Critique

Ennio de Giuseppe Tornatore : ciao, maestro 

06 juillet 2022
Par Félix Tardieu
Ennio de Giuseppe Tornatore : ciao, maestro 
©Piano B Productions/Le Pacte

Dans le film documentaire Ennio, le cinéaste italien Giuseppe Tornatore brosse le portrait d’un ami et collaborateur de génie : Ennio Morricone, compositeur légendaire qui donna naissance à plus de 500 musiques de film, décédé à Rome, sa ville natale, en juillet 2020. Un film en guise de dernier adieu, assez peu inventif sur la forme, mais entièrement dédié au génie musical de Morricone. 

Ennio Morricone, compositeur, chef d’orchestre et arrangeur hors pair né à Rome en 1928, est connu dans le monde entier pour les innombrables thèmes qu’il a composés pour le cinéma, allant des westerns spaghettis de Sergio Leone, son ami d’enfance, à Cinéma Paradiso (1988), le film culte de Giuseppe Tornatore (Oscar du meilleur film en langue étrangère et Grand prix du 42e Festival de Cannes), qui marqua le début de la collaboration entre les deux hommes.

Logiquement admiratif du maestro qui a composé la musique de quasiment tous ses films, le réalisateur italien Giuseppe Tornatore ne pouvait pas dresser autre chose qu’un portrait élogieux et sans bavure de celui qui a révolutionné la musique de film au tournant des années 1960. Un travail de longue haleine pour le réalisateur de La Légende du pianiste sur l’océan (2000) et Cinéma Paradiso (1988), puisqu’il a entamé le tournage du film en 2014 et a sillonné le monde pendant cinq ans pour interroger plus de 70 personnalités (cinéastes, producteurs, compositeurs, musiciens, chanteurs, etc.) qui ont vu Morricone au travail. 

L’homme, le mythe, la légende

Rarement compositeur de musique de film aura-t-il autant marqué l’histoire du cinéma et plus largement le monde de la musique – en témoignent les innombrables remix et samples dont ses morceaux ont fait l’objet (ce que le film aurait d’ailleurs pu évoquer, ne serait-ce que pour mesurer l’influence de Morricone dans une variété de domaines). Si le film est rempli à ras bord des compositions iconiques du maestro, un peu plus de 2h30 durant, il s’ouvre pourtant sur le calme plat d’un métronome et la routine silencieuse, quotidienne et rigoureuse d’Ennio Morricone, que Tornatore est allé interroger dans sa demeure romaine. Une manière d’illustrer, sans discours surplombant, la discipline quasi ascétique que semble s’être toujours imposée le compositeur italien, attestant, en un certain sens, de la maîtrise qui imbibe ses partitions.

Très vite, le film s’embarque dans la vie et l’œuvre du maître, filant à toute allure – il aurait aussi bien pu durer cinq heures sans parvenir pour autant à raconter le parcours de Morricone de manière exhaustive, tant celui-ci est monumental –, n’offrant alors que très peu de respirations entre les différents intervenants (aussi prestigieux soient-ils), les scènes de films écourtées, les bouts d’interviews de Morricone et les captations de concerts où le maestro apparaît en chef d’orchestre qui, à force d’être insérées ici et là afin de donner du rythme au film, nuisent quelque peu à la solennité de l’ensemble.

©Piano B Productions / Le Pacte.

On pourrait effectivement pointer du doigt cette fâcheuse tendance de Giuseppe Tornatore à ne pas laisser durer les séquences, à forcer légèrement le trait, empêchant ainsi les images de parler d’elles-mêmes et les spectateurs d’être pleinement gagnés par la musique. Malgré les 2h30 de métrage, Ennio dégage l’impression paradoxale d’un manque de temps, peut-être lié à la difficulté d’agencer autant de témoignages et d’archives tout en avançant, tant bien que mal, dans l’œuvre si dense de Morricone. Peut-être que le film aurait justement gagné à s’étirer en longueur sous une forme sérielle.

La cadence du film avoisine parfois celle d’un long-métrage de fiction, alternant inutilement les échelles de plan et dégageant in fine ce drôle de sentiment d’assister à un « docu-blockbuster » au rythme effréné, multipliant désespérément les interventions laudatives et prenant bien trop rarement le temps de s’installer dans une période ou un film clé. « J’ai structuré Ennio comme un spectacle », déclare d’ailleurs le réalisateur dans sa note d’intention ; certains y verront sans doute un aveu d’échec. 

Ennio reste donc un documentaire de facture classique, sans aspérité, sans aucune fausse note ; en somme, une partition studieuse à la gloire du maître. Néanmoins, le film est intéressant à plus d’un titre et a le mérite de donner la parole à Morricone lui-même : on découvre un homme plein d’humilité et d’humour, facilement submergé par l’émotion à la seule évocation d’un souvenir ou d’une simple phrase prononcée par un maître – en l’occurrence Goffredo Petrassi, dont il fut l’élève à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, qui n’avait que peu d’estime pour la musique de film – ou par un ami. Ennio dépeint un bourreau de travail, chez qui la musique était comme la langue maternelle.

Le documentaire prend également le temps de revenir sur le brillant arrangeur et compositeur qu’était Morricone, au-delà du seul domaine du cinéma : conçu chronologiquement, le film revient ainsi sur ses débuts au cinéma en tant que trompettiste (sur Othello, Orson Welles, 1951), sa carrière d’arrangeur de génie à la RAI ainsi que pour le label RCA – Morricone se cache alors derrière les plus grands tubes de la chanson italienne de l’époque –, mais aussi sa phase expérimentale au sein du groupe de musique concrète, Nuova Consonanza, avant d’être pour la première fois crédité comme compositeur de musique de film en 1961 pour un film de Luciano Salce (Mission ultra-secrète). 

©Piano B Productions / Le Pacte

Ennio déroule alors la success story que l’on connaît : les retrouvailles avec son ami d’enfance Sergio Leone, qui l’engage pour la musique de Pour une poignée de dollars (1964), signant l’avènement des westerns spaghettis. Les thèmes légendaires composés pour les films de Leone – jusqu’à son dernier, Il était une fois en Amérique (1984), sans doute l’une de ses plus belles partitions – lui valent une reconnaissance mondiale.

Ennio Morricone travaille avec les plus grands réalisateurs de son temps, tels que ses compatriotes Pier Paolo Pasolini, Bernardo Bertolucci, Marco Bellocchio, Dario Argento, Gillo Pontecorvo, Sergio Sollima, Sergio Corbucci, mais également Henri Verneuil (Le Clan des Siciliens), Terrence Malick (Les Moissons du Ciel), John Carpenter (The Thing), Roland Joffé (Mission) ou Brian de Palma (Les Incorruptibles).

S’enchaînent alors, de manière quelque peu boulimique, les témoignages de personnalités qui ont travaillé et/ou ont été influencés par Morricone, à l’instar de Clint Eastwood, Hans Zimmer, Wong Kar-wai, Barry Levinson, John Williams, ou encore Quincy Jones, Joan Baez, Bruce Springsteen, Metallica et The Clash. 

Quentin Tarantino, qui doit énormément à Morricone – à qui il a emprunté nombre de morceaux d’un film à l’autre, dont un essai enregistré par Morricone pour La Bible (1966) de John Huston, utilisé lors de la scène d’ouverture d’Inglourious Basterds –, est également présent dans le film, se félicitant d’avoir su convaincre le maestro de composer la bande originale des Huit Salopards (2015), pour laquelle Morricone a remporté (quoique bien trop tardivement par rapport à l’influence qu’il a eue dans le monde du cinéma) l’Oscar de la meilleure bande originale. À ce stade, Ennio Morricone était effectivement entré dans la légende depuis bien longtemps. 

Ennio, de Giuseppe Tornatore, 2h36, en salle le 6 juillet 2022.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste