L’œuvre de Will McPhail interroge les relations humaines et familiales dans un tourbillon d’émotions qui ne laisse pas indifférent.
Paru aux éditions 404 Graphic en janvier 2024, Au-dedans continue d’être, plusieurs mois après sa publication en France, un succès critique et public. L’œuvre, écrite et dessinée par Will McPhail est un voyage sensible et doux dans la vie d’un jeune illustrateur, Nick, qui tente de communiquer différemment avec les gens qui l’entourent après des années d’échanges superficiels.
Traitant à la fois de la solitude et du rapport aux autres, Au-dedans révèle tout son propos dans sa deuxième partie, quand le twist narratif tombe. Lauréate du Prix BD Fnac France Inter 2025, l’œuvre syccède à la BD Les guerres de Lucas (Deman).
Derrière Au-dedans se trouve donc Will McPhail, auteur et illustrateur du prestigieux magazine The New Yorker. Il signe ici sa première bande dessinée, qui mêle autobiographie et fiction, en suivant le quotidien d’un artiste, seul, entre travail, relations éphémères et déambulations dans les cafés du coin. En adoptant un style graphique proche de l’illustration minimaliste, Au-dedans est à la fois un récit introspectif touchant et une démonstration d’art séquentiel.
Comme le reste de la société, Nick ne parvient pas à s’ouvrir aux autres et semble destiné à enchaîner les échanges superficiels dictés par la norme et par le regard des autres. Cherchant également sa place de jeune adulte dans le monde du travail – et culpabilisant de faire un « métier-passion » –, il fait la rencontre de Wren, une jeune médecin au tempérament fort. À son contact, il va décider de briser sa routine infernale : désormais, Nick va chercher à interagir réellement avec les autres et ne plus perdre de temps.
Le reflet vibrant d’un quotidien authentique
Au fil de sa construction narrative et du développement de ses personnages, Will McPhail parvient à aborder plusieurs thèmes et à créer une œuvre authentique et vivante. Au-dedans manie plusieurs tons pour être tour à tour sensible, drôle, révoltant, touchant, déchirant ou absurde, sans jamais s’éloigner de son rapport à l’humain particulièrement subtil, qui procure instantanément une sensation de vérité. Au-dedans parle en effet des êtres humains et des relations, et Will McPhail parvient à trouver le ton juste dans l’expression de ses personnages et dans son rythme, pour donner un air quasi documentaliste à sa bande dessinée.
Se plaçant à la fois comme témoin de la société, observateur et protagoniste, Will McPhail se livre intimement. Le lecteur y trouvera forcément un écho tant l’authenticité transparaît d’Au-dedans. La gêne d’une conversation banale – transcrite en français grâce à une traduction particulièrement remarquable de Basile Bégurie –, l’incapacité à communiquer au bon moment, la difficulté à trouver les bons mots… Au-dedans est avant tout une œuvre sur le relationnel.
Quand Nick parvient enfin à créer un pont avec la personne qu’il a en face de lui – lors d’une scène particulièrement savoureuse de cocasserie –, un nouveau monde intérieur s’ouvre à lui, rempli de couleurs et de grandeur, lui donnant la sensation d’enfin exister. Au-dedans devient alors une symphonie visuelle propre à l’interprétation, à la symbolique et au métaphorique.
Profonde, mais sans jamais donner les réponses au lecteur, l’œuvre de Will McPhail a un aspect hypnotique, grâce au voyage intérieur du personnage – qui tranche, graphiquement, avec le reste de l’album. Mais si Nick parvient à mieux communiquer avec les étrangers ou les simples connaissances, l’exercice se révèle plus difficile lorsqu’il s’agit de sa propre famille.
Du caustique au dramatique
La seconde partie d’Au-dedans laisse de côté l’aspect humoristique pour plonger dans un drame déchirant à la finalité évidente, qui conforte le propos développé dans les premières pages sur l’importance de la communication et de la construction de l’individu. Car si, pour Nick (et pour tous), les personnes autour de lui sont souvent définies par une seule part de leur identité (le plombier, la voisine, la copine, la mère, etc.), chaque individu a en lui ce grand « infini » et ces différentes facettes qui forment le soi. Philosophique, mais toujours abordable, Au-dedans obsède bien après sa lecture.
Avec son expérience d’illustrateur au New Yorker, Will McPhail est particulièrement habile pour raconter des histoires dans l’histoire. L’album fourmille de détails – tout en restant très minimaliste – et les planches peuvent parfois se concevoir comme des petits récits à part entière, qui donnent vie différemment aux personnages ou aux lieux, avec leur lot de running gags, de situations plus ou moins cocasses et de quiproquos.
Outre son talent pour condenser les histoires, l’auteur manie aussi l’humour contenu qui éclot d’une situation ou d’un paradoxe. Au-dedans est très souvent drôle, surtout dans sa première partie.
Quand Will McPhail entre dans le vif du sujet, les relations familiales – avec un rebondissement narratif déchirant –, il devient bouleversant et continue de démontrer sa capacité à capter le vrai chez l’être humain et à décrire des situations comme elles sont vécues par des milliers de personnes : authentiques, véridiques, concrètes.
Voir cette publication sur Instagram
Mêlant à la fois son expérience d’illustrateur de The New Yorker et sa sensibilité personnelle d’auteur ayant des choses à raconter, Will McPhail frappe un grand coup avec sa première bande dessinée. Malgré une (fausse) simplicité dans le découpage et le style, Au-dedans est une œuvre profonde, minutieuse, qui capte l’être humain dans son infinité de déclinaisons et dans son rapport aux autres.
Touchant par son absolutisme, l’album se révèle progressivement, jusqu’à une fin aussi abrupte que cohérente, qui rappelle à quel point la vie – avec ses innombrables épisodes anecdotiques et routiniers – et ceux qui la composent sont fragiles et éphémères.