Après le très remarqué C’est comme ça que je disparais (2020), qui racontait la dépression avec justesse et délicatesse, Mirion Malle revient avec Adieu triste amour, une tendre histoire d’émancipation. Rencontre.
Comment décririez-vous Adieu triste amour à celles et ceux qui ne l’auraient pas encore lu ?
C’est l’histoire d’une jeune femme qui réalise que son conjoint a traumatisé une autre femme. Elle ne savait pas ça de lui, donc elle se demande si elle le connaît vraiment. Elle essaie de démêler ses émotions par rapport à ça, de comprendre comment elle se sent, comment elle peut le gérer.
Mais, plus globalement, j’avais vraiment envie d’écrire un livre qui parlerait des différentes dynamiques de groupe. C’est un livre en deux parties, où il y a deux différentes dynamiques de groupe : une plutôt négative et une positive. Parce que ce qui m’intéresse beaucoup, c’est le groupe, les relations sociales. C’est aussi un livre sur le fait de prendre soin de soi et de se choisir. Et sur le fait de choisir, justement, dans quel groupe on veut être, dans quel groupe on veut exister.
Vous dénoncez à demi-mots, dans Adieu triste amour, le machisme qui règne encore dans le milieu de la bande dessinée. Vous faites aussi partie du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, et vous revenez tout juste du festival d’Angoulême – vivement critiqué en 2016 pour le sexisme de ses sélections. Avez-vous le sentiment que les choses ont évolué, depuis 2016 ?
Oui, je pense qu’avoir un collectif – un groupe, justement ! – ça permet d’avoir enfin une sorte de portée : il y a eu des changements. D’ailleurs, cette année, trois autrices étaient nommées, et Julie Doucet a gagné le Grand Prix – alors que la première fois que le Collectif a été pris en compte, aucune femme n’avait été mise dans la sélection.
C’est drôle, parce qu’on en parle forcément entre autrices, et je suis peut-être un peu pessimiste, mais j’avoue que de me retrouver dans ce milieu-là me rappelle justement ces dynamiques de pouvoir que j’essaie moi-même d’évacuer de ma vie. Je ne sais pas si les hommes nous voient différemment, si les boys clubs changent vraiment. Par contre, j’ai l’impression qu’ils sont de moins en moins nombreux. Il y a de plus en plus d’autrices, et c’est de plus en plus difficile de faire comme si elles n’existaient pas.
Ça fait dix ans que je suis dans ce milieu, et depuis dix ans, il y a de nouveaux noms, mais il y a aussi toujours les mêmes qui reviennent : parfois, c’est un peu désespérant. Après, dès qu’on fait un livre de fiction quand on est une femme, j’ai l’impression que tout le monde se dit que c’est autobiographique. Mon livre précédent, tout le monde me disait que c’était une autobiographie, alors que c’était une fiction.
Dans Adieu triste amour, il est question de ruptures et de renouveau. Vous dites vous-mêmes que c’est un livre de printemps, quand C’est comme ça que je disparais (2020) était un livre d’hiver. Mais c’est aussi un livre de son temps, qui parle de quitter la ville, de quitter les relations qui font du mal, de revenir à une vie plus simple. La pandémie a-t-elle joué un rôle dans la conception de cette histoire ?
Oui, clairement ! Dans la communauté lesbienne, ou la communauté queer en général, il y a toujours eu ce rêve de « partir à la campagne fonder une petite communauté entre nous » – un peu sur les traces des communautés séparatistes des années 1970. C’est toujours un peu un fantasme aussi, de se retrouver justement dans ce groupe, de se retrouver dans l’entre-soi. Ça fait des années qu’on se dit avec mes amies que ce serait super de pouvoir partir pas trop loin de la ville, mais quand même à la campagne, dans la nature, de faire notre petit potager, avoir des animaux, faire des dessins et créer.
Je pense clairement que la pandémie a eu un impact, parce que j’ai commencé à écrire ce livre en août 2020. Comme beaucoup de gens, la pandémie m’a vraiment coupée de toute inspiration – j’avais l’impression de ne plus savoir rien faire. J’imagine qu’il y a eu une volonté de chercher quelque chose de plus doux, et en même temps d’accessible. Cléo (l’héroïne d’Adieu triste amour, ndlr) n’habite pas dans un gros immeuble au milieu de la ville, c’est quand même relativement safe, en plein air, avec beaucoup de diffusion d’air pour éviter le Covid. J’ai choisi aussi de ne pas mettre de masques dans mon livre. J’avoue que j’ai hésité, mais je trouvais que c’était possible de se permettre de fantasmer un moment où il n’y avait pas de masques. Mais c’est sûr qu’il y a un peu ce truc… Moi je viens d’une très petite ville et je n’avais qu’un rêve à l’époque : rejoindre une grande ville. Maintenant que j’habite une grande ville, je me dis que c’est quand même bien, les arbres !