Décryptage

Notre-Dame de Paris : Gringoire, le quatrième homme

20 avril 2023
Par Melanie C.
Notre-Dame de Paris : Gringoire, le quatrième homme

De ce célèbre roman de Victor Hugo, tout le monde connaît les visages ou contours. A commencer par ceux de la cathédrale elle-même, personnage à part entière, symbole à la fois de la puissance écrasante de l’Église et du refuge des opprimés. Qui n’y associe pas l’ombre difforme d’un triste sonneur de cloches ou les mouvements ardents d’une robe de bohémienne ? De nombreux personnages dont Pierre Gringoire, poète sans succès incarnant la liberté, le sens de la justice et une forme de résilience.

Notre-Dame de Paris ou la quête désespérée de la justice

Notre-Dame de Paris c’est le roman de la justice bafouée. Ecrit par Victor Hugo en 1831, sa trame romanesque explore avec brio la France du XVIème siècle et met en scène notamment Quasimodo, bossu au cœur tendre, sonneur de cloches de la cathédrale de Notre-Dame, et la flamboyante gitane Esmeralda. L’amour, la justice, la religion, la politique, autant de thèmes chers à Victor Hugo sont au centre de cette fiction rocambolesque. Autant d’occasions pour le romancier épris de justice sociale de dénoncer les travers du monde médiéval et de tendre un miroir à son époque tout aussi sombre et inhumaine. A côté d’Esmeralda et de Quasimodo, archétypes de l’innocence outragée, évolue une galerie de personnages dont les plus connus sont Frollo, symbole de la corruption religieuse ou encore Phoebus, expression de l’arrogance militaire.

Tous deux se retrouvent avec Quasimodo à graviter autour des jupes de la belle bohémienne. L’intrigue est limpide : trois pour une ! Frollo, Phoebus et  Quasimodo aiment la bohémienne et représentent trois pouvoirs : l’Église, l’Armée, le Peuple. Mais ce n’était pas assez de trois figures masculines pour les pauvres épaules de la seule égyptienne, et Hugo imagine un quatrième homme, qui vient troubler ce schéma trop net, Pierre Gringoire. Qui est-il ? Et quel rôle joue-t-il dans le destin de la farouche danseuse de la Cour des Miracles ?

Notre-Dame-de-Paris

Gringoire, le poète sans-le-sou

Gringoire c’est tout d’abord le poète fauché et sans succès. Présent dès l’ouverture du roman gothique, il apparaît dans le plus grand désarroi lorsque personne n’est attentif à sa pièce de théâtre. Le public est manifestement plus fasciné par ce qui se passe dans la vraie vie, lors de la Fête des fous. Figure du poète malmené et symbole de la place des arts dans la société au Moyen-Age mais aussi au XIXème, le troubadour imaginé par Hugo devient un étendard des artistes talentueux mais boudés par la grand public Avec Esmeralda qui incarne la beauté et la liberté, il souligne l’importance de la poésie, de l’art et de l’amour dans un monde qui en manque souvent cruellement. Et Hugo de compléter sa trilogie Eglise-Armée-Peuple par une quatrième force agissante, la figure de l’Ecrivain.

De la figure de l’écrivain à celle du narrateur, il n’y a qu’un pas. Et Gringoire joue particulièrement bien son rôle de narrateur-témoin des rebondissements de l’intrigue. C’est souvent à travers ses yeux que l’on accède à certaines scènes, comme au moment de son entrée fracassante au cœur de la Cour des Miracles lorsqu’il aperçoit pour la première fois Esmeralda : le portrait de la belle bohémienne est tout empreint de ses sentiments naissants. C’est encore par le prisme de sa compassion que la scène du procès d’Esméralda et de sa chèvre est racontée. Point d’orgue du roman où le cœur du lecteur se serre amèrement.

L’amoureux de trop dans Notre-Dame de Paris

Moins connu que les trois autres soupirants de la bohémienne, Pierre Gringoire est pourtant le premier homme à tomber amoureux d’Esmeralda. Au début du roman, il est fasciné par la jeune femme lors d’un de ses spectacles de danse. Immédiatement attiré par sa beauté et sa grâce, il commence à la courtiser.  Plus intéressée par un autre homme, le capitaine Phoebus, la belle rejette ses avances. Ils se marieront pourtant à l’initiative de la gitane pour sauver Gringoire, condamné à la pendaison par les Bohémiens. Mais ce seront de tristes noces blanches, la danseuse préférant l’implacable Phoebus au trop peu voluptueux Gringoire. Lui qui a tout pour devenir le rival des trois autres (Quasimodo et Frollo venant concurrencer tragiquement le capitaine des Armées), perd peu à peu sa place et son charisme auprès de la jeune femme et dans le roman même. Les trois autres forces masculines vont occuper soit le cœur de la belle soit le premier plan de l‘intrigue. Et Gringoire va quant à lui renoncer en quelque sorte… Tout en continuant à l’aimer, il va peu à peu se déprendre de son désir pour la bohémienne, au profit de Djali, sa chèvre, puis des portails sculptés : « J’ai d’abord aimé des femmes, puis des bêtes. Maintenant, j’aime des pierres », confie-t-il laconiquement à Frollo. Malgré tout, Gringoire cherchera à protéger sa belle jusqu’au bout sans parvenir toutefois à la sauver.

GRINGOIRE

L’épris de justice à la parole décisive selon Victor Hugo

Gringoire est un être particulièrement sensible aux inégalités sociales et aux souffrances des plus démunis. Confronté à plusieurs reprises à des situations d’injustice et d’oppression, notamment lorsqu’il assiste à la mise à mort des bohémiens ou lorsqu’il rencontre Esmeralda, il défend avec ferveur la liberté sous toutes ses formes. Ainsi, il est souvent vu en train de se battre pour les droits et les libertés des plus faibles. Il est par exemple choqué par la mise à mort des bohémiens et par la condamnation injuste d’Esmeralda, la belle gitane qui est accusée à tort d’un crime qu’elle n’a pas commis. Ses convictions le conduisent à s’opposer aux forces conservatrices et réactionnaires de son temps qui cherchent à imposer leur vision du monde et à étouffer toute forme de dissidence. Derrière les contours sombres de l’époque médiévale, c’est l’obscurantisme du XIXème siècle qu’Hugo compte bien pointer du doigt et dénoncer. Et l’on peut encore aujourd’hui voir en Gringoire une figure de l’engagement qui continue d’inspirer et de captiver les lecteurs du XXIème siècle.

La justice du XVIème étant ce qu’elle est -sclérosée et tout sauf juste- les actes de rébellion Gringoire ont une portée limitée et il échouera à sauver Esméralda, ne parvenant ironiquement qu’à sauver sa chèvre ! Par contre, c’est grâce à sa parole et ses talents d’orateur qu’il changera à plusieurs reprises le cours de son propre destin, réussissant à se sauver lui-même. Le poète déchu conquiert au cours du livre un véritable talent : celui de l’éloquence judiciaire. Et c’est ainsi, aidé par les circonstances et sa brillante éloquence, qu’il parvient à fléchir la sévérité de Louis XI et à sauver sa peau.

Le personnage du survivant chez Victor Hugo

La capacité de Gringoire à survivre à toutes ces épreuves peut alors être envisagée comme ambivalente. Certains soulignent sa persévérance, tandis que d’autres y voient de la lâcheté. La vérité se trouve peut-être entre les deux, dans une figure de l’homme moyen, sorte de anti-héros.

Gringoire peut être interprété comme un personnage qui symbolise la force de caractère et la résilience. Malgré les difficultés qu’il rencontre, il parvient à trouver des solutions et à continuer à avancer. Il représente ainsi l’idée que l’on peut trouver de la beauté et de la grandeur même dans les situations les plus difficiles. Survivant ou rescapé, Gringoire échappe à la violence et à la mort à plusieurs reprises au cours du roman. Tout d’abord, il échappe de justesse à la mort lorsqu’il est condamné à être pendu par les bohémiens. Il est sauvé par la belle danseuse Esmeralda, qui l’épouse pour le sauver. Gringoire survit enfin à l’attaque de la cathédrale de Notre-Dame par Quasimodo et les insurgés.  Alors que de nombreux personnages importants du roman trouvent la mort, il sauve sa peau. Ce que l’on peut aussi considérer comme de la lâcheté, à vrai dire, consiste surtout à vouloir éviter le gibet. En fin de compte, Gringoire n’est peut-être ni un poltron ni un superhéros, mais plutôt un représentant moyen de l’humanité normale, attachée à la vie. Ni intrépide, ni méprisable, Gringoire est un personnage qui suscite l’empathie chez le lecteur en disant tout simplement que l’on n’est pas forcé d’être un héros.

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A l’écran et sur scène : un Gringoire charismatique ou absent

La plus fidèle adaptation au cinéma du roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo est celle réalisée par Jean Delannoy en 1956. Cette belle version doit une part de sa poésie à la présence de Jacques Prévert à l’écriture du scénario et des dialogues. A l’écran, on retrouve le meilleur des acteurs et actrices de l’époque, notamment Gina Lollobrigida, Anthony Quinn, Alain Cuny et Robert Hirsch dans le rôle de Gringoire. Un classique à voir ou à revoir !

Disney, quant à lui,  n’a pas failli à son rôle de popularisation des « classiques » en livrant sa version libre et un peu édulcorée de l’histoire de Quasimodo et d’Esméralda dans son film d’animation Le bossu de Notre-Dame en 1996. Dans ce dessin animé, le personnage de Gringoire disparaît d’ailleurs complètement au profit de Clopin, figure du narrateur, avec laquelle il semble avoir fusionné. Une version éloignée du chef d’œuvre d’Hugo, mais qui continue de plaire aux petits et aux grands enfants…

Et n’oublions pas la plus-que-célèbre comédie musicale qui a largement contribué à faire revivre cette œuvre sublime de Victor Hugo ! Dans cette version populaire et chantée de Notre-Dame de Paris parue en 1996, qui a par ailleurs redonné ses lettres de noblesse au genre de la Comédie musicale en France, des chanteurs-comédiens  talentueux prêtent leurs voix puissantes aux héros hugoliens. L’occasion de peupler le paysage musical français d’immenses tubes inoubliables. A l’image de la chanson « Il est venu le temps des cathédrales », véritable hymne ouvrant le spectacle, magnifiquement interprétée à l’origine par Bruno Pelletier jouant le rôle de Gringoire.

Le-Bou-de-Notre-Dame

Article rédigé par
Melanie C.
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