À l’occasion de la ressortie en salles le 6 mars du chef-d’œuvre de Park Chan-wook, L’Éclaireur revient sur l’incroyable richesse du film et sur sa place dans le cinéma coréen.
Quasiment 30 ans après sa sortie, Old Boy, de Park Chan-wook est de retour en salles à partir du 6 mars 2024, de quoi replonger dans l’imagerie violente et choquante du cinéaste, qui a su, tout au long de sa carrière, imposer ses thématiques et son approche visuelle singulière du cinéma coréen. Old Boy, œuvre culte pour ses scènes d’action et ses rebondissements imprévisibles, a marqué une génération et a permis à un style émergeant de cinéma de prendre une place particulière dans le monde.
Fin des années 1980, un père de famille disparait sans laisser de traces, séquestré par des ravisseurs inconnus. Pendant 15 ans, Oh Dae-su vit dans une chambre étroite avant d’être inexplicablement relâché. Sa femme est morte et il n’a aucun moyen de retrouver sa fille. Rapidement, il est amené à découvrir l’origine de ses ravisseurs, ceci le lançant dans une quête de vengeance aussi dramatique pour lui que pour les autres. Adaptée du manga de Nobuaki Minegishi et Garon Tsuchiya et librement inspirée du Comte de Monte-Cristo, l’intrigue d’Old Boy n’est jamais aisée à résumer tant l’appréciation — ou pas — du film, passe en partie par la succession des surprises qu’il renferme tout au long de son déroulé.
Oh Dae-su à la recherche du sens de sa vie. ©Wild Side
La trilogie de la vengeance
C’est la force de Park Chan-wook. Tantôt drame, tantôt thriller, tantôt romance ou film d’action, Old Boy condense plusieurs genres en un, déstabilisant ses personnages et le spectateur. Les codes du cinéma coréen ne sont pas les mêmes que ceux du cinéma américain ou européen. Le résultat intrigue, choque, voir même, dégoute, tant la caractérisation du personnage principal n’a rien de glamour ou d’héroïque. Brillamment interprété par Choi Min-sik, Oh Dae-su est un homme brisé, sans but, répondant à des pulsions primitives. La thématique de la vengeance, chez Park Chan-wook, n’est jamais glorifiée ou symbole de justice. La vengeance est sordide, vaine, et condamne autant l’auteur que la victime.
Il faut dire que le cinéaste a particulièrement abordé le sujet au début de sa carrière en réalisant sa « trilogie de la vengeance », composée de Sympathy for Mister Vengeance (2002), Old Boy (2003) et Lady Vengeance (2005). Sans lien narratif entre les films mais possédant une thématique identique, ce triptyque montre à chaque fois comment une vengeance personnelle n’est jamais source de réponse ou de satisfaction. Dans Old Boy, Park Chan-wook se sert des traumatismes liés à des incidents anecdotiques, pour montrer comment la moindre humiliation peut déclencher de terribles conséquences. La vengeance est multiple et fait souffrir tous les personnages.
Old Boy, c’est aussi un enchainement maitrisé de nombreuses révélations. Jusqu’à la fin, même une fois le postulat initial compris — répondant à la question de l’enlèvement et de la libération d’Oh Dae-su — le film joue avec les spectateurs en dévoilant ses dernières cartes. À l’instar des plus grands thrillers, il laisse le public sur une dernière image marquante, mémorable, résumant toute la profondeur du propos.
L’immoralité du personnage
Le film est violent dans ce qu’il raconte et ce qu’il montre. Dérangeant, et subversif, il peut créer un certain rejet chez les spectateurs. L’exercice de Park Chan-wook est périlleux, mais explique sa notoriété.
Il n’adoucit jamais son propos et garde une même distance envers son personnage principal, quitte à créer un détachement total avec le public. Le réalisateur montre surtout que le cinéma n’a pas à représenter un protagoniste vertueux pour être intéressant. Il prend plaisir à filmer la déchéance, conscient de la richesse thématique de son propos. Tout va dans ce sens et Old Boy hante même après son visionnage.
Un couloir, un plan séquence et une scène culte. ©Wild Side
Par ailleurs, Park Chan-wook peut se reposer sur une maitrise filmique incontestable. De la mise en scène au montage, à la direction d’acteurs, Old Boy est l’œuvre d’un cinéaste accompli. Il s’illustre même en 2004 au Festival de Cannes en recevant le Grand prix du jury. Force est de constater que sans la forme pour soutenir le fond, le film n’aurait pas eu le même impact hors de ses frontières.
À l’étranger, Old Boy introduit ainsi à un nouveau public la force du cinéma coréen. La démonstration technique de Park Chan-wook agit comme un électrochoc. Sa gestion de l’action revitalise le genre et change radicalement la façon de mettre en scène les combats. Lors d’une séquence culte, Oh Dae-su affronte de nombreux assaillants dans un couloir en plan séquence, offrant au cinéma un modèle souvent copié ou référencé.
Le cinéma coréen montre qu’il existe une autre façon de concevoir ses personnages, son action ou son propos. Old Boy en devient précurseur et atteste de la richesse de l’art séquentiel audiovisuel, traçant la voix pour d’autres cinéastes coréen — Bong Joon-ho, par exemple –, mais aussi pour des réalisateurs européens ou américains (le cinéma de Nicolas Winding Refn l’illustre bien).
En définitif, Old Boy est une œuvre paradoxale. Passionnante à suivre d’un côté pour ses thématiques et les questionnements liés à la vengeance, mais profondément déstabilisant de l’autre dans son écriture et le développement de personnages immoraux, violents et néfastes. Qu’on adore ou déteste, le film de Park Chan-wook ne laisse jamais indifférent. 20 ans après sa sortie, il mérite toujours autant de s’y intéresser avec la garantie de ressentir des choses devant, bonnes ou néfastes ; des choses que seul le cinéma coréen est en mesure de produire.
Old Boy, de Park Chan-wook, 1h59, de nouveau en salles à partir du 6 mars 2024.