La fin de 2023 approche et c’est l’heure des bilans, comme chaque année. Malgré un monde chahuté et toutes les difficultés rencontrées pour des raisons qui dépassent beaucoup d’entre nous, on s’est consolés avec une actualité musicale bien fournie. De la soul, du blues et toutes ces superbes vibrations “world” qui nourrissent aujourd’hui le paysage musical mondial. Petit focus resserré sur des albums qu’il ne fallait pas louper !
« Le temps passe, passe, passe et beaucoup de choses ont changé, qui aurait pu s’imaginer que le temps serait si vite écoulé… j’fais l’bilan, calmement ». Ce refrain emblématique et intemporel signé Neg’ Marrons nous revient dans la tête chaque fin d’année, à l’heure des bilans justement.
Le dernier trimestre convoque l’inévitable rendez-vous. Si l’année 2023 a encore été bien bouleversée, les 4 saisons nous ont bien régalés en matière de musique, et on ne cause pas de Vivaldi cette fois. Le moment est donc venu de se poser un instant pour vous livrer un verdict forcément arbitraire, sincère et qui concerne les genres qui me sont chers : blues, jazz, soul, funk et world. Nouvelles pousses, groupes et artistes installés. Cartons bien orchestrés ou surprises que personne n’avait vu venir, voici des albums 2023 que l’on va bien sûr continuer à écouter avec grand plaisir en 2024.
Votre tonton aime le blues ? Votre petit.e ami.e la soul & le funk ? Papa est plutôt jazz alors que maman adore les voix ? Vous voudriez découvrir une belle surprise autour des musiques africaines, des tourbillons électriques venus d’Anatolie ou quelques chaudes vibrations caribéennes? Vous en avez peut-être entendu quelques-uns à la radio, sur les réseaux ou dans la sélection des albums du mois que la Fnac vous propose tout au fil de l’année. Eh bien, avec Noël qui se profile, voilà une sélection de coups de cœur qu’on avait envie de partager !
Soul & Funk, la nouvelle génération monte le son
Gabriels – Angels & Queens
On en cause depuis ce tout premier 4 titres paru en 2019 qui nous avait littéralement mis un gros coup sur la tête. Communication savamment dosée, participation à des festivals triés sur le volet, des titres qui émergent au fil des mois et ce tout premier album complet (Angels & Queens) paru en plein été 2023. Gabriels, groupe en provenance de Los Angeles emmené par le prophétique Jacop Lusk, ne laisse personne indifférents. Entre gospel et arrangements baroques, probablement l’ovni soul le plus abouti de ces dernières années.
Janelle Monae – The Age Of Pleasure
Alors que les hommes s’entretuent et consument jour après jour ce qu’il reste d’espoir d’un monde tranquille et apaisé, Janelle Monae prend le maquis et allume un autre front, un autre feu qu’elle conceptualise sous le nom de Age Of Pleasure. Quoi de mieux qu’un appel hédoniste venu du cœur et œuvrant pour le salut des corps ? Pulsions danceflloor aux accents afro-jamaïcains, soul langoureuse et amoureuse, funk festif, la talentueuse chanteuse d’Atlanta et son collectif à la créativité débordante et au féminisme conquérant imposent le contre-pied nécessaire aux clichés d’une soul moderne infusée de hip hop & de R’n B qui trop souvent aime à exposer des poupées photoshopées sans esprit, duplicables à l’infini. On savait Janelle Monae audacieuse, mais ce n’était que le début.
Jalen Ngonda – Come Around And Love Me
Nouvelle voix à la tessiture incomparable, qui évoque évidement des inspirations et références tout droit sorties des seventies (Marvin Gaye en tête pour le phrasé), Jalen Ngonda ne s’arrête pas là. Vous retrouverez dans son écriture cette souplesse d’interprétation digne de chanteurs pointus qui ont marqué les esprits (Sam Cooke, Geater Davis, Sam Baker, The Temptations, Mike James Kirkland…). Ce jeune chanteur afro-américain installé au Royaume-Uni a réussi à convaincre Daptone Records de l’épauler dans ce début de carriere prometteur (Come Around And Love Me)… à moins que ce ne soit l’inverse.
Black Pumas – Chronicles Of A Diamond
Austin au Texas semble définitivement un terrain de jeu exceptionnel pour de nombreux musiciens venus d’horizons différents. Avec ce second opus – Chronicles Of A Diamond – Black Pumas confirme son coup d’essai réussi d’il y a quelques années. Les arguments musicaux ne mentent pas (du funk, de la soul, l’énergie du rock, l’incandescence du gospel…), le talent d’écriture et de groupe de scène non plus. Une musique afro-américaine moderne, respectueuse de certains codes et qui possède ce pouvoir de plaire à un public varié et intergénérationnel. Brillantissime !
Jan Verstraten – Violent Disco
A cheval entre une soul hybride et un genre de pop et trip hop orchestral (à la manière d’un Antony & The Johnstons), c’est un certain Jan Verstraten. Ce chanteur venu de la Belgique néerlandophone voisine, on ne l’avait pas vu venir avec cet album sorti sûrement trop confidentiellement pour avoir la visibilité méritée. Si vous aimez les orchestrations majestueuses, les timbres de voix originales et les ambiances quasi mystiques, vous pouvez monter à bord de ce Violent Disco aussi surprenant qu’envoûtant.
World music : La culture de l’échange
Victor Axelrod – If You Ask Me To
L’obsession de Victor Axelrod (connu aussi sous le nom de Ticklah) est à chercher du côté des vibrations jamaïcaines autour desquelles ses talents de producteur/arrangeur et musicien se révèlent. Depuis 2007 et une première commande livrée pour Daptone Records, est passée à la moulinette “rocksteady” une partie du catalogue du label de Brooklyn puisque soul, funk et reggae font bon ménage. Relecture d’un classique d’Etta James ou de Bob & Gene. Les voix de Charles Bradley ou Sharon Jones tout en syncopes et skank reggae. Dix titres où l’âge d’or de ce sous-genre du reggae résonne comme si vous vous trouviez dans un club de Brixton en 1970. If You Ask Me To ou la bande-son la plus « easygoing » de l’année 2023.
Rogé – Curyman
Quasi inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique alors qu’il fait les belles heures des nuits cariocas depuis 15 ans, Rogé sort un disque superbement produit par l’homme de l’ombre, l’érudit et talentueux Tom Brenneck (Menahan Street Band, Charles Bradley…) et arrangé par un cador brésilien de la grande époque (Arthur Verocaï). Verdict ? Curyman est un bijou de samba-soul complètement addictif comme l’ont été les grands albums de Tim Maia, Jorge Ben, Gal Costa, Marcos Valle & Compagnie.
Bombino – Sahel
Son nouvel album sobrement intitulé Sahel confirme encore une fois les capacités fédératrices et entraînantes de ce rockeur enturbanné originaire d’un coin du monde (le Niger) où l’excellence de sa musique devrait apaiser les hommes. Troquons donc les fusils contre les vinyles de Bombino et plongeons-nous dans ce blues rock du désert qui, année après année, s’invite dans les meilleurs festivals rock de la planète. Fan de Jimmy Page, d’Hendrix ou d’Ali Farka Touré : action !
Lalalar – En Kötü Iyi Olur
Dans la lignée de ce revival autour des musiques électriques turques avec Altin Gun en tête de cortege, voici que débarquent les stambouliotes de Lalalar avec un deuxième album, En Kötü Iyi Olur. Un groupe qui pourrait bien suivre le même chemin tant leur musique possède les éléments pour remporter un franc succès auprès d’un public rock. Chant en turc, guitares acides sur fond de post-punk & d’électro-rock calibré pour mettre les dancefloors en feu. C’est d’ailleurs sur l’excellent petit label suisse Bongo Joe Records (responsable des premiers singles d’Altin Gun justement) que Lalalar publie ses albums. Plus qu’un signe, un gage.
McDonnell Trio – A Family Odyssey
La famille, c’est sacré ! En voici une, irlandaise, installée en Normandie. The McDonnell Trio n’enregistre pas fréquemment (je ne leur connais que 3 albums en 40 ans de musique) mais quand cela arrive, ils le font de la meilleure manière qu’il soit. Le cru 2023, A Family Odyssey fait la part belle à ces harmonies de voix incomparables que les McDonnell maîtrisent à la perfection. Vous qui n’avez pas encore eu l’occasion d’aller faire un tour dans le Sud-Est irlandais d’où le paternel est originaire et vous imprégner de cette solide culture musicale chevillée à ce petit pays, voilà le meilleur des raccourcis.
Jazz, Blues… Et chemins de traverse
Brandee Younger – Brand New Life
Des légendes d’hier comme Alice Coltrane ou Dorothy Ashby ont certes défriché le terrain dans les 60’s et 70’s, mais force est de constater que les harpistes (de surcroît féminines) sont assez rares dans l’univers du jazz. C’est d’ailleurs la célèbre maison de disques Impulse, responsable en partie de la carrière des deux musiciennes pré-citées qui publie Brand New Life, le nouvel opus de Brandee Youger. Ce disque devrait logiquement intéresser un public sensible aux résonances afro-américaines et curieux des possibilités harmoniques qu’offre cet instrument.
Nat Myers – Yellow Peril
D’origine américano-coréenne, cet ex-punk et poète que des années de bohème du côté de New York ont emmené sur les rives du Mississippi (on se demande bien par quel miracle). Sur Yellow Peril, Nat Myers chante et pratique un blues dépouillé et dangereusement addictif. Aussi adroit de ses dix doigts sur un dobro que sur un banjo, ce jeune musicien semble être la réincarnation de légendes telles que Charley Patton, Bukka White ou Doc Watson. Produit par Dan “Black Keys” Auerbach qui l’accompagne sur quelques titres, vous avez là un petit bijou de blues/bluegrass comme il n’y en pas beaucoup. La relève est assurée, ouf.
Yussef Dayes – Black Classical Music
Batteur issu de la jeune et pétillante scène jazz anglaise, Yussuf Dayes est déjà régulièrement mentionné par les collègues comme un instrumentiste et un compositeur d’exception. Pas étonnant de voir Black Classical Music arriver dans les récap’ de fin d’année. Un disque copieux, moderne, groovy où les baguettes de ce talentueux musicien croisent le fer avec un casting à la hauteur des ambitions et des envies du percussionniste trentenaire. Publié sur le label de l’érudit Gilles Petterson (Brownswood), un gage de qualité et d’originalité.
Robert Finley – Black Bayou
Hier cantonné à des petits clubs locaux, payé au chapeau, le charismatique Robert Finley tourne aujourd’hui dans le monde entier et s’entoure de musiciens de session des plus talentueux. Il n’est donc jamais trop tard pour finir en haut de l’affiche et en couverture des magazines. Dans Black Bayou vous retrouverez une incomparable voix soul, capable des meilleures ondulations sur un accompagnement solide et groovy qui oscille entre folk, rock, blues et swamp rock. Papy fait de la résistance et ça lui va bien.
