Entretien

Le Forum des Lecteurs interview Véronique de Haas

27 décembre 2021
Par Anastasia
Le Forum des Lecteurs interview Véronique de Haas

Lauréate du prix du Quai des Orfèvres 2022 pour son polar historique La Muse rouge, Véronique de Haas revient aujourd’hui dans une interview inédite, menée par les membres du Forum des Lecteurs Fnac. En avant !

La-Muse-rougeAu coeur de La Muse Rouge et du processus d’écriture

@Benoa : Quel chemin parcouru depuis La Guerre des belles dames dont l’intrigue se situait au Moyen Age, et nous voilà au début du XXe siècle au début des Années folles… Pourquoi avez-vous choisi ce moment de l’histoire de France pour situer ce nouveau roman policier ?

Véronique de Haas : “A l’époque de la parution de La Guerre des belles dames, je terminais un DEA qui portait sur un manuscrit inédit du fond ancien de la bibliothèque de Rouen : le récit de la vie romancée de Robert le Diable. Je m’étais passionnée au cours de mes études pour l’ancien français et le Moyen Age. Arrivant à Conches en Ouche, je me suis logiquement intéressée à son histoire et au seigneur qui régnait sur le donjon dont les ruines sont encore visibles aujourd’hui. Ensuite je me suis tournée vers d’autres sujets et d’autres périodes de notre Histoire.

La période de l’entre-deux guerres m’a toujours intriguée. Comme beaucoup de gens de ma génération, celle du babyboom (je suis née en 1955), je n’ai découvert les horreurs de la Shoah et la réalité du nazisme que très tard. Dans ma famille, on ne parlait pas de la dernière guerre, à l’école non plus. Et lorsque j’ai mis mon nez dans les livres et documents qui en dressaient le sombre tableau, je n’ai pas compris. Je ne comprenais pas comment cela avait pu se produire.

[…] j’ai entrepris d’essayer de comprendre et, pour cela, il m’a fallu remonter le temps.


Alors j’ai entrepris d’essayer de comprendre et, pour cela, il m’a fallu remonter le temps. L’entre-deux guerres, la 1ère guerre, la guerre de 70, la Commune de Paris, la révolution de 1948…

Au bout du compte, il m’a semblé que cette période de l’entre-deux guerres était le socle de notre actualité. On y trouve les racines et les fondements de nos problèmes, de nos difficultés, de nos progrès et de nos réussites. Les conflits qui animent la société des années 20 et des années 30 sont toujours en tension et continuent de diviser les Européens et les Français. Or, il m’est apparu que cette période était particulièrement mal connue. En outre, cela me permettait de m’immerger dans l’histoire de la police particulièrement mouvementée au début du XXe siècle. Et cela m’a passionné aussi.

@Caroledez : Après ce roman policier sur fond historique, envisagez-vous d’écrire un roman policier de science-fiction ?

La science-fiction n’est pas mon genre préféré. Je me sens bien incapable de gérer l’écriture d’un roman de science-fiction. Cependant, je m’intéresse à l’Intelligence Artificielle et à ce que la science et les nouvelles technologies peuvent en faire. De là à imaginer un monde géré par l’AI, il n’y a qu’un pas.

@Caroledez : Avez-vous prévu d’écrire une suite à La Muse rouge ?

En fait, la suite est déjà écrite. La Muse rouge est le 1er volume d’une trilogie qui couvre la période.

La Muse rouge est le 1er volume d’une trilogie […]

– La Muse rouge 1920

– L’Or de Zelinguen 1934

– Le Chat noir 1942

On suit la même équipe de policiers et on les voit vieillir et affronter les tragédies de ces années noires. Certains personnages secondaires sont aussi présents jusqu’à l’épilogue.

@Anastasia : Comment vous êtes-vous organisée pour rédiger La Muse rouge (fiche personnages, documentation, etc.) ? Combien de temps chaque étape vous a pris ?

Ma méthode est très personnelle : six mois de recherche et de lectures, établissement de fiches sur tous les sujets et les personnages historiques qui m’intéressent et qui sont susceptibles de trouver leur place dans le roman. Six mois d’écriture à raison de 7 à 8 heures par jour.

J’écris à la main le premier jet. Je relis chaque chapitre attentivement en établissant un synopsis du chapitre que j’épingle au fur et à mesure sur un tableau en liège derrière mon bureau. Je peux ainsi, à tout moment, vérifier la cohérence de l’action et voir d’un seul coup d’œil l’intrigue se construire (je ne sais pas ce qui va se passer dans les futurs chapitre ; ce sont les personnages et leur contexte qui imposent les étapes de l’action romanesque et de l’intrigue policière). Et j’établis le schéma potentiel du chapitre suivant que je modifierai au besoin en cours d’écriture.

Puis je saisis le chapitre sur ordinateur. En tapant, je fais un certain nombre de plus ou moins petites corrections. Je relis encore une fois et j’imprime. Lorsque le dernier chapitre est achevé, je relis le tout. Et je laisse reposer quelques semaines tout en faisant imprimer quelques reliures que je donne à lire à mes proches. Forte de leurs remarques et de leurs commentaires, je procède à une lecture supplémentaire. Si nécessaire je fais des coupes, je travaille les raccords, je fais quelques ajouts. Enfin, je considère que le manuscrit est prêt à être envoyé.

@Pyxide : Quelle est la partie de création d’un livre que vous préférez ? (La création de l’univers et des personnages, l’écriture en elle-même ou encore la réception du premier exemplaire papier, par exemple)

La création de l’univers et des personnages n’est, pour moi, pas dissociable de l’écriture ; et c’est ce qui me plait le plus, même si en commençant chaque chapitre, j’ai l’impression que je ne vais pas y arriver ; mais au fond de moi je sais qu’une fois que j’aurais écrit la première ligne tout va suivre sans difficulté.

Le premier exemplaire papier me cause davantage d’inquiétude que de plaisir. C’est le moment crucial qui prélude à la confrontation du récit avec les lecteurs. La romancière que je suis se sent sur la sellette. Au bout du compte, ce sont les lecteurs qui jugeront de la qualité de l’œuvre. Elle ne m’appartient plus.

Le-Noeud-de-cendres@Yza29 : Préférez-vous coller à la réalité par volonté de vraisemblance ou privilégez-vous l’imaginaire du lecteur sans souci de rigoureuse crédibilité ?

Pour moi, ce n’est pas une question de vraisemblance, c’est une question d’implication personnelle. Un/une romancier(e) ne crée jamais à partir de rien et le matériau à partir duquel un conteur raconte une histoire, c’est le matériau humain. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes et les femmes confrontés à des réalités souvent tragiques, toujours difficiles et complexes.La fantasy ou la science-fiction projettent dans un monde rêvé ou fantasmé des réalités très humaines. En ce qui me concerne, je préfère travailler dans un cadre actuel (Le Nœud de cendres) ou historique (La trilogie parisienne).

C’est sans doute mon métier de professeur qui me pousse à chercher à transmettre les réalités passées qui sont des sources inépuisables de connaissances et des outils indispensables à la compréhension du monde et de l’homme.

@Yza29 : Que pensez-vous des écoles d’écriture : les techniques narratives peuvent-elles s’apprendre ou suffit-il de lire beaucoup ?

Ce qui fait, à mon sens, la qualité d’un(e) romancier(e), c’est son potentiel d’empathie, la capacité à ressentir à la place de ses personnages. Bien sûr, la construction du récit, l’art de la description, l’habileté des dialogues sont des outils importants mais ils ne font pas l’âme du roman. C’est la pâte humaine qui va donner un souffle à l’ensemble et rendre le récit vivant.

C’est la pâte humaine qui va donner un souffle à l’ensemble et rendre le récit vivant.

Le romancier est d’abord un homme qui parle aux hommes. Alors, son expérience d’homme ou de femme, ses lectures, ses rencontres, ses échecs et ses victoires sont essentielles.

@Coco : Quels sont les codes d’écriture inhérents au polar ?

J’ai abordé le polar sans me préoccuper des codes. Il m’a semblé que l’enquête policière constituait un outil idéal pour examiner les aspects les plus enfouis d’une société donnée. L’enquête implique de pénétrer des milieux très différents et permet ainsi de reconstituer le contexte dans une certaine globalité. Bien sûr, c’est loin d’être exhaustif mais chaque détail a son importance et se fait porteur d’une atmosphère, d’un état d’esprit.

Concernant l’intrigue elle-même, qui elle relève entièrement de la fiction, il suffit de suivre le schéma très simple de toute narration tragique : l’exposition qui pose les éléments nécessaires à la compréhension de l’action, les péripéties qui accumulent les obstacles et complexifient l’intrigue pour faire monter la tension tragique jusqu’à « l’apax », le point le plus haut de cette tension, et la catastrophe ou résolution des tensions et de l’intrigue.

C’est le schéma de la tragédie classique qui est le schéma fondamental de toute quête humaine et que l’on retrouve aussi au cinéma.

@Anastasia : Qu’est-ce que cela vous fait d’être lauréate du Prix du Quai des Orfèvres 2022 ?

J’ai d’abord été très surprise car je ne pensais pas être choisie. J’avais lu plusieurs prix des années précédentes et constaté que les lauréats n’avaient jamais adopté une perspective historique. Et bien sûr, j’ai été très heureuse. Je suis une romancière très peu connue, c’était pour moi l’opportunité de me faire connaître. Et j’ai été également très fière car ce prix est loin d’être facile à obtenir.

Dans la bibliothèque particulière de Véronique de Haas

@Anastasia : Dans votre bibliothèque idéale, quels sont les livres et les auteurs qui doivent s’y trouver ?

En littérature, je suis très éclectique. J’aime tout, de l’essai philosophique à la bande dessinée. J’ai des livres partout chez moi jusque dans les toilettes. Chaque livre est comme un ami et j’ai pour eux tous une affection parfois un peu ridicule mais sincère.

Disons que j’ai une sympathie particulière pour certains auteurs qui m’ont accompagnée dans certains moments difficiles de ma vie : Sénèque, Rabelais, Racine, Musset (pour son théâtre) Balzac, Zola, Gide. Et pour les contemporains : Jean Christophe Rufin et Pierre Lemaître.

@Coco : Si l’on devait commencer par un polar, lequel conseilleriez-vous ?

Les polars de Pierre Lemaître sont tous excellents et formateurs. Cependant, j’avoue que c’est un auteur écossais, Philip Kerr, que je conseillerais. Sa Trilogie berlinoise m’a inspiré l’idée d’écrire la trilogie parisienne. Il nous a quittés l’année dernière. Je suis heureuse de lui rendre hommage.

@CamilleduForum : Quel est votre roman policier préféré ?

J’ai beaucoup aimé Requiem pour une république de Thomas Cantaloube. Un polar de belle envergure construit un peu sur le même schéma que ce que je fais dans la trilogie et en particulier dans La Muse rouge, même si son arrière-plan est celui de la guerre d’Algérie.

@CamilleduForum : Le mot pour la fin : Qu’avez-vous envie de dire à vos lecteurs ?

Merci, tout d’abord. Merci de faire confiance au prix du Quai des Orfèvres et d’avoir sans hésiter accepté de se plonger dans un univers différent et recréé par un auteur inconnu. J’aimerais aussi leur dire que j’espère de tout cœur les avoir divertis et leur avoir transmis ma passion de l’humain. J’espère qu’ils resteront à l’affût de mes prochains romans. »

Pour en savoir plus sur La Muse RougeUne enquête policière dans le Paris dans Années Folles

Parution le 3 novembre 2021 – 448 pages

La Muse Rouge, Véronique de Haas (Fayard) sur Fnac.com

Découvrez leur univers

Article rédigé par
Anastasia
Anastasia
Libraire Fnac.com
Sélection de produits