Entretien

Le Forum des Lecteurs interview Ariane Bois

07 mars 2022
Par Anastasia
Le Forum des Lecteurs interview Ariane Bois

Ariane Bois ne cesse de nous faire vibrer au rythme de ses romans, tout le temps profonds, et toujours avec ces mots si bien trouvés. Aujourd’hui, le Forum des Lecteurs a eu l’occasion de l’interviewer. On y va ?

Eteindre-le-soleilLe métier de romancière…

@Nadou : Comment vous est venue l’envie de devenir écrivaine ?

Ariane Bois : « J’écris depuis que j’ai 5 ans ! J’imitais ma mère et mon père, tous les deux journalistes. Je m’inspirais des histoires que l’on me racontait le soir et je rédigeais des petits contes, en imitant Prévert. À 10 ans, j’ai gagné le Prix de la meilleure rédaction de France.

« À 10 ans, j’ai gagné le Prix de la meilleure rédaction de France »

J’ai choisi ensuite de devenir journaliste, pour poser des questions aux autres et écrire des histoires. Mais à 45 ans, j’ai eu envie d’aller plus loin et de me lancer sur une histoire plus longue.

Et-le-jour-sera-pour-eux-comme-la-nuitCe sera le roman Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay) qui a rencontré son public et a obtenu trois prix littéraires. L’envie s’est installée en moi : continuer à créer des univers romanesques et raconter des histoires prenantes.

Dire mais pas trop, suggérer parfois, aménager du suspens : c’est la magie du roman.

@Nathalie : D’où vous vient l’inspiration ? Dans quoi puisez-vous pour écrire ?

Mes sources d’inspiration sont variées : quand j’écris un roman historique, je cherche des sujets qui me passionnent, comme la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que j’ai écrit Le Monde d’Hannah » (Robert Laffont), Sans oublier et Le Gardien de nos frères (Belfond).

Le-monde-d-Hannah  Sans-oublier  Le-gardien-de-nos-freres

Sinon, je puise dans mes lectures : j’ai écrit L’île aux enfants, sur le scandale des petits Réunionnais exilés de force afin de peupler les provinces de la métropole dans les années 60. Comment ces kidnappings (car il s’agissait souvent de cela !) ont pu perdurer pendant plus de 20 ans ?

Écrire me permet de cerner la situation, en saisir toutes les implications psychologiques, souvent sur plusieurs générations. Ici, comment des enfants arrachés à leur famille par raison d’État ont-ils pu se reconstruire, la résilience me passionne… J’ai aussi écrit sur les États- Unis, car j’y ai terminé mes études : New York et le Sud se sont ainsi retrouvés dans Dakota Song et dans L’Amour au temps des éléphants, deux sagas d’aventure et d’amour.

L-ile-aux-enfants (1)                 Dakota-song     L-Amour-au-temps-des-elephants

@Koko : Avez-vous des rituels d’écriture ?

J’écris tous les matins, que je me sente inspirée ou non. Autre particularisme : je rédige tout à la main car je n’aime pas travailler à l’ordinateur, qui me donne l’impression de posséder déjà un texte abouti. J’aime les ratures, les Post-it, les pages volantes.

Quand le premier jet est terminé, je passe à l’ordinateur, pour corriger, couper et obtenir une vision d’ensemble. Je dois faire partie des dinosaures dans ce domaine !

@Ipellevoisin : Comment choisissez-vous le titre de vos livres (avant, pendant ou après leur rédaction) ?

Je possède un titre de travail que je teste au fil du temps et souvent il change en cours de rédaction. Je propose toujours plusieurs titres à mon éditrice et nous en discutons ensemble, en les testant auprès de l’équipe. Lorsqu’aucun titre ne se dégage, il convient d’attendre : au réveil, le titre parfois fuse ! Pour Éteindre le soleil, ce fut le cas et ce titre m’a semblé bien coller au texte, apporter lumière, mystère et poésie.

@MHB1890 : Est-il facile de passer du style journalistique d’écriture au style romanesque ?

C’est un exercice très différent. En journalisme, on essaie de se montrer synthétique. Mon professeur à l’université à New York répétait toujours : à chaque ligne, le lecteur doit découvrir une information. Dans un roman, on s’offre le luxe de digressions, de changements de rythme, de dialogues, de répétitions. Il faut penser à son lecteur et le prendre par la main, mais lui laisser aussi la possibilité de créer ses propres personnages dans sa tête. Dire mais pas trop, suggérer parfois, aménager du suspens : c’est la magie du roman.

« Dire mais pas trop, suggérer parfois, aménager du suspens : c’est la magie du roman. »

@Enies : Comment voyez-vous votre casquette d’écrivaine ? Que voulez-vous offrir à vos lecteurs ?

Je me considère comme une romancière et non une écrivaine, ce qui me fait penser à Balzac ou à Zola, et à une œuvre complète de grande envergure ! Je souhaite continuer à raconter des belles histoires, à trouver des personnages attachants, à mélanger la petite et la grande Histoire, à faire partager mes passions, mes coups de gueule, mes voyages.

J’aime beaucoup apprendre quelque chose au lecteur et le distraire en même temps, l’émouvoir. Je reçois des courriers de lecteurs me confiant qu’ils ont été bouleversés à tel ou tel passage, et je suis satisfaite : j’ai fait mon travail (même si les faire pleurer n’est pas le but !)

@Koko : Avez-vous d’autres projets de livres ?

Oui, je sortirai en janvier 2023 un roman historique dans la lignée du Gardien de nos frères, qui raconte une grande histoire d’amour dans le Midi en 1940 entre un réfugié allemand anti-fasciste et une jeune Marseillaise. L’occasion de revenir sur la zone dite libre et d’expliquer les dangers encourus par les jeunes intellectuels allemands opposés à Hitler qui cherchaient désespérément à quitter la France pour fuir les nazis. C’est une période de courage fou, de résistance et d’espoir.

@Nathalie : Dans votre bibliothèque idéale, quels livres seraient présents ?

J’aime beaucoup les auteurs anglo-saxons et je lis même davantage en anglais qu’en français. Je suis une fan absolue de Philip Roth, de Jonathan Safran Foer, de Joan Didion ou de Jodi Picoult ainsi que des nouvelles d’Ann Tyler.

En français, j’ai lu tout Zola à 17 ans et j’aimerai trouver le temps de recommencer et ainsi vérifier que mes classiques, dévorés pendant mes études de lettres, me plaisent toujours autant !

Enfin, je rêve d’une bibliothèque remplie de titres que je ne connais pas encore : une promesse de bonheur !

@Lilireve : Qu’avez-vous accompli de meilleur dans votre vie ? De quoi êtes-vous le plus satisfaite ?

J’ai cinq enfants merveilleux et c’est évidemment mon premier choix ! Je suis heureuse d’avoir publié 9 livres et d’avoir d’autres projets professionnels. J’ai pu concilier ma passion avec un métier et même deux, journaliste et romancière. J’en suis très reconnaissante.

Éteindre le soleil…

@Yza29 : J’adore le titre, « Éteindre le soleil ». Comment l’idée vous est-elle venue ?

Mon père, personnage principal du livre, était un personnage solaire, aimé de tous, généreux à l’extrême. Quand il a été la victime d’une femme manipulatrice, je ne l’ai plus reconnu. Il me semblait que toute sa lumière vitale l’avait quitté. Le titre s’est donc imposé ….

@Koko : Quel était votre but en écrivant ce livre ?

Je voulais à la fois témoigner et comprendre : pourquoi ne parle-t–on jamais des femmes manipulatrices qui, sous prétexte d’amour absolu, cherchent à isoler leur proie, à les couper de leur famille, de leurs proches, à les briser ?

Je reçois de nombreux témoignages depuis la sortie du livre et je sais que je ne suis pas la seule à avoir vécu une telle situation. Il faut savoir qu’aujourd’hui, cette forme de maltraitance est reconnue, qu’il existe des lois, des moyens d’agir. Je souhaitais tendre la main à d’autres victimes et aussi parler de mon père, de notre relation faite de complicité, de tendresse et de la douleur d’accompagner ses derniers moments.

« Je souhaitais tendre la main à d’autres victimes et aussi parler de mon père, de notre relation faite de complicité, de tendresse et de la douleur d’accompagner ses derniers moments. »


Les pères sont nos premiers regards masculins, ils préfigurent toute notre relation avec les hommes, je voulais rendre hommage au mien, qui était un véritable personnage de roman. 

@Enies : Dans ce récit si intime, y-a-t-il eu des moments difficiles dans le processus d’écriture ?

Oui, raconter les siens, son impuissance face à une belle-mère abusive, le choc de la violence physique et morale a été difficile. Il m’a fallu dix ans pour écrire ce livre, non pas pour régler des comptes mais pour partager et tâcher de comprendre.

« Il m’a fallu dix ans pour écrire ce livre, non pas pour régler des comptes mais pour partager et tâcher de comprendre. »

Comment une famille entière peut-elle se retrouver sous la coupe d’une perverse narcissique, qui cherche à démolir l’autre, pour ce qu’il est, pour ce qu’il a ? C’est une sorte de folie dont on ne sort pas indemne.

L’emprise est un piège, un filet dont les noeuds finissent par nous étouffer tous.

@Anastasia : Ne pensez-vous pas que votre père, dans sa relation avec Edith, cherchait peut-être inconsciemment à s’auto-détruire, s’empêcher du fait d’être « heureux » sans votre mère ?

C’est une très bonne question ! Je crois que l’emprise s’appuie toujours sur une vulnérabilité, une sensibilité particulière. La manipulatrice repère les failles de l’autre et s’y engouffre. D’ailleurs le portrait des hommes ciblés est toujours le même : ce sont des généreux, des altruistes, qui détestent le conflit… comme mon père.

L’amour de mes parents étant exceptionnel, celui-ci n’a jamais cherché à la remplacer dans son cœur, seulement de continuer à vivre ….

@Enies : Quel est le moment le plus marrant que vous avez partagé avec votre père ?

Je me souviens de balades en brouette quand j’étais petite : mon père courait dans les prés en pente de nos Cévennes et je riais, je riais avec lui … J’aimerais entendre son rire aujourd’hui.

@Lilireve : Si vous pouviez dire une chose à votre père aujourd’hui, en rapport avec la publication de ce livre, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais que je l’aime et qu’il me manque tous les jours. Je lui poserais aussi la question clé : pourquoi n’a-t- il pas pris ma défense, quand j’ai été attaquée ? Comment un homme aussi fort, aussi puissant, a-t-il pu abdiquer devant un être si différent de ma mère ? Cela reste un mystère pour moi.

@Enies : Qu’avez-vous envie de dire à vos lecteurs, après la lecture d’Éteindre le soleil ?

Je leur dirai d’embrasser leurs parents car ceux-ci sont uniques. Ils représentent notre enfance, notre éducation, notre innocence. Parfois, la vie nous éloigne, mais il faut lutter pour leur poser des questions, passer du temps avec eux, apprendre à les aimer en adultes et non plus comme un enfant, bâtir ainsi une autre relation. La liberté est ainsi au bout du chemin.

Pour aller + loin, lisez notre chronique : Éteindre le Soleil : un roman d’amour et d’espoir

Parution le 10 février 2022 – 192 pages

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Article rédigé par
Anastasia
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