Décryptage

Jul, l’ovni du rap français ?

11 août 2022
Par Lisa Muratore
Jul, l’ovni du rap français ?
©LP/Lylia Berthonneau

Dès ses premières rimes, Jul connait un succès fulgurant. Sa carrière particulièrement prolifique l’a propulsé parmi les ténors du rap français, mais il continue de cultiver sa différence.

Son accent, ses tubes, sans oublier le fameux signe de main en forme de « J » : l’arrivée de Jul en 2014 sur la scène francophone avait tout d’une caricature made in Marseille. Pourtant, c’est sans difficulté que l’artiste et son abondante prose se sont imposés dans le milieu du rap français des années 2010. Portrait.

De Juliano135 à Jul

Dès ses 12 ans, Julien Mari commence à s’intéresser à la musique. Il compose ses premiers titres, inspiré par Psy 4 et la Fonky Family, qu’il cite souvent comme des références. Mais ce n’est qu’après avoir été renvoyé de son BEP vente, puis enchaîné les petits boulots, que le jeune homme de 17 ans décide de tout arrêter afin de se consacrer à la musique.

Sous le pseudo « Juliano135 », il sample alors les morceaux d’autres artistes et chante par-dessus. Une technique qui lui permet d’être repéré par le label marseillais Liga One Industry et d’intégrer le groupe Ghetto Phénomène. Il continue néanmoins de se produire en solo et décide rapidement de se rebaptiser Jul.

En 2014, sort son premier single, Sort le Cross Volé – extrait de l’album Dans ma Paranoïa. Le titre, certifié depuis Disque de platine, est un véritable succès sur YouTube : Jul vient d’imposer son flow, entre rap et reggaeton, le tout composé chez lui devant son ordinateur. Un rap qui sent bon le Sud, loin des standards habituels.

L’hyper-productivité de Jul

Ce n’est alors que le début… Après une première reconnaissance sur les réseaux sociaux et grâce à Skyrock, il repart directement en studio pour sortir deux albums en 2014 : Lacrizeomic puis Je trouve pas le sommeil.

L’auteur-compositeur se révèle être une véritable bête d’enregistrements, et l’album intitulé L’Ovni (2016) est notamment une référence à la vitesse hallucinante à laquelle il écrit et produit ses titres. De My World (2015), pour lequel il décroche sa première Victoire de la musique, à C’est pas des lol (2019) en passant par Extraterrestre, sorti le 3 juin dernier, Jul totalise aujourd’hui pas moins de 18 albums studio.

Un record pour la scène de rap francophone qui lui permet en 2020 de devenir l’artiste français le plus écouté de cette dernière décennie sur Spotify ; mais aussi le plus gros vendeur de l’histoire du rap français ! En parallèle, il crée son propre label, D’Or et de platine, après avoir quitté Liga One en 2015. Les succès commerciaux s’enchaînent, malgré les critiques négatives que suscitent souvent ses albums.

Multiples certifications, tournées à travers la France, dont une dernière passée par le Stade Vélodrome en 2022 : il est désormais impossible d’ignorer le phénomène phocéen. On lui doit aussi plusieurs featurings, notamment l’incontournable Bande organisée, tiré de l’album 13 Organisé (2020) qui réunit le gratin du rap marseillais.

Un artiste fidèle à lui-même

Jul compte autant d’admirateurs que de détracteurs. S’il est soutenu par sa communauté de fans surnommée « la Team Jul », mais aussi par des rappeurs comme Soprano, Nekfeu, SCH ou encore Soso Maness, d’autres lui reproche l’usage abusif de l’auto-tune, ou encore une grammaire très approximative. Ajoutez à cela les clichés marseillais autour du « rappeur bouillabaisse » comme le magazine Society l’a baptisé dans ses colonnes et vous obtenez une créature du rap français aussi clivante que mystérieuse.

Difficile en effet de savoir qui se cache réellement derrière le célèbre blase, tant son rapport aux médias semble complexe. Le rappeur est connu pour ne donner que très rarement des interviews, car Jul mise en réalité tout sur les réseaux sociaux pour communiquer avec ses fans.

Ces derniers semblent d’ailleurs être la seule priorité de l’artiste, qui assure chanter « pour se régaler et faire plaisir aux gens » au micro de Brut dans un entretien exclusif en 2021. Il abreuve le public à une cadence affolante, le gratifiant, qui plus est, de titres et d’albums gratuits de temps à autre. Une mentalité qui aide le rappeur à garder les pieds sur terre. Contrairement à d’autres artistes, Jul ne cultive pas la superficialité ni l’identité de caïd souvent associées au rap, et ses proches le décrivent comme un timide maladif.

Connu pour sa simplicité, il souhaite avant tout rester fidèle à ses racines et s’engage aussi pour les quartiers les plus populaires. Une figure de la Bonne Mère, comme en témoigne la fresque géante à l’effigie du rappeur près de la Cité Consolat, dans le 16e arrondissement de Marseille. S’il est souvent catalogué comme le rappeur qui fait danser les foules, les textes de Jul n’en sont pas moins bourrés de mélancolie. Marseille et la vie dans les cités occupent ainsi une place prépondérante dans ses morceaux, alors que sa prose lui sert aussi d’exutoire.

Il en ressort un artiste à l’univers aussi unique que prolifique. Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité sur la scène musicale francophone, Jul est devenu un véritable phénomène ces dernières années. Une figure emblématique du rap marseillais, qui cultive certes une image parfois ridicule, mais aussi attachante et créative. Une ambivalence passionnante, qui explique très certainement pourquoi « le J, c’est le S ».

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Critique
04 fév. 2022
Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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