C’est dans les vieilles dentelles que l’on prépare le meilleur arsenic… Voilà un adage totalement incongru qui s’applique pourtant à merveille quand on évoque les grandes dames du roman noir. D’Agatha Christie à Josephine Tey en passant par l’exception US Patricia Highsmith, elles sont toutes expertes en puzzles criminels où des meurtriers souvent bien nés se font confondre par d’inoubliables héros pas toujours sympathiques.
Les dames du Detection Club
Lieu d’échanges littéraires où le sexisme n’a pas sa place, le Detection Club est fondé en 1930 sous l’impulsion d’auteurs de romans policiers britanniques décidés à écrire leurs whodunit selon leurs propres codes narratifs. Parmi les membres majeurs de la première heure, on compte deux romancières au talent supérieur qui deviendront rapidement des références incontournables du genre : Dorothy L. Sayers et Agatha Christie. Après dix ans de carrière et six publications derrière elle, la mère de Miss Marple connaît enfin le succès en 1926 avec Le Meurtre de Roger Ackroyd où apparaît pour la première fois Hercule Poirot. En près d’une centaine de romans à énigmes, entre classiques absolus comme Le Crime de l’Orient-Express et trente-trois enquêtes menées par l’inimitable limier belge jusqu’à l‘épilogue poignant de 1975, la célébrissime auteure de Dix petits nègres a donné ses lettres de noblesse à un genre littéraire considéré alors comme mineur. De trois ans sa cadette, Dorothy L. Sayers crée en 1923 le personnage haut en couleurs de Lord Wimsey : aristocrate excentrique et détective amateur féru de science et de technologie. Lassé par son héros, elle l’abandonne définitivement en 1940 pour réserver son talent d’écriture à l’étude de la littérature médiévale. À l’exemple de son neuvième roman, le bien nommé Neuf tailleurs, ses intrigues policières se distinguent de celles de son illustre aînée et collègue du Detection Club par leur ancrage dans la réalité sociale anglaise de l’époque.
L’art du pseudo
Reine du camouflage, préférant se réinventer sous un patronyme original bien plus seyant pour entamer une carrière d’auteure de polars, l’Écossaise Elizabeth Mackintosh devient Josephine Tey quand en 1929 elle lance une série policière menée par un inspecteur de Scotland Yard qu’elle nomme Alan Grant. Publié en 1951, La Fille du temps – où un Alan Grant alité s’emploie à résoudre une énigme criminelle qui tourmente la couronne d’Angleterre depuis cinq siècles – est un roman policier à forte dimension historique représentatif du style d’une auteure qui a également beaucoup écrit sous un pseudonyme masculin. Qu’elle signe Maxwell March ou de son vrai nom, Margery Allingham, elle n’en reste pas moins une référence du whodunit du début du XXe siècle. Romancière prolifique jusqu’à sa mort en 1966, elle débute sa carrière en 1929 avec Crime à Black Dudley, un coup de maître inaugural qui lui permet d’imposer d’emblée son héros récurrent, l’extravagant Albert Campion.
Alfred Hitchcock présente…
À l’affût d’histoires criminelles sublimées par de puissants enjeux psychologiques et moraux, Alfred Hitchcock a été particulièrement inspiré en allant voir du côté des œuvres singulières de Daphné du Maurier et de Patricia Highsmith. De la première, il adapte Rebecca : une perle noire, romantique et fiévreuse où le drame criminel fait écho aux mystères de l’âme. Plus à l’aise dans le thriller psychologique que dans le roman policier, l’auteure de Ma cousine Rachel plonge ses récits dans une atmosphère brumeuse et gothique typiquement britannique. De la seconde, il s’inspire librement de la trame de L’Inconnu du Nord-Express pour réaliser un film magistral du même nom. Romancière américaine prolifique et inclassable, l’auteure de Monsieur Ripley est avant tout une femme libre qui s’est toujours servie du roman noir pour pourfendre l’hypocrisie et les codes de la bourgeoisie. De Carol à Eaux profondes en passant par Les Deux Visages de janvier, Ce mal étrange et bien d’autres, ses romans se sont souvent mués en de grands films.
—
Photographie : © RDA