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Avec la disparition de Philippe Labro : le monde des médias tourne une page

04 juin 2025
Par Mélanie Carpentier
Avec la disparition de Philippe Labro : le monde des médias tourne une page
©HélieGallimard

Homme de lettres et des médias, parolier et réalisateur, Philippe Labro vient de nous quitter à l’âge de 88 ans. Une vie hors normes qu’il a racontée dans ses livres ou ses films et qui construit désormais sa légende.

L’écriture comme tremplin dans la vie

Pour connaître l’enfance de Philippe Labro et ainsi comprendre l’homme qu’il est devenu, il faut se plonger dans son roman autobiographique paru en 1990, Le Petit Garçon qui manqua de peu le prix Goncourt. Il y dépeint un village du sud de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, les réfugiés juifs que son père aidait à fuir de la déportation en les cachant, jusqu’à l’arrivée des Allemands dans la maison familiale. Un début de vie entre insouciance et peur, retranscrite sur grand écran par Pierre Granier-Deferre dans le film homonyme, avec Jacques Weber, Serge Reggiani et Ludmila Mikaël.

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Lorsque la famille Labro retourne à Paris en 1948, Philippe a 12 ans et montre très tôt des aptitudes pour l’écriture. Lecteur invétéré, travailleur acharné, il remporte à 15 ans à peine un concours de journalisme lancé par Le Figaro. Son prix : la rédaction en chef d’un journal destiné à ceux de son âge, le très justement intitulé Journal des jeunes. Ayant obtenu une bourse, il s’envole pour les États-Unis, le début d’une autre passion qui se retrouvera dans son œuvre. Il traverse les routes américaines de part en part à la manière d’un Kerouac et revient en France transformé. De cette expérience de jeunesse naîtront deux romans à succès, L’Étudiant étranger (futur prix Interallié, adapté en film par Eva Sereny) et Un été dans l’Ouest (prix Gutenberg).

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Le goût des médias

À son retour en France, Philippe Labro devient pleinement journaliste. D’abord pour Marie-France à l’âge de 22 ans, puis comme grand reporter pour France-Soir. Ses articles font sensation, il commence à rencontrer les grands de ce monde dont certains lui font des propositions éditoriales, tel le patron de presse Pierre Lazareff qui lui commande une biographie d’Al Capone, Un Américain peu tranquille. Toujours marqué par l’actualité américaine, il fera de l’assassinat de Kennedy qu’il a couvert pour France-Soir, un récit à succès, On a tiré sur le Président. On le retrouve également dans les rédactions du Journal du dimanche et de Paris Match, peaufinant le style Labro, où l’info se lit comme un roman, avec délectation. 

Lorsqu’il rencontre le journaliste Henri de Turenne, il se lance dans la course des médias. Il coproduit avec lui l’émission de télévision Caméra Trois entre 1964 et 1968. Fasciné par le petit écran, il n’aura de cesse d’y revenir régulièrement, que ce soit pour TF1, Antenne 2, puis dans les années 2000, sur France 3 avec l’émission Ombre et lumière. Il lance la chaîne Direct 8 en 2005, devient rédacteur en chef d’i-Télé en 2015 et animera une émission culturelle sur C8 de 2008 à 2025, L’Essentiel chez Labro. Plus de 50 années seront ainsi destinées aux médias, mais c’est surtout avec la radio qu’il vivra une histoire d’amour passionnée : d’abord avec Europe 1, puis avec RTL dont il sera indissociable. Il en sera le rédacteur en chef en 1979, le directeur des programmes entre 1985 et 2000 et l’animateur de sa propre émission en 2011. Labro rimera éternellement avec radio. 

Les mots le long d’une vie

Si Philippe Labro consacre sa carrière aux médias, avec acharnement et dévouement, il n’en délaisse pas pour autant les livres, lui qui manie si facilement les mots. De 1960 à 2024, il publiera 23 romans, se dévoilant dans certains comme Quinze ans, version fantasmée de son adolescence dans les années 1950 et histoire d’amour ambiguë avec la sœur aînée d’un de ses amis. 

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Dans Des feux mal éteints, il décrit son expérience de jeune journaliste en pleine guerre d’Algérie, tandis que dans Tomber sept fois, se relever huit paru en 2003, il dépeint la dépression qu’il a éprouvée entre 1999 et 2001, entre dépendance aux antidépresseurs et goût à la vie qui ressurgit. Un enfermement intérieur bouleversant couronné d’excellentes critiques. Il tente aussi de décrire le mystère qui auréole sa mère dans Ma mère, cette inconnue en 2017, déclaration d’amour filiale que n’aurait pas renié Romain Gary. Souvent, l’Amérique qu’il aime tant, ressurgit dans son écriture, que ce soit dans Rendez-vous au Colorado à Deux gimlets sur la 5e avenue, son ultime roman, histoire d’amour située entre Paris et New York.

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Une histoire d’amour avec le cinéma

Certains de ses ouvrages seront adaptés à la télévision ou au cinéma. Outre Le Petit Garçon et L’Étudiant étranger, Des cornichons au chocolat deviendra un téléfilm avec Alain Bashung et Des feux mal éteints sera mis en images par Serge Moati en 1994 avec Manuel Blanc, Maria de Medeiros et Hélène Vincent. 

Il faut dire que le septième art lui a toujours fait les yeux doux, lui, le cinéphile accompli pas seulement vampirisé par les films américains. Dès 1969, à l’âge de 33 ans, il s’improvise réalisateur. Ce sera Tout peut arriver, empreint d’auto-références (un double de lui-même, Philippe Marlot, jeune journaliste ayant vécu aux États-Unis et qui fait de l’auto-stop en France) et dans lequel on retrouve un casting étonnant : Jean-Claude Bouillon, Catherine Allégret, mais aussi Fabrice Luchini, âgé de 17 ans seulement et dont c’est le premier long-métrage et… Chantal Goya. Le film est un échec pour l’époque, avec seulement 112 000 spectateurs, ce qui ne l’empêchera pas de reprendre la caméra deux ans plus tard, cette fois-ci, avec succès. 

En effet, le polar nerveux Sans mobile apparent avec Jean-Louis Trintignant tutoie les 1,3 million d’entrées et en 1973, Labro signera son film le plus populaire avec L’Héritier dans lequel Jean-Paul Belmondo joue un contre-emploi, ce qui ne l’empêchera pas d’être applaudi par deux millions de spectateurs. Belmondo et Labro remettront cela en 1976 avec L’Alpagueur (1,5 million d’entrées). Enhardi par ces succès, Labro continue de réaliser en parallèle de ses activités médiatiques et littéraires. Il fait tourner Yves Montand dans Le Hasard et la Violence, Claude Brasseur et Jean-Claude Brialy dans La Crime (1,8 million de spectateurs) et tournera un ultime film en 1984, Rive droite, rive gauche. Un drame autant sentimental que politique, porté par Gérard Depardieu, Nathalie Baye et Carole Bouquet. L’échec du film aura eu raison de sa carrière de réalisateur : il ne reviendra plus jamais derrière la caméra par la suite. 

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Des activités artistiques parallèles

Homme de télévision, de littérature, de cinéma, Philippe Labro n’est jamais rassasié. Autodidacte en tout, fin connaisseur de l’âme humaine, il parvient à se hisser au sommet de toutes ses différentes carrières, tout en en expérimentant d’autres pour le simple plaisir. 

On le retrouve ainsi à faire l’acteur dans différents films, surtout dans son propre rôle ou des apparitions surprises. On peut le voir dans Made in USA de Jean-Luc Godard dès 1966, dans Sans mobile apparent, interprétant un journaliste ou en second couteau de choix dans Le Chat et la Souris de Claude Lelouch. Philippe Labro n’est ainsi jamais là où on l’attend et il donne également de sa personne dans divers documentaires, de Philippe R. Doumic, sous son regard l’étincelle à Johnny par Johnny

Si le nom de Philippe Labro est associé à celui de la star Johnny Hallyday, c’est parce que les deux amis ont également beaucoup collaboré ensemble. Labro fut également un parolier recherché, que ce soit pour Eddy Mitchell ou Jane Birkin. Mais c’est surtout avec Hallyday qu’il va intégrer un autre médium qui lui manquait dans son escarcelle, celui de la musique. 

Philippe Labro fut en effet le premier auteur à écrire un album entier pour Johnny. Il sera son parolier régulier de 1970 à 1999 et le maître d’œuvre de tubes tels que Oh ! Ma jolie Sarah, La Fille aux yeux clairs, Fils de personne, Mon Amérique à moi ou Ne tuez pas la liberté. Des titres écrits sur-mesure pour la star qui montrent toute la diversité de la plume de Labro, capable de se caler sur des musiques aussi rock que country. 

En touche-à-tout passionné, Philippe Labro a construit une carrière multiple et variée qui le rend aussi inclassable qu’indispensable. Grand officier de la Légion d’honneur, Labro nous a quittés la plume à la main ce 4 juin 2025. Comme il est né.

Article rédigé par
Mélanie Carpentier
Mélanie Carpentier
Journaliste
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