Jean-Marc Vallée nous a quittés à Noël 2021. Adepte d’histoires solides, dont le classicisme cache subtilement des torrents d’émotion, il s’est imposé comme un réalisateur réputé pour son magnifique sens visuel, son montage élégant et clair, sa filmographie riche en personnages déterminés. Retour sur ses plus grands opus en cinéma et en série.
Jean-Marc Vallée : ses débuts
Né en 1963 à Montréal, le québecois Jean-Marc Vallée trouve rapidement son intérêt pour la caméra. Dès 1985, il rejoint un collectif éphémère, Les Productions Perfo 30, qui a l’ambition de tourner 30 clips musicaux en 30 jours (ils en tourneront 32). Il reçoit ainsi la commande de tourner 5 d’entre eux rapidement, avec un budget très réduit. Jean-Marc Vallée se tire admirablement bien de l’exercice et monte lui-même ses clips, chose qu’il fera désormais dans la plupart des films et séries qu’il dirigera.
L’ascension de Jean-Marc Vallée démarre surtout dans les années 90 où il navigue entre courts métrages (il en réalise 3) et premiers longs. Ses 3 premiers longs métrages subissent une réception tiède. Cependant, il reçoit plusieurs récompenses aux Genie Awards pour sa direction et son montage. Il se montre déjà versatile : un thriller classique (Black List), un western aux personnages bourrés de maladies mentales (Los Locos), un thriller érotique (Loser Love), tout en tournant alternativement en français et en anglais. L’ébullition créative de cette décennie, malgré l’absence de reconnaissance, ne s’arrête pas là car Jean-Marc Vallée co-écrit dans le même temps un scénario qu’il mettra 10 ans à produire, mais il en sera récompensé.
La consécration C.R.A.Z.Y de Jean-Marc Vallée
C’est en 2005 que Jean-Marc Vallée boucle enfin l’épuisante production de C.R.A.Z.Y., inspiré de sa jeunesse et de son co-scénariste François Boulay. Ce quatrième film touchant, drôle, dramatique, se centre sur Zac, un jeune gay vivant avec sa famille dans les années 60 et 70 au Québec. Jean-Marc Vallée signe un coming-of-age parfois dur (l’homophobie est traitée sans fard) mais exaltant la jeunesse et la résilience. Le triomphe total de C.R.A.Z.Y., malgré un budget serré, touche l’Amérique et propulse Vallée au rang des cinéastes à suivre. Sa BO chiadée – 10% du budget ! – comprend parmi les meilleurs standards de rock : David Bowie, The Cure, Pink Floyd… Considéré comme le chef-d’œuvre de Jean-Marc Vallée, C.R.A.Z.Y occupe régulièrement les tops des meilleurs films produits au Canada (il sera son représentant à l’Oscar du meilleur film étranger en 2005). Le film multiplie aussi les récompenses (38) dans différents festivals.
Les personnages hors du commun de Jean-Marc Vallée
Victoria : les jeunes années d’une reine
Admiratif de C.R.A.Z.Y., Martin Scorsese propose à Jean-Marc Vallée sa première commande : réaliser un biopic de la reine Victoria sur un scénario d’un spécialiste du period drama britannique : Julian Fellowes (Gosford Park, Downton Abbey…). Victoria : Les Jeunes Années d’une reine bénéficie de l’approche sensible de Vallée de ce portrait d’une jeune femme confrontée aux devoirs de sa charge, interprétée par Emily Blunt. Paru en 2009, le film apparaît fastueux au point de décrocher l’Oscar des meilleurs costumes. Cette nouvelle victoire consolide la position singulière de Jean-Marc Vallée à Hollywood. S’il confirme son talent pour la mise en scène, ses débuts indé continuent de l’influencer. La saveur de ce genre de cinéma, malgré les budgets plus conséquents, se fera souvent sentir dans ses prochains films.
Dallas Buyers Club
Après la sortie plus confidentielle de Café de Flore, Jean-Marc Vallée signe en 2013 son film le plus connu. Dallas Buyers Club repose sur l’histoire vraie de Ron Woodroof, texan homophobe qui tourne casaque quand le SIDA dévaste sa vie. Décidé à réparer ses errances, il vit ses dernières semaines en fondant le Dallas Buyers Club. Son but ? Aider les victimes du SIDA, quitte à faire dans le trafic de médicaments. Rédemption, émotion, performances brillantes… Jean-Marc Vallée fait chavirer les spectateurs. Matthew McConaughey s’affranchit de son image de minet de comédies romantiques fadasses et décroche l’Oscar.
Wild
Jean-Marc Vallée s’attelle dès l’année suivante à un thème alors en vogue aux Etats-Unis : des hommes et des femmes lassés de la vie citadine, qui se coupent d’elle en embrassant la vie sauvage… à leurs risques et périls. Sean Penn avait ainsi remporté un triomphe en 2007 avec son adaptation d’Into the Wild. Sept ans après, Wild, également fondé sur le récit d’une aventurière dans les hautes montagnes de la Sierra Nevada, se révèle un drama moins tragique mais plus métaphysique et intime que celui de Sean Penn. Wild est mené par une Reese Witherspoon au sommet de son art et un Jean-Marc Vallée tirant le meilleur parti des décors naturels malgré un tournage rigoureux.
Démolition
Le dernier film de Jean-Marc Vallée, Démolition, sorti en 2015, ne rencontre pas le succès de ses précédentes œuvres. Pourtant, il frappe par son originalité, celle de Davis, un homme coupé de ses émotions depuis son veuvage et qui ne trouve d’action que dans la destruction matérielle. Ce portrait à vif est viscéralement incarné par Jake Gyllenhaal. Démolition est également parcouru par un thème récurrent du cinéma de Vallée : l’homosexualité, ici avec le personnage de Chris, adolescent déboussolé qui trouve un soutien mutuel avec Davis.
Jean-Marc Vallée passe aux séries
Big Little Lies
Un virage se produit en 2017 quand Jean-Marc Vallée passe aux séries. Il avait certes réalisé occasionnellement des épisodes de série au début de sa carrière, mais c’est la première fois qu’il s’implique autant. La saison 1 de Big Little Lies est le croisement des talents de l’autrice Liane Moriarty, du scénariste David E. Kelley (Ally McBeal, The Practice, The Undoing, Boston Justice…), de Jean-Marc Vallée et d’un cast stellaire (Nicole Kidman, Reese Witherspoon, Shailene Woodley, Alexander Skarsgard…). Big Little Lies s’avère l’une des plus brillantes séries de la décennie par sa description vénéneuse d’une haute bourgeoisie prise dans le poison des apparences et des traumas couverts. La production généreuse typique de HBO permet à Jean-Marc Vallée de donner libre cours à son amour des plans léchés, du montage somptueux et des décors magnifiques, écrin parfait aux dramas domestiques de Monterey.
Sharp Objects
Toujours pour HBO, Jean-Marc Vallée réalise la mini-série Sharp Objects, écrite par Marti Noxon d’après un roman de Gillian Flynn (Gone Girl). Il y magnifie son héroïne ténébreuse jouée par Amy Adams. La clarté et l’élégance de sa réalisation ne fait que mieux ressortir la violence larvée de l’ensemble. Régulièrement citée au pinacle des mini-séries de prestige, Sharp Objects semble établir Jean-Marc Vallée dans la « A-List » des réalisateurs de grandes séries. Sa mort prématurée le 25 décembre 2021 d’un arrêt cardiaque nous prive de plusieurs œuvres alléchantes : un biopic de Janis Joplin, un film sur la relation entre John Lennon et Yoko Ono (avec sa bénédiction), un documentaire sur Otis Redding…