Reprise de musiques de films : la sélection des meilleurs albums
15 mai 2024
・ Par
Manue
Les liens entre cinéma et musique sont forts. Combien de musiques de films comptent parmi les grands classiques et combien de compositeurs parmi les plus grands ? Pas étonnant donc que les musiciens les plus prestigieux aient envie de réinterpréter certains tubes du 7e art. A l’occasion du Festival de Cannes, voici une petite sélection des meilleurs albums du genre.
Renaud Capuçon – Cinéma (2018), Les Choses de la vie (2024)
On ne présente plus Renaud Capuçon, ce grand violoniste qui oeuvre pour la musique classique depuis des décennies et qui a joué de nombreuses pièces maîtresses à travers le monde. Le projet de réinterpréter des musiques de films est né il y a de nombreuses années. En 2018, Cinémavoit le jour. Si certains thèmes étaient composés pour le violon, comme Cinéma Paradiso ou La Liste de Schindler, d’autres ont demandé un joli travail d’adaptation. D’ailleurs, Vladimir Cosma a apporté son aide sur ses compositions. Deux personnes spécialisées dans les transcriptions, Cyrille Lehn et Daniel Capelletti, ont participé à la sélection et l’ont proposée à Renaud Capuçon. Dans une entrevue pour Culturebox à l’époque, le violoniste expliquait : « Le résultat est étonnant : on a l’impression que ça a été écrit comme ça à l’origine. Mais c’est une autre version, c’est ma personnalité, c’est mon violon, c’est ma sonorité. Les gens qui me connaissent et qui ont acheté mes disques précédents me retrouvent complètement, et ceux qui ne me connaissent pas me découvrent dans un répertoire qui est extrêmement abordable. C’est également le but, celui de pouvoir toucher des gens qui n’iraient pas forcément vers la musique de films« . Et peut-être aller aussi par la suite écouter les autres interprétations du monsieur.
Dans Cinéma, effectivement, la passion et la virtuosité de l’artiste donnent un relief tout particulier à ses oeuvres maintes fois écoutées. C’est aussi le cas pour l’opus à paraître le 16 février 2024, Les Choses de la vie, un album consacré aux grands compositeurs français de musiques de films, né d’une discussion entre le musicien et Jacques Chancel. L’occasion de re-découvrir Delerue, Sarde, Legrand, Jarre, Kosma, de Roubaix, Petit, Cosma, Lai, Yared, Rombi, Desplat…
Comme pour Capuçon, la musique de film a bercé l’enfance d’Alexandre Tharaud. Au micro de Radio Classique, il expliquait : « Ce disque est né il y a longtemps. J’étais un enfant paresseux qui avait appris à travailler rapidement son piano. J’adorais surtout improviser, et dès l’âge de 5 ans, je jouais des airs que j’entendais à la télévision chez mes grands-parents. Ils me procuraient une profonde émotion. L’autre élément déclencheur de Cinémaa été ma rencontre avec Michel Legrand. Nous avions un projet de concerto et il m’avait transmis quelques partitions, dont celle du Medley du film Yentl, que j’ai créé au Japon, et celle de mon arrangement inédit de Touchez pas au grisbi à partir de la musique de Jean Wiéner, compositeur que je vénère ». Son amour pour le 7e art est allé jusqu’à jouer en direct dans les salles obscures sur des films muets. Cela a été pour lui une belle école. Cette fois encore, les arrangements transcendent le jeu de Tharaud, son toucher. Et on plonge dans l’univers du cinéma. On y croise Michel Legrand, Francis Lai, John Williams, Vladimir Cosma, Ennio Morricone, Philippe Sarde… Alexandre Tharaud est accompagné par l’Orchestre de l’Académie Nationale de Sainte-Cécile dirigé par Antonio Pappano et les voix de . Lui qui a pleuré en regardant et écoutant la musique du film Jeux Interdits fait se côtoyer ses deux passions : le piano et le 7e art.
En 2016, Lang Lang jouait le thème de La Reine des neiges pour l’inauguration du parc Disneyland à Shangaï. Quelques années plus tard, le pianiste propose tout un album sur la magie de Disney. « Quand j’étais jeune, le film d’animation a éveillé mon imagination et m’a transporté dans d’autres mondes. La musique jouait un rôle important dans cette expérience et m’a fait aimer la musique classique pour la vie« , annonce Lang Lang dans la présentation de son album Disney Book, expliquant sa réinterprétation de la mémoire musicale des films de Walt Disney. Car c’est bien de magie dont il est question dans cet album. « De toute évidence, Lang Lang a ici jugé que les classiques de Disney ont une richesse telle que l’on peut, des décennies plus tard, y voir autre chose en creusant un peu. Et on retrouve effectivement dans The Disney Book tout ce qui fait le sel de ces mélodies : un côté merveilleux, une grandiloquence positive et de vraies envolées, comme une flèche tendue vers l’enfance« , écrivait Thomas Louis dans sa chronique sur l’album. Lang Lang a saisi l’occasion des 100 ans de Walt Disney pour faire se télescoper la musique classique et le monde de Disney. Arranger les airs deLa Belle et la Bête, de Mulan, d’Aladdin ou encore de La Reine des neiges, tel est ce à quoi s’est attelé le pianiste. « Attelé » est le terme car le pianiste a expliqué au micro de BFM TV : « Il m’a fallu être exigeant et prendre du temps pour trouver la bonne technique et le bon style ». Ca en valait bien la chandelle !
On ne compte plus les rôles d’opéra que le ténor allemand Jonas Kaufmann a interprétés. Accompagné par les musiciens et les chœurs de l’Orchestre Symphonique national tchèque dirigés par Jochen Rieder, sur certains morceaux du guitariste monténégrin Miloš Karadaglic, Jonas Kaufmann s’est essayé à la reprise de musiques de films avec The Sound of movies. C’est vrai que l’on imagine assez peu un ténor de sa trempe s’éloigner de l’opéra. Mais il l’expliquait lui-même au micro de Radio France, « il était devenu de plus en plus difficile de trouver dans l’immense mémoire du monde de l’opéra des idées originales« . Il s’est d’abord tourné vers les grands classiques de la chanson américaine puis l’idée du répertoire des musiques de film est soudain devenue presque évidente. Bien sûr, il n’était pas simple pour un ténor d’adapter sa voix à des chansons pop telles que Reality de La Boum. Au départ, il a tout simplement voulu copier l’interprétation de Richard Sanderson mais ça sonnait faux. L’important, l’élément essentiel quand on fait des covers comme disent les Anglo-saxons, c’est de rester soi-même. C’est ce que Jonas Kaufmann s’est employé à faire.
« Très heureux de vous présenter ma célébration du cinéma. J’ai sélectionné pour vous mes 22 chansons préférées tirées de films tels que West Side Story, Gladiator, Cinema Paradiso, La Mélodie du Bonheur,Les Misérables, Le Grand Caruso, Chantons sous la pluie, Il était une fois en Amérique, Diamants sur Canapé, et bien d’autres encore. J’espère que cela vous plaira. » Jonas Kaufmann
Esther Abrami a la jeunesse et l’envie de dépoussiérer la musique classique, de la faire aimer par les jeunes générations. « J’aimerais vraiment faire en sorte que les jeunes puissent écouter du classique simplement comme un autre style, à l’image du rap ou du rock, et pas le voir comme un genre à part« , disait-elle sur Canal + dans La Boîte à questions. C’est ce qu’elle fait sur ses nombreux réseaux sociaux, dans son premier album, puis l’opus Cinéma. Car quoi de mieux que la musique de films pour intéresser sa génération à la beauté de la musique classique ? Contrairement aux autres artistes, elle ne s’attaque pas seulement à des classiques du genre mais s’approprie, avec son violon et le City Of Prague Philharmonic Orchestra, des titres venus de Naruto, The Witcher, Hunger games, des références qui parlent aux jeunes. La compositrice Rachel Portman a même redonné forme à sa musique Le Petit Prince pour s’adapter au jeu d’Esther.
On se souvient de la trompette de Miles Davis pour la musique du film Ascenseur pour l’échafaud, un must. Après Rollin‘,Erik Truffaz apporte sur Clapsa propre personnalité, son langage de trompettiste et, d’entrée, on est plongés dans un album qui pourrait presque être un album de pièces originales. La touche de Truffaz est très originale. Il suffit d’écouter Requiem pour un con pour percevoir la volonté artistique de Truffaz. Ces musiques de film sont une fondation ; Truffaz a bâti un monument et choisi l’agencement, chaque objet de décoration tel un architecte/décorateur. Le réalisateur Bruno Nuytten en parle ainsi sur Jazz Radio (septembre 2023) : « Au-delà des souvenirs des films cités, l’interprétation d’Erik Truffaz ouvre l’imaginaire vers d’autres films qui n’ont jamais été faits. » Son travail est impressionnant et mérite le détour.
Nul n’est prophète dans son pays. C’est ce que pense Henri Gibier, des Echos, lorsqu’il parle d’Anne Ducros, immense chanteuse de jazz que les Français boudent alors qu’elle est reconnue en dehors de l’Hexagone. C’est peut-être son passage en tant que professeur de chant à la Star Ac’ qui lui a donné une image fausse. Quoi qu’il en soit, son album consacré au cinéma devrait changer la donne car, comme le dit Henri Gibier dans sa chronique sur l’album, « quand on découvre avec quelle maestria Anne Ducros arrive à recréer, tout en leur restant étonnamment fidèle, les airs archiconnus deBagdad Café, L’Affaire Thomas Crown, Jules et Jim ou Il était une fois dans l’Ouest, on voudrait que beaucoup plus de monde encore accède à de tels trésors » (10 novembre 2023). Elle a « ce génie du décentrement qui n’appartient qu’à Anne Ducros, ses jeux de cache-cache avec nos mémoires et nos émotions… Elle sait les silences, elle sait les lenteurs, et les fulgurantes évasions. Elle a l’échappé très belle« , écrit, quant à lui, Francis Marmande (Le Monde, 18 novembre 2023). Et c’est vrai, on reste scotchés. Certains la prennent pour une diva et le titre de son album Anne Ducros fait son cinéma joue dessus mais c’est surtout l’une des plus belles voix de jazz de sa génération. Crions-le haut et fort ! Cet album prouve qu’elle est à l’aise partout et sait mettre son empreinte personnelle sans dénaturer l’original. Quand on a un talent comme Anne Ducros, c’est tentant de s’imposer. Elle ne le fait pas.
« La musique et le cinéma sont amants depuis longtemps. Elisa Tovati chante cet amour-là« . C’est ce qu’explique Nicole Garcia en préambule de cet album. Quand on y pense, qui de mieux qu’une actrice/chanteuse ou un acteur/chanteur pour proposer un album consacré au cinéma, eux qui côtoient autant les plateaux que les studios ? C’est ce que s’est autorisée Elisa Tovati en reprenant des chansons cultes (Elisa fait son cinéma) inscrites dans notre mémoire collective. De Diabolo menthe à La chanson d’Hélène (en duo avec Marc Lavoine), Elisa Tovati chante ses madeleines de Proust. Le choix est très éclectique, faisant la part belle aux classiques du cinéma (Love story, Les choses de la vie… ) mais aussi à des films qui ont bercé son enfance ou son adolescence comme La Boum, Top Gun… Elle y apporte sa touche moderne. On notera d’ailleurs ce petit clin d’oeil à Alabina et La Vérité si je mens où elle a joué dans le second volet.
Violoncelliste de renom, Yo-Yo Ma est l’un de ces artistes qui ne se sont jamais mis d’œillère et ont vu plus loin que le simple monde de la musique classique. Ainsi, il apparaît sur While my guitar gently weeps des Beatles sur l’album de Carlos Santana, Guitar Heaven : the greatest guitar classics of all time. Il a été le parrain d’un orchestre israélo-arabe (Orchestre du divan occidental-oriental) dirigé par Daniel Barenboim. Il a collaboré avec le compositeur John Williams pour les films comme Sept ans au Tibet ou Mémoire d’une geisha. C’est avec Ennio Morricone que Yo-Yo Ma collabore et consacre tout un album. Contrairement aux précédents opus évoqués, il s’agit cette fois d’un album de collaboration entre deux artistes. L’Italien a réarrangé lui-même ses compositions pour les adapter au violoncelle et dirige le Roma Sinfonietta Orchestra qui accompagne Yo-Yo Ma. On peut affirmer que cette union artistique fonctionne parfaitement et met en valeur les deux musiciens.
On aurait pu parler de Patrick Fiori et son album Les choses de la vie(2020), des Stentors et leur album Rendez-vous au cinéma (2020), sans oublier Mireille Mathieu avec son album Cinéma (2019)… Je vous laisse le soin d’élargir votre sélection. Celle que j’ai proposée n’est qu’un avant-goût, une mise en bouche pour vous inviter à aller plus loin découvrir la thématique.