Décryptage

D’Apocalypse Now à Megalopolis : les projets les plus fous de Francis Ford Coppola

25 février 2025
Par Thomas Chouanière
D'Apocalypse Now à Megalopolis : les projets les plus fous de Francis Ford Coppola
©Memento Films

La dernière entreprise pharaonique de Francis Ford Coppola, « Megalopolis », sort en DVD et Blu-Ray ce 26 février. Un film dont le propos, la réalisation et l’accueil apparaissent « bigger than life » à plus d’un titre. Cette histoire d’architecte capable d’arrêter le temps, dans un New York transformé en Nouvelle Rome, condense une partie de la carrière (et de la vie) du réalisateur. Un génie qui a multiplié les projets déjantés tout au long de sa filmographie.

Le talent de Francis Ford Coppola n’est évidemment plus à prouver. Il fait partie des plus grands. Deux Palmes d’or à Cannes, quatre Oscars en qualité de scénariste et de réalisateur, et pour couronner le tout, deux de ses chefs-d’œuvre (Le Parrain et Le Parrain, 2e partie) figurent dans le top 5 IMDB. 

Et à bien y regarder, les prises de risques et les déboires connus par le réalisateur tout au long de sa longue carrière racontent l’ambition démesurée d’un homme qui a voulu non seulement changer le septième art mais aussi la manière dont les films s’écrivaient, se produisaient et se montaient. Et chaque œuvre où il s’est mis en danger démarre par une envie de contrôle… et finit au bord de la folie. Comme si Apocalypse Now, Coup de cœur et Megalopolis illustraient le propos de Nietzsche : « Il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse« .

Apocalypse Now ou comment tout rater pour faire un chef-d’œuvre

Les années 70 sont le sommet de l’œuvre de Francis Ford Coppola. Ancien disciple du roi de la série B Roger Corman, ce fils de musicien a imposé sa patte sur deux scénarios de film de guerre, Paris brûle-t-il, et surtout Patton, en 1970, portrait de l’excentrique et mégalomane général américain. Mais son ambition dévorante ne s’arrêtait pas là, puisqu’il lorgnait alors le cinéma européen d’auteur, en produisant THX 1138 de son ami George Lucas et en dirigeant Conversation secrète, thriller évoquant le Watergate, dans lequel il emploie, en virtuose, toute la grammaire cinématographique de son temps. Bientôt, il fut le chef de file du Nouvel Hollywood, une génération où cohabitent Peter Bogdanovitch, William Friedkin, Brian de Palma et le jeune Steven Spielberg.

En marge de sa réussite artistique, Coppola connut un succès commercial gigantesque avec Le Parrain et sa suite. Comme le raconte Peter Biskind dans le livre Le Nouvel Hollywood : « [Francis Ford Coppola] a commencé à recevoir des chèques à six zéros. » Une aisance financière qui le transforma : il pouvait désormais produire sans major un long-métrage ambitieux. Le résultat de cette toute-puissance ? Apocalypse Now.

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Cette adaptation d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, transposé pendant la guerre du Vietnam, se transforme en aventure dantesque. Les détails du tournage et du montage ont nourri un documentaire, Heart of Darkness, et quantité de livres, où l’on apprend des anecdotes complètement dingues : qu’un typhon a détruit une partie du décor, que l’acteur principal (Martin Sheen) a fait un infarctus alors que ses scènes n’étaient pas en boîte, que la drogue coulait à flots parmi les interprètes et les techniciens, que les hélicoptères de la fameuse scène de La Chevauchée des Walkyries servaient la nuit à la répression d’une révolte aux Philippines, lieu de tournage du film, et surtout que Coppola dépassait régulièrement les limites du chaos et de la folie.

Endetté par les dépassements de budget, devenu paranoïaque, le cinéaste faisait livrer à grands frais des mets italiens sur le tournage, et ne supportait plus que la compagnie d’une curieuse troupe, mi-harem, mi-cour des miracles, au point de ressembler bientôt au personnage interprété par Marlon Brando dans le film.

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Baroque, saisissant, aussi fou que son tournage, aussi empêtré dans une logistique complexe que le furent les GI’s américains pendant leur guerre, Apocalypse Now fut sauvé par un accueil dithyrambique et par la Palme d’or au Festival de Cannes 1979.

Coup de cœur, le rêve de sédentarité

Quelle suite donneriez-vous à votre carrière si votre précédent projet, tourné en Extrême-Orient, avait failli vous coûter votre santé mentale, votre mariage et votre vie ? Eh bien, si vous vous appeliez Francis Ford Coppola, vous auriez fait reconstruire Las Vegas dans un studio… 

Au début de la télévision, les réalisateurs avaient coutume de tourner des films en direct, façon théâtre, l’ensemble des plans étant enchaînés par des acteurs et des techniciens en live. Une économie de tournage qui séduit Coppola, bien décidé à faire de Coup de cœur, sorti en 1981, l’anti-Apocalypse Now. Le film fut donc conçu pour une production près de son domicile, à Los Angeles, et le cinéaste était censé le diriger depuis une cabine à l’intérieur du studio.

L’étape du montage, qui s’est révélée tortueuse sur sa précédente production, est réduite à sa plus simple expression : « il suffisait de tourner en direct les dix minutes de film que pouvait contenir une caméra à l’époque, puis de la monter avec la séquence suivante », expliquait Coppola à Letterboxd en 2024. 

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Bien entendu, cette méthode très innovante réclamait une mécanique exceptionnelle, avec des changements de décor, de lumière et de mise au point parfaitement synchronisés avec les actions des interprètes. Et l’ambition affichée coûta rapidement une petite fortune au cinéaste-producteur, abandonné par les studios, et finalement convaincu par ses deux chefs opérateurs de renoncer à tourner en temps réel.

« L’un des regrets de ma vie c’est de ne pas les avoir virés« , confiait Coppola à Letterboxd lors de la sortie de Megalopolis. De fait, sans suivre son principe moteur, Coup de cœur ne bénéficia pas de l’aura de projets singuliers similaires, et fut un échec retentissant, malgré un tournage beaucoup plus « cool » qu’Apocalypse Now.

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Megalopolis, métaphore du cinéma

Projet de longue date, plusieurs fois repoussé, Megalopolis a fini par trouver son chemin en salles en 2024. Depuis longtemps, Francis Ford Coppola n’est plus à la pointe de l’innovation cinématographique, et ses films des années 1980 ont retrouvé un certain classicisme, même si le réalisateur ne délaisse pas, parfois, le baroque (Dracula, Tetro).

En ce sens, les effets spéciaux de ce nouveau film, et sa narration sont de bonne facture, sans changement probant, à l’image de Conversation secrète ou d’Apocalypse Now. Mais c’est par son propos même que le film, éreinté par la critique à sa sortie, mérite d’être visionné.

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César, interprété par Adam Driver, campe en fait l’ambition d’un artiste-démiurge brillant qui n’écoute pas les autres. Son pouvoir « magique », celui d’arrêter le temps et son métier (architecte) dans lequel il façonne l’espace correspondent en tout point à ce qu’est un réalisateur. Et c’est par ce prisme que l’on peut découvrir un long-métrage qui évoque moins la mégalomanie que l’aptitude de l’art et de la famille à changer les choses.

Le projet fou du héros, César, à savoir une ville utopique qui corrige les tares de la société actuelle, son lien avec son passé, son envie de transmission, contient quelque chose d’intime : la trajectoire d’un cinéaste et d’un homme pour qui le risque de la création prend le pas sur toutes considérations matérielles. De quoi offrir la matière à l’un des essais autobiographiques les plus ambitieux jamais sortis en salles.

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Article rédigé par
Thomas Chouanière
Thomas Chouanière
Journaliste
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