Critique

Pour la rentrée de l’Odéon, Tiago Rodrigues s’immisce dans l’impossible

27 septembre 2022
Par Félix Tardieu
"Dans la mesure de l'impossible" de Tiago Rodrigues, jusqu'au 14 octobre au théâtre de l'Odéon (Ateliers Berthier, Paris 17e)
"Dans la mesure de l'impossible" de Tiago Rodrigues, jusqu'au 14 octobre au théâtre de l'Odéon (Ateliers Berthier, Paris 17e) ©Magali Dougados

À l’occasion du Festival d’Automne, le prolifique metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, qui a récemment succédé à Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon, présente  aux Ateliers Berthier (Odéon – théâtre de l’Europe) sa pièce créée à la Comédie de Genève en février dernier, Dans la mesure dans l’impossible, conçue à partir des témoignages de travailleurs et travailleuses humanitaires. Un spectacle à découvrir jusqu’au 14 octobre.  

En cette rentrée, Tiago Rodrigues est partout à la fois : après avoir succédé dans l’émotion à Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon, le metteur en scène portugais présente à Paris plusieurs de ses créations, dont certaines à l’occasion du Festival d’Automne et de la Saison France-Portugal 2022 : avant Catarina et la beauté de tuer des fascistes et Chœur des amants toutes les deux présentées aux Bouffes du Nord en octobre prochain, puis Entre les lignes à l’Athénée, le nouveau directeur du Festival d’Avignon présente en ce moment Dans la mesure de l’impossible au théâtre de l’Odéon (Ateliers Berthier), une pièce polyglotte – en français, anglais et portugais surtitrés – montée en février à Comédie de Genève alors que la Russie de Vladimir Poutine s’apprêtait à envahir l’Ukraine. 

Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodrigues ©Magali Dougados

C’est absolument impossible de montrer au public ce qui s’est passé. Je veux dire : comment ça s’est passé. Vous pouvez peut-être reproduire ce qui s’est passé, mais comment ça s’est passé ? Ça c’est invisible… il fallait y être.

Tiago Rodrigues, Dans la mesure de l’impossible, éd. Les Solitaires intempestifs, 2022, p. 34 

Une pièce hors du temps 

Le spectacle continue de résonner avec l’actualité aujourd’hui et a des chances de rester  pendant longtemps, puisque celui-ci prend le parti de se situer dans un cadre intemporel : tout au long de la pièce, les quatre personnages – créés à partir des témoignages des travailleurs et travailleuses humanitaires de la Croix-Rouge et de Médecins Sans Frontières avec qui le metteur en scène portugais s’est longuement entretenu pour écrire cette pièce – évoqueront cet impossible désignant aussi bien une langue, un pays, une frontière, un espace hors sol empli de souffrances et d’une inhumanité inconcevable. Le déroulé même de leurs interviews respectives devient alors le coeur de la pièce, les personnage s’adressant au spectateur comme s’ils s’adressaient directement au metteur en scène-journaliste.

Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodrigues ©Magali Dougados

L’audace de la pièce tient alors à l’honnêteté intellectuelle d’un metteur en scène qui, face à la dignité de ces témoignages, parvient à trouver le juste équilibre entre une mise en scène épurée, non moins évocatrice – un gigantesque tissu hissé par des câbles en guise de tente, de montagne – et la force brute du récit, de la parole de ces hommes et femmes qui frôlent quotidiennement la mort pour sauver le peu d’humanité qu’il reste au pays de l’impossible. La puissance des mots et l’interprétation magistrale de ce quatuor suffit alors largement à emporter les spectateurs dans ces bouts de mémoire encore intactes. Le tout sublimé par le décor quasi organique de la pièce et la musique composée sur scène par Gabriel Farrandini qui, tout en percussions et en vibrations, donne à entendre la musique intérieure de ces individus lorsque les mots ne suffisent plus à décrire l’horreur. 

Infos pratiques
Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodrigues – jusqu’au 14 octobre au théâtre de l’Odéon -Ateliers Berthier (Paris 17e) – avec Baptiste Coustenoble, Beatriz Brás, Adrien Barazzone, Natacha Koutchoumov, Gabriel Ferrandini – Billetterie par ici

 

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste