Présenté au Festival de Cannes cette année, Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi sort ce mercredi 13 juillet dans les salles de cinéma.
Présenté en compétition officielle cette année à Cannes, Les Nuits de Mashhad (Holy Spider en version originale) a valu à son actrice principale, Zar Amir Ebrahimi, le Prix d’interprétation féminine. La comédienne iranienne y incarne Rahimi, une journaliste pugnace qui enquête sur une série de féminicides dans la ville sainte de Mashhad. Un mystérieux tueur, surnommé l’Araignée, s’est en effet juré de purifier la ville au nom de Dieu, en s’attaquant aux prostituées.
Inspiré d’un fait divers ayant secoué l’Iran en 2001, le film d’Ali Abbasi nous embarque ainsi dans une véritable chasse à l’homme, pourtant loin des thrillers classiques. D’abord parce qu’on suit respectivement la trajectoire de l’enquêtrice et de l’assassin, mais surtout parce que le film permet d’explorer et d’analyser la complexité de la société iranienne.
Un thriller pas comme les autres
En choisissant de montrer le quotidien de Saeed Hanaei, sa vie de famille et ses croyances, le cinéaste opère un changement de codes, tout en personnifiant à travers le personnage de Mehdi Bajestani la violence et la misogynie culturelle du pays. C’est d’ailleurs tout le propos du film : le sexisme ambiant ne passe pas qu’à travers le regard de l’assassin ou celui de ses victimes. On l’observe aussi dans la trajectoire de Rahimi, dans l’opposition de la police qu’elle rencontre, ou dans les rumeurs qui circulent quant à son passé.
Pourtant, le réalisateur ne voit pas dans son film un moyen d’écorcher une nouvelle fois les sociétés du Moyen-Orient, ni d’en faire une création politique. Il s’agit surtout de comprendre les différents points de vue : c’est la notion de victime qui est questionnée dans le long-métrage.
Criminel et victimes
Il y a certes les victimes du tueur, et Rahimi, seule contre tous face à un système patriarcal. Mais Saeed est lui aussi une figure de victime. On comprend rapidement qu’il a été envoyé en première ligne durant la guerre qui a opposé l’Iran à l’Irak, et qu’il a sacrifié sa jeunesse à l’espoir de trouver un sens à sa vie. Mais les sacrifices consentis pendant le conflit ne lui ont pas suffi, et c’est pourquoi il s’empare de cette mission « divine ».
Cette histoire participe à humaniser le personnage et à s’éloigner encore une fois du schéma classique des thrillers. On découvre progressivement le tueur – à l’image de ce que Le Silence des agneaux (1991) proposait. Il ne s’agit pas d’un meurtrier en série pervers, ni psychopathe, ni même d’un John Doe (Seven, 1995) venu d’Iran.
Un film dans lequel on suffoque
Le personnage de Saeed n’en reste pas moins un personnage violent. Une caractérisation soulignée par la mise en scène brutale, à coups de gros plans sur les victimes aux yeux exorbités, et l’utilisation d’un panel de couleurs sombres, dans lequel le vert poisseux se mêle au rouge intense.
De cette mise en scène contrastée, brute mais prenante, il ressort un sentiment de frustration, accentué par le comportement des fidèles de Saeed. Ils voient en l’homme un héros investi d’une mission salvatrice. Leur soutien, reflet de positions ultraconservatrices dans la société iranienne, va permettre d’assoir cette double nature de victime et de criminel, tout en provoquant la consternation du spectateur face à un tel système.
On est incapable de bouger, l’Araignée nous a pris dans sa toile. On suffoque, telles ses victimes, à mesure que l’on arpente les rues de Mashhad aux côtés des deux personnages. Le réalisateur de l’étrange Border (2018) a d’ailleurs fait de cette ville sainte un protagoniste à part entière du film. On plonge dans ses contradictions, dans sa double nature où la pureté s’oppose à la corruption.
La dualité des personnages et de la ville forme le cœur des Nuits de Mashhad. Plus qu’un thriller, Ali Abbasi y partage une façon de présenter toute la complexité d’une société. Une cohabitation forcée des points de vue, des mentalités et des croyances, aussi frustrante que passionnante.
Les Nuits de Mashhad, d’Ali Abbasi, avec Zar Amir Ebrahimi et Mehdi Bajestani, 1h56, en salle le 13 juillet 2022.