Un batteur, un bassiste, un guitariste : la formule du trio rock s’avère aussi simple qu’efficace. Nés dans les années 1960, les groupes à trois ont marqué l’Histoire du rock, depuis lors. Et ils continuent à faire l’actualité du genre, comme le prouve la sortie du nouvel album de Placebo, Never Let Me Go, le 25 mars, et d’un neuvième disque de Muse au printemps.
Les années 1960 : à l’origine du « power trio »
Si l’association de trois musiciens existe depuis des siècles dans le classique, tel ne fut pas le cas dans le rock. Au début du genre, il était courant qu’un groupe normal comprenne un batteur, un bassiste et deux guitaristes, l’un pour la rythmique, l’autre pour les solos. D’où une profusion de formations à quatre ou à cinq, suivant la possibilité pour le chanteur d’assumer un instrument ou non.
C’est l’ère des « guitar héros » qui va changer la donne. Au milieu des années 1960, le guitariste de blues anglais Eric Clapton a déjà une carrière de tout premier ordre, au sein des Yardbirds, lorsqu’il décide de monter un nouveau groupe avec d’autres musiciens virtuoses. Capable d’assumer à la fois le rôle rythmique et les solos, il fonde Cream avec le batteur Ginger Baker et le bassiste Jack Bruce. Dès leur premier album, Fresh Cream, la formation réussit une parfaite synthèse de blues, de rock et de psyché. L’expression « power trio » se forge d’ailleurs à l’écoute de cette formation : leur puissance est inversement proportionnelle au nombre de musiciens qui la composent !
La formule fait rapidement des émules. Jimi Hendrix, le seul virtuose, avec Jeff Beck, à tenir la dragée haute à Clapton, crée lui aussi son trio, avec Noel Redding et Mitch Mitchell. The Jimi Hendrix Experience deviendra l’autre trio culte des années 1960 : avec cette formation réduite, le génie guitaristique livre ses trois albums anthumes (Are You Experienced, Axis : Bold as Love, Electric Ladyland). Il changera d’accompagnateurs le temps d’une tournée, captée sur Band of Gypsys. Billy Cox à la basse et Buddy Miles à la batterie apportent à Hendrix une rythmique très différente de l’expérience, plus funk que rock. Preuve qu’avec le power trio, le guitariste avait atteint l’équilibre parfait pour exprimer ses nombreuses idées musicales.
D’autres groupes trouveront dans le power trio un moyen de revenir au rock dans sa forme la plus simple, et de prouver la capacité d’un de leurs membres à chanter tout en jouant d’un instrument. Grand Funk Railroad, à ses débuts, innovera par un hard rock accrocheur, quand Blue Cheer, originellement un quintette, connaîtra le succès avec son rock psyché très musclé lorsqu’il deviendra un trio, auteur notamment de l’album Vincebus Eruptum.
Des années 1970 aux années 1990 : le trio marginal
Rolling Stones, Led Zeppelin, The Who, Pink Floyd, Genesis… Les formations qui dominent les années 1970 comptent en général quatre ou cinq membres, suivant la présence ou non d’un claviériste en leur sein. Seuls quelques groupes vraiment populaires adoptent à cette époque la formule du trio. Le plus célèbre est sans doute Motörhead, créé par un ancien roadie de Jimi Hendrix, Lemmy Kilmister, qui tient la basse et le chant de ce trio d’enfer, inventeur du speed metal avec des disques comme Ace of Spades, Overkill ou Orgasmatron.
Thin Lizzy, à la même période, réussira aussi à se faire connaître grâce à un tube, Whiskey in a Jar, et un bassiste-chanteur de talent, Phil Lynott. Sur leur trois premiers albums (Thin Lizzy, Shades of a Blue Orphanage, Vagabonds of the Western World), le groupe joue avec cette formule resserrée, emblématique du hard rock des seventies.
Le punk sera un peu avare en power trio, si l’on excepte deux groupes apparentés au courant : comprenant Sting, Stewart Copeland et Andy Summers, The Police accèdera à la popularité, grâce à ses tubes et une certaine alchimie entre basse, batterie et guitare, quand The Jam s’éloignera du mouvement anarchiste anglais pour réaliser des disques influencés par le rock des années 1960.
Le retour en grâce du power trio dans les années 1990-2000
C’est en particulier le grunge qui remettra sur le devant de la scène le power trio. Nirvana, connu sous sa formation définitive à partir de Nevermind, avec Kurt Cobain au chant et à la guitare, Kris Novocelic à la basse et Dave Grohl à la batterie, montrera sa rage dans des concerts où les trois musiciens s’en donneront à cœur joie. Ils seront suivis par des épigones nord-irlandais, Therapy?, auteurs du bouillonnant Troublegum, et australiens, avec Silverchair, qui ont eux aussi réussi à transposer les angoisses et la rébellion du grunge tout en apportant au genre de nouveaux horizons.
Plus proche de nous, c’est en Angleterre que deux trios ont marqué l’Histoire récente du rock. D’abord Muse, créé à la fin des années 1990 : fusionnant le rock très électrique de Rage Against the Machine avec des influences classiques, la formation fait figure de phénomène depuis leur premier album, Showbiz. Depuis deux décennies, le trio n’a pas changé de line-up, même en ayant complexifié leur instrumentation au fur et à mesure des disques : l’on voit encore régulièrement Matthew Bellamy enchaîner quelques notes au piano avant de prendre en main sa guitare, tout en assurant la partie chant !
Formé autour de Brian Molko et Stefan Olsdal, avec Steve Hewitt à la batterie pendant son âge d’or, Placebo sort son nouvel album, Never Let Me Go, en duo, pour la première fois de son Histoire. Mais depuis 1995, ces Anglais ont percé à trois, grâce à une complémentarité exemplaire entre les musiciens, qui ont fait d’albums comme Without You I’m Nothing, Black Market Music ou Sleeping with Ghosts des disques remarqués. L’osmose de leur aptitude instrumentale, leur goût du mélange glam rock et indie pop ont fait d’eux le power trio du troisième millénaire !
