
En ce début février 2025, c’est tout le monde arabe (et plus largement le monde des mélomanes) qui s’est vu célébrer la mémoire et la musique d’Oum Kalthoum. L’incomparable icône égyptienne s’est éteinte il y a 50 ans. L’occasion de rendre hommage à cette chanteuse pas comme les autres, élevée de son vivant – et peut-être plus encore depuis sa mort – au rang de diva divine.
Zoom sur Oum !
Je n’ai pas pu résister à emprunter ce titre à un autre disparu, notre Joe Strummer national : le regretté Rachid Taha.
En 2013, il publiait ce titre génial, Zoom sur Oum qui, à sa façon, rendait hommage à cette grande dame de la chanson égyptienne du XXe siècle qui rayonna sur l’ensemble des pays de culture arabophone (Maghreb, Moyen & Proche-Orient). Taha, ainsi que sa plume bien trempée, y fait référence avec poésie et nostalgie : voix, mélopées et mélodies qu’on imagine avoir régulièrement résonné dans la maison familiale, tant cette chanteuse était adorée de tous les foyers. Du delta du Nil aux confins du Sahara. Des cités minières de l’Est aux cafés de Barbès.
Plus qu’une simple chanteuse, en quelques décennies de carrière, Oum Kalthoum (qu’on orthographie Oum Kalsoum, Om Kolsoum ou Umm Kulthum) reste dans le cœur des gens de toutes conditions et catégories sociales confondues, une sorte d’icône au même titre que certains grands noms de la pop culture mondiale. A ranger sans aucune hésitation aux côtés des emblématiques John Lennon, Myriam Makeba, Bob Marley ou même Beyoncé. Cette trempe d’artistes – dont les succès incommensurables ont eu clairement un impact sociétal et politique -, Oum Kalthoum était de ceux-là.
Femme du peuple…
Née en 1898 dans un village modeste du Delta du Nil, Oum Kalthoum montre rapidement des capacités vocales extraordinaires lors de cérémonies traditionnelles et religieuses que son père célèbre en tant qu’imam local. De fil en aiguille, déguisée en petit garçon (car les jeunes filles à cette époque n’étaient pas vraiment autorisées à chanter en public dans des groupes d’enfants), c’est épaulée par son progressiste de paternel qui flaire chez son enfant un talent musical rare, qu’Oum Kalthoum se rend au Caire.
Alors âgée d’une vingtaine d’années, elle se fera rapidement une place dans les cabarets de la grande ville, puis dans les véritables salles de spectacle que le public vient remplir depuis tout le pays. À 30 ans, c’est une vedette nationale pour qui l’intelligentsia égyptienne (écrivains, poètes, compositeurs, cinéastes, politiques) semble avoir des projets d’envergure.
…Et du grand monde
Tournées dans l’ensemble du Moyen-Orient, le succès par ricochets (et disques voyageurs) devient planétaire. Le changement de régime en Egypte la fait vaciller, car elle avait initialement chanté pour le pouvoir précédent. Mais El Sett (« La Dame », son surnom) est solide comme les pyramides millénaires de son Egypte natale. Et, puisqu’elle vénère son grand et beau pays à la riche histoire, Nasser, le nouvel homme fort du régime, la prend sous son aile, conquis par la puissance de son art et bien conscient du potentiel de popularité de la dame.
Le nouveau président n’a aucune raison de se fâcher avec ce peuple égyptien qu’il dirige désormais.
Lors des retransmissions des concerts radiodiffusés d’Oum Kalthoum (plusieurs heures non-stop de direct), le pays est à l’arrêt, comme sous hypnose pour écouter les arabesques vocales de cette Maria Callas orientale. On écoute désormais la diva dans l’ensemble du monde arabe, et même au-delà. Et puisqu’on écoute la chanteuse religieusement, on écoutera aussi le président. CQFD.
À ce propos, sa venue à l’Olympia en 1967 est un évènement (brillamment raconté dans la BD citée plus bas). C’est son tout premierrécital donné en Occident, et les places se vendent dès l’annonce de sa venue à Paris. Car, si la diva trouve la célèbre salle parisienne ridiculement petite, elle est venue avec une délégation de 40 personnes, demande à être logée dans le plus grand palace de la capitale, est accueillie à Orly par des milliers de fans, fait se côtoyer des émirs, des stars et des ouvriers sur les bancs de la salle, et reverse l’intégralité de son énorme cachet aux autorités égyptiennes.
Le tout Paris est présent et l’Élysée en embuscade. On sort tout juste de la guerre des Six Jours qui ont redistribué les cartes géopolitiques de la région. Le majestueux et envoûtant concert de cinq heures que donnent Oum Kalthoum et son orchestre ce soir-là est donc pour les officiels de tous bords, un peu plus qu’une simple prestation.
Problèmes de santé, vie privée pas si privée, renoncement à sa carrière et aux prestations… La décennie suivante sera de courte durée, puisque l’astre de l’orient s’éteint au début de l’année 1975, accompagnée par cinq millions de personnes lors de son enterrement. Et nous voilà donc logiquement à célébrer ce début février le cinquantenaire de sa disparition.
The « Oum Kalthoum spirit »
50 ans après sa mort, l’esprit et l’héritage de la chanteuse semblent intacts, malgré ce monde malheureusement polarisé auquel n’échappe pas non plus la culture et les artistes. Hier, aujourd’hui, demain… Oum Kalthoum rayonne et rayonnera encore longtemps.
On a vu l’hyper-trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf lui rendre un bel hommage il y a quelques années dans un album sobrement intitulé Kalthoum.
Plus récemment, un sympathique et fidèle roman graphique est paru en 2023 : Oum Kalthoum, naissance d’une diva…
… Ainsi qu’une BD bien maline mettant l’accent sur la façon dont le président Nasser, grand admirateur de la dame, s’en est servi comme arme politique. On en causait juste au-dessus, passionnant !
Un livre, Oum Kalsoum, l’étoile de l’orient – préfacé initialement par Omar Sharif -, ressurgit en poche à l’occasion de l’anniversaire de sa disparition.
Un superbe coffret triple CD édité par la très sérieuse maison Frémeaux & Associés sur le début de ses enregistrements (L’Astre d’Orient 1926-1937). Best seller du moment.
Et ce petit ouvrage illustré très bien fichu en littérature jeunesse qui vient tout juste de paraître. Un petit livre à prix mini pour nourrir les oreilles grandes ouvertes des bambins, autrement qu’avec les algorithmes des plateformes de streaming.