Décédé le 9 février dernier, Robert Badinter emporte avec lui une vie de combat. Juriste et homme d’État, il est entré dans l’Histoire pour avoir permis l’abrogation de la peine capitale en France. Avec son épouse Élisabeth, l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand a aussi imposé une philosophie humaniste et transpartisane tout au long de son existence. En témoignent les écrits qu’il nous a laissés.
Robert Badinter, un avocat engagé
Fils de déporté, Robert Badinter s’engage en faveur de la justice, ou plutôt de la lutte contre l’injustice, dès son baccalauréat, en choisissant de réaliser des études de droit. Spécialisé un temps dans les procédures au civil, il monte un cabinet d’affaires avant de se rendre célèbre dans les Cours d’assises. Son domaine de prédilection ? Les causes perdues, à savoir les prévenus condamnés d’avance par le tribunal médiatique. C’est ainsi qu’au début des années 1970, il plaide au procès de Roger Bontems, membre du tragique tandem Buffet-Bontems, deux truands incarcérés qui ont tué deux otages lors d’une tentative d’évasion en prison.
Son client est finalement condamné à mort et exécuté en 1972. Assistant à son passage sur l’échafaud, Robert Badinter décide de consacrer toute son énergie à la lutte contre la peine capitale. En 1973, son livre L’Exécution lui permet de revenir sur ce procès et sur l’injustice du châtiment. Trois ans plus tard, sa retentissante plaidoirie lors du procès du tueur d’enfant Patrick Henry reste comme l’un de ses plus beaux « coups ». Par sa rhétorique, l’avocat réussit en effet à inciter le jury à prononcer la perpétuité plutôt que la mort. À cette même époque, François Mitterrand approche Badinter afin de l’intégrer à sa campagne présidentielle de 1981. Après un dernier procès médiatique, la procédure en appel visant l’assassin Norbert Garceau, où il parvient une nouvelle fois à éviter une exécution, l’avocat devient ministre de la Justice en mai 1981.
Un homme d’État inoubliable
Dans l’équipe gouvernementale de François Mitterrand, Robert Badinter a pour mission de mettre en place une politique de lutte pour la justice, la liberté et le respect des droits fondamentaux. Des thèmes dont il s’empare d’emblée, en faisant voter l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981. Il engage ensuite une série de réformes de la procédure pénale, supprime certains tribunaux d’exception, puis soutient la loi Forni qui abroge le délit d’homosexualité. Par la suite, peu avant la victoire de la droite aux législatives de 1986, il devient président du Conseil constitutionnel. Ses qualités de juriste et son aura imposent l’institution comme l’un des gardiens de la Ve république.
Robert Badinter, une plume au service de l’humain
En 1995, il devient sénateur des Hauts-de-Seine, poste qu’il occupera jusqu’en 2011. En parallèle, ses livres lui ont permis d’exprimer sa connaissance profonde du droit et son sens de l’Histoire. Outre son ouvrage consacré à la fin de la peine de mort en 1981 (L’Abolition) et ses souvenirs politiques (Les Épines et les Roses), il a dédié ses œuvres à sa famille (Idiss), à l’émancipation des Juifs sous la Révolution (Libres et égaux…) et réuni ses créations pour le théâtre dans deux tomes (Théâtre et Affaire classée).
Au moment de son décès, Robert Badinter mettait la dernière main à un livre qui devrait paraître d’ici fin 2024, baptisé La Démocratie illibérale, et consacré à la montée en puissance de régimes autoritaires dans le monde occidental ces dernières années. Un ultime avertissement à la vigilance citoyenne, de la part d’un humaniste, farouche défenseur de l’indépendance de la justice et de l’expression la plus pure de la démocratie !