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Starlink : les astronomes s’inquiètent pour leurs observations

10 novembre 2022
Par Florian Gallant
Les satellites comme ceux de Starlink peuvent laisser apparaître des séries de points lumineux dans le ciel.
Les satellites comme ceux de Starlink peuvent laisser apparaître des séries de points lumineux dans le ciel. ©Forest Katsch/Unsplash

C’est un projet aussi inédit que controversé. Par sa filiale Starlink, l’entreprise Space X d’Elon Musk ambitionne de lancer près de 42 000 satellites dans le ciel pour offrir de l’Internet haut débit à l’humanité tout entière. D’autres entreprises ont aussi de hautes ambitions spatiales. Sauf que la multiplication des objets célestes laisse craindre aux astronomes, professionnels comme amateurs, des perturbations dans leurs travaux.

Beaucoup se souviennent de la première fois qu’ils ont vu les satellites de Starlink. « C’était en 2019 et Starlink venait de lancer 60 satellites en orbite. Ils se suivaient et formaient une sorte de train de satellites dans le ciel. Pour moi, c’était de la science-fiction de voir tous ces objets célestes en enfilade. C’était très rapide et impressionnant. Mais, très vite, j’ai eu une seconde impression : la peur de voir notre ciel barbouillé du passage de ces satellites. »

Ces propos, partagés durant une conférence en ligne, sont ceux d’Olivier Hainaut, astronome à l’ESO, l’European Southern Observatory de Marseille. Spécialisé dans les objets célestes de petites tailles du système solaires – astéroïdes, comètes, objets interstellaires et satellites –, l’astronome a publié une étude sur l’impact qu’aura la mise en orbite de nouvelles constellations de satellites par des entreprises privées sur l’observation du ciel. Selon lui, en 2021, près de 30 constellations regroupant 100 000 petits satellites encerclant la Terre (à des altitudes différentes) étaient prévus.

Tout le monde veut ses satellites

En effet, il n’y a pas que Starlink : d’autres projets spatiaux de télécommunications devraient se déployer dans un avenir proche, notamment ceux de l’entreprise britannique OneWeb, du canadien Telesat, des américains d’Amazon, Lynk et Facebook, mais aussi des russes de Roscosmos et des chinois d’Aerospace Science and Industry corp. Tous à diverses fins de télécommunication, mais surtout pour diffuser Internet. Objectif : avoir du réseau internet partout. Certes, en Amérique du Nord en premier lieu, mais dans le monde entier également. Un accès généralisé à Internet qui profiterait à de nombreux pays qui ne disposent pas encore des infrastructures nécessaires à un accès rapide, équivalent à la fibre en France.

Les astronomes sont extrêmement préoccupés par la possibilité que la Terre soit encerclée par des dizaines de milliers de satellites qui dépasseront largement les quelque 9 000 étoiles visibles à l’œil nu.

Si le projet de Starlink et consorts fait rêver nombre de personnes et pays, les astronomes, eux, font la grimace. Cette prolifération de nouveaux satellites inquiète. Contacté, l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG) a redirigé L’Éclaireur vers les propos de Fabien Malbet, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS, notamment à l’IPAG. 

« La question liée à la pollution lumineuse des satellites est d’actualité […] Cela impacte énormément les astronomes, aussi bien amateurs que professionnels, puisque la réflexion de la lumière du soleil sur ces satellites “éclaire” la nuit. Bien sûr, on ne parle pas de grands éclairages, mais bien uniquement de points lumineux que l’on voit se déplacer dans le ciel. Le hic, c’est leur nombre. »

Des satellites plus lumineux que les autres

En effet, si l’on utilise des satellites depuis les années 1960 – déjà pour les télécommunications –, on emploie aujourd’hui 3 000 satellites. Un chiffre qui monte à 19 000 si l’on compte également ceux qui ne fonctionnent plus. Avec des ambitions de 42 000 satellites rien que pour Starlink, on parle donc d’un ordre de grandeur supérieur et d’un impact visuel beaucoup plus important.

« Les satellites auront tout de même un gros impact sur tout l’écosystème astronomique : certaines observations nécessitant un timing précis seront affectées. Or, ce sont d’elles que découlent nombre d’avancées scientifiques. »

Olivier Hainaut

D’autant plus que ces nouveaux objets célestes seront sur des orbites bien plus basses que les satellites géostationnaires : 340 km, 550 km et 1 150 km, contre 36 000 km. Cette proximité avec notre atmosphère a pour but de réduire le délai de latence entre l’émission de l’information sur Terre et sa réception dans l’espace (et inversement), sauf que cette faible distance les rend également plus visibles et plus lumineux dans le ciel nocturne. Les satellites lancés par SpaceX seraient ainsi plus brillants que 99 % de la population d’objets visibles dans l’orbite terrestre. 

Ils ne le cachent donc pas, les astronomes sont extrêmement préoccupés par la possibilité́ que la Terre soit encerclée par des dizaines de milliers de satellites qui dépasseront largement les quelque 9 000 étoiles visibles à l’œil nu. Sur YouTube, certaines vidéos simulent ainsi ce que pourrait être le ciel une fois un certain nombre de satellites en orbite atteint.

De nombreuses avancées scientifiques impactées

Les recherches d’Olivier Hainaut viennent néanmoins contredire cette crainte, tout du moins en partie. En effet, nombre de satellites ne seront pas toujours illuminés par le Soleil. C’est pour cette raison que, selon l’astronome, l’observation du ciel sera surtout perturbée au crépuscule ou en début de nuit. Ce sera tout particulièrement le cas pour l’ultra wide field imaging, c’est-à-dire l’observation avec des télescopes disposant d’un angle de prise vue supérieur à 50 degrés, dont les analyses seront en grande partie détériorées en début de soirée. Le reste de la nuitée devrait quant à elle être en partie préservée. Mais il conclut : « Les satellites auront tout de même un gros impact sur tout l’écosystème astronomique : certaines observations nécessitant un timing précis seront affectées. Or, ce sont d’elles que découlent nombre d’avancées scientifiques. »

Néanmoins, d’autres astronomes ne partagent pas forcément ce point de vue. Près de 2 050 astronomes ont ainsi signé une pétition invitant à stopper urgemment le lancement de satellites. Tous les signataires sont recensés dans ce document en ligne. Dans leur appel, ils justifient leur hostilité face aux projets d’Elon Musk et des autres entreprises :  

« Ce n’est pas seulement les observations avec des télescopes à champ large qui seront détériorées […] mais également les expositions profondes/longues avec des installations de petit champ qui le seront inévitablement. Cette pollution lumineuse est extrêmement dommageable pour les observations astronomiques à toutes les longueurs d’onde. […] La dégradation des observations scientifiques restera importante pour deux raisons : 1) les étoiles et autres objets de l’univers seront éclipsés, nuisant à des études utilisant le variable du temps (variabilité́), et, 2) la capacité réfléchissante de la surface dépend de la longueur d’onde d’observation, donc ce qui devient sombre dans une partie du spectre (par exemple visible) reste brillant ou brille dans d’autres parties du spectre (par exemple infrarouge ou radio). »

Ingénieurs et astronomes main dans la main

Conscients que leur parole ne freinera malheureusement pas les velléités spatiales et capitalistes des empires de la télécommunication derrière ces nouvelles constellations, les astronomes tentent tout de même de travailler de concert avec les chefs de projets et ingénieurs en charge de la conception de ces satellites de nouvelle génération. Ces derniers ont notamment proposé l’idée de peindre en noir leurs satellites pour diminuer la gêne qu’ils pourraient provoquer lors des observations des astronomes. Une possibilité qui fait sourire les passionnés d’espace. « C’est plutôt les panneaux solaires réfléchissants qui nous embêtent. » Les échanges entre l’entreprise et la communauté scientifique se poursuivent néanmoins.

La taille des satellites est également passée au crible : selon les experts contactés par L’Éclaireur, ces satellites made in Musk, d’une taille souvent équivalente à une petite valise de 250 kg, n’auront pas une durée de vie d’un demi-siècle, mais plutôt de deux ou trois ans.

« Chacun doit se poser la question des conséquences de son usage du numérique – tout comme on trie ses déchets – sur notre environnement global. Cela passe aussi par son impact sur notre ciel étoilé. »

Fabien Malbet

Le risque de surcharge de la basse orbite est donc dans la tête de tous les astronomes, bien qu’ils insistent sur le fait que le risque de collision entre tous ces objets célestes reste minime. Il y a de la place. « Cela n’empêche : à moyen et long terme, cela diminuera considérablement notre vue de l’univers, créera plus de débris spatiaux et privera l’humanité́ d’une vue sans tache sur le ciel nocturne. »

“Une entreprise a-t-elle le droit de s’arroger le ciel ?”

Certains astronomes n’hésitent donc pas à monter au créneau et aimeraient que ces projets soient bien plus débattus au sein de la société civile. « Jusqu’à présent, l’espace était un espace commun. La question de notre déontologie le concernant est à peser dans la balance : est-ce que tout le monde est d’accord pour sacrifier notre ciel étoilé pour plus d’interactivité en ligne ou un meilleur débit en streaming ? Mais surtout, un pays ou une entreprise a-t-elle le droit de s’arroger le ciel, qui mine de rien est un patrimoine mondial, un patrimoine commun ? La question mérite d’être posée tout de même, non ? »

Vous l’aurez compris, plus généralement, c’est l’usage que l’on veut en faire qui pose question, chez les passionnés d’espace comme une partie de la société civile. Si beaucoup ne nient pas les avancées pour nombre de personnes et pays, l’enjeu climatique incite plutôt à la sobriété, y compris dans les usages numériques où une diminution du débit vidéo et autres est prônée. « Mine de rien, entre les opposants à Starlink et à la 5G, les arguments se recoupent. » 

La question des antennes revient souvent : pour Starlink, il faut aussi des relais terrestres capables d’envoyer le débit nécessaire. En France, trois villages ont été contactés pour accueillir ces antennes nouvelles générations (Neuf boules paraboliques de 2,30 m de diamètre posées sur des socles de 5 m² de béton, ndlr). Au final, un seul a accepté. À Gravelines, dans le Nord, ou à Saint-Senier-de-Beuvron, entre Avranches et Fougères, les maires ont finalement refusé de donner un permis de construire à Space X, ne souhaitant pas participer à la surenchère des données à transiter.  

« Chacun doit se poser la question des conséquences de son usage du numérique – tout comme on trie ses déchets – sur notre environnement global. Cela passe aussi par son impact sur notre ciel étoilé », conclut Fabien Malbet.

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