photojournalistes et de continuer à se battre pour la liberté de la presse. Comme le rappelle le grand reporter, l’information libre est un gage de démocratie et plus il y aura d’informations autour de ce conflit, moins les gens pourront dire ensuite qu’ils et elles « ne savaient pas ».

Retrouvez l’album RSF qui lui est consacré paru le 4 mars :
Patrick Chauvel – 100 photos pour la liberté de la presse

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Article rédigé par
Costanza Spina
Costanza Spina
Journaliste