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Qui est Julie Doucet, cette retraitée de la bande dessinée qui vient d’être sacrée à Angoulême ?

28 mars 2022
Par Milo Penicaut
Qui est Julie Doucet, cette retraitée de la bande dessinée qui vient d’être sacrée à Angoulême ?
©Kate Mada/L'Association

Retirée du monde de la bande dessinée depuis plus de 20 ans, la québécoise Julie Doucet vient pourtant d’être honorée à Angoulême pour l’ensemble de son œuvre, parue entre 1987 et 1999.

Le Grand Prix de la BD d’Angoulême de l’année 2022 vient d’être décerné à l’autrice québécoise qui faisait pourtant figure d’outsider face à Pénélope Bagieu (Culottées) et Catherine Meurisse (La Jeune Femme et la Mer), pourtant déjà finalistes l’année passée. L’occasion de revenir sur le parcours de cette autrice et artiste indépendante.

« Je suis née en 1965 à Montréal. Enfance sans histoire. Adolescence plate. […] C’est au cours de mes études universitaires que je rencontre des types qui font de la bande dessinée. Je m’y mets avec enthousiasme, pour m’y consacrer totalement par la suite. […] Et puis, j’abandonne la bande dessinée pour revenir à l’art imprimé. […] Je vis toujours à Montréal, écris et découpe des mots et des images, imprime des livres, tâte du film d’animation. En 2013, je fonde ma propre maison de mono-édition : Le Pantalitaire, pour me publier moi-même », résume Julie Doucet dans la rubrique « ma vie – my life » de son site internet.

Photomaton de l’artiste dans Poirette numéro 3.©Julie Doucet

Dirty Plotte : délicieusement trash, féministe et subversif

Tout commence en 1987, avec Dirty Plotte, ces planches autopubliées sous forme de fanzine. Précurseure de la BD autobiographique – et pensant que personne n’allait jamais vraiment la lire ! – Julie Doucet s’y raconte sans censure, sans tabous. De son trait « crade », reconnaissable entre tous, elle illustre des fragments de sa vie quotidienne, ses rêves fantasques, ses angoisses. La question du corps hante chacune de ses planches ; un corps toujours bruyant, odorant, débordant de fluides, un corps difforme et mutilé souvent – surtout, un corps à l’opposé des images lisses dépeintes dans les magazines féminins. « En tant que femme, je me suis toujours sentie très consciente de moi-même, en décalage. Je me trouvais moche, je ne m’habillais pas convenablement pour une femme, je ne me maquillais pas, je ne portais pas de robe. Je ne me sentais pas convenable, j’étais un garçon manqué », raconte-t-elle dans une interview avec le Chicago Reader. Dirty Plotte est une œuvre singulière, résolument féministe, qui remet en question de manière brutale et franchement jouissive les conventions sociales de la féminité classique, refusant à ses lecteurs la satisfaction scopophile du male gaze, c’est-à-dire le plaisir de posséder l’autre par le regard.

« En manque » – Dirty Plotte, Julie Doucet.©Julie Doucet

Julie Doucet, poétesse- collagiste : pour l’amour des mots

Si on ne peut que conseiller chaudement de dévorer les 400 pages de Maxiplotte, anthologie des planches de Julie Doucet, il serait mal avisé de s’arrêter à cette partie de son travail artistique, qui ne couvre que 12 ans de sa production. Julie Doucet quitte en effet le milieu de la bande dessinée à la fin des années 1990.

D’après son éditeur Jean-Christophe Menu, si elle a arrêté la bande dessinée, c’est parce qu’il y avait « trop de travail, trop de pression, trop de mecs ». Trop de cases et pas assez de mots, aussi : « J’avoue que j’aime mieux les mots. Le visuel, c’est bien, mais j’aime mieux les mots, le storytelling », explique-t-elle ainsi à la revue littéraire Lettres Québécoises (LQ). Les mots, elle les écrit, les dessine, les imprime, les invente même. Pendant quatre mois, Doucet s’est ainsi attelée à créer chaque jour entre cinq et sept mots nouveaux à partir des syllabes de mots découpés – « pantalitaire », du nom de sa propre maison de mono-édition, signifie « promenade ».

Extrait de J comme Je dans lequel Julie Doucet raconte son enfance et son adolescence.©Julie Doucet

Ce qu’elle aime avec le pantalitaire, confie-t-elle aux Inrocks, c’est que cette forme lui permet de rester totalement indépendante – et d’imprimer tout ce qui lui passe par la tête ! C’est précisément grâce à cette indépendance que Julie Doucet continue d’offrir, loin du monde de la bande dessinée qui vient pourtant de lui rendre un précieux hommage, une œuvre intime, sincère et puissante.

Les planches autobiographiques de Julie Doucet ont été rassemblées récemment dans l’album Maxiplotte.

Maxiplotte, de Julie Doucet, L’Association, 400 p., 35€.

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Article rédigé par
Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste