Ce mois d’octobre 2021, Sting a fêté ses soixante-dix ans. Un anniversaire qu’il a accompagné de la sortie en novembre de The Bridge, un nouvel album au son pop-rock, à l’image de ses chansons les plus connues. Pourtant, depuis la fondation de The Police, jusqu’à aujourd’hui, le bassiste et chanteur a multiplié les projets, passant du jazz au classique avec une fluidité remarquable. Portrait d’un artiste aux mille visages.
Une jeunesse en musique
C’est un décor presque surréaliste, quoiqu’industrieux : une rue banale de Newcastle, et au fond un bateau suspendu en l’air par d’immenses grues. Cette vue, parsemée d’éclairs de fers à souder, agrémentée de bruits de machine, constitue l’un des premiers souvenirs de Gordon Sumner, alias Sting.
Le petit garçon des années 1950 a grandi non loin du chantier naval de sa ville, et les visions de navire en cours de construction et rénovation ont longtemps nourri son imaginaire. Il a d’ailleurs tiré, en 2013, une comédie musicale (et un album) de ce contexte géographique de naissance : The Last Ship.
Les chants de marins et d’ouvriers ont bercé, un temps, sa jeunesse. Mais Sting a pu se construire ailleurs, notamment à la maison, à travers diverses mélodies. Sa mère, pianiste amateur, jouait énormément d’airs sur le « terrible » piano de la maison, comme l’a raconté le musicien dans ses mémoires. Avec le chantier naval, l’image des pieds de sa maman sur les pédales de l’instrument figurent parmi les vignette de sa tendre enfance dont il se rappelle toujours.
Au croisement des époques, le garçon a entendu des musiques différentes. Jazz, classique, vieilles mélodies anglaises… A la maison, alors que la relation de couple de ses parents battait de l’aile, les moments autour du piano représentaient un certain apaisement, et ont durablement marqué le petit Gordon, qui devait trouver, à 11 ans, un nouvel exutoire, en découvrant la guitare.
A cette époque, une révolution secoue le monde : en 1962, avec leurs premières chansons, les Beatles relancent le rock, à la mode au milieu des années 1950 avec Elvis. Sting entend Love Me Do à la piscine, et se prend de fascination pour les grands personnages de la pop britannique, John Lennon en tête. Mais, si sa mère le pousse à apprendre la guitare, son père, ouvrier, veut qu’il fasse des études « classiques ». Au début des années 1970, le jeune homme devient donc instituteur, sans pour autant renoncer à la musique, en amateur.
Du jazz au punk
Les soirs et les week-ends, le frêle jeune prof se mue en bête de scène. En Angleterre, un réseau jazz de « deuxième » zone anime nombre de petites villes. Pas d’exception à Cramlington, près de Newcastle, où Gordon Sumner s’est établi et a appris la contrebasse, en autodidacte. Phoenix Jazzmen, Newcastle Big Band… Le garçon fait ses armes dans ces formations, où il gagne son surnom de « Sting » (dard), en référence à un concert durant lequel il portait un pull rayé jaune et noir, ce qui le faisait ressembler à une abeille.
Après avoir appris le solfège, Sting rejoint un groupe assez ambitieux, Last Exit, matrice de sa future carrière, dont il devient bassiste-chanteur. Fusionnant rock et jazz, la formation se fait repérer, et part à Londres. Gordon Sumner quitte son job pour se mettre à fond dans la musique. Mais l’expérience, pourtant prometteuse, tourne court. Sting contacte alors un batteur professionnel, Stewart Copeland, l’invite à jammer. D’abord avec Henry Padovani puis Andy Summers, ces musiciens brillants prennent en cours la révolution punk et teintent leur son d’accents rock énervés. The Police est né. En cinq albums, la formation opère la fusion parfaite entre groove, rythmes jamaïcains et rock, dominant rapidement les charts.
Avec ses chansons iconiques (Roxane, Message in a Bottle, Can’t Stand Losing You, Every Breath You Take) et ses disques cultes (en particulier Reggata de Blanc, Synchronicity et Outlandos d’Amour), The Police brasse les larges influences de ses membres : Sting s’y distingue par son jeu de basse mêlant pop-rock et inspirations jazzy/reggae, pour un résultat très emblématique.
Sting en solo : la liberté des genres
Après la séparation de The Police, Sting poursuit seul une œuvre d’ouverture musicale au monde. Son premier album, The Dream of the Blue Turtles, l’éloigne du rock : il crée pour l’occasion des chansons plus sombres, mélodieuses, avec des arrangements innovants, tels Russians ou Moon Over Bourbon Street. Pour la tournée qui suit, il revient à des instrumentations jazzy, comme en atteste le live Bring on The Night, sorti en 1986.
Sa voix traverse ainsi les années 1980, avec des morceaux iconiques comme Fragile et ses arpèges flamenco, Englishman in New York et son groove classieux. Sting habille à sa manière la pop mondiale, avant de multiplier les expérimentations. Après des albums plutôt pop-rock dans les années 1990, il compose par exemple une b.o., plus ambient et world, en 1995, avec The Living Sea.
En 2006, nouveau virage, avec les Songs From the Labyrinth. Paru sur un label classique, ce disque de reprises de chansons renaissance et baroques d’Angleterre témoigne de la grande déférence du musicien pour les anciens compositeurs.
Depuis lors, outre sa comédie musicale précitée, Sting livre régulièrement des albums pop-rock de grande qualité, comme 57th and 9th ou, cette année The Bridge. Mais, dans l’intervalle, il s’est frotté au ragga avec un disque en duos avec Shaggy et à des réinterprétations symphoniques (Symphonicities) ou contemporaines (My Songs) de ses meilleures chansons. Preuve que la liberté de l’artiste, née lors de ses années d’apprentissages, ne l’a jamais quittée !
Evénement
Sting a répondu à nos questions dans La Claque Interview, où il partage ses derniers coups de coeur culturels et le processus de création de The Brigde :