Critique

Le fils de l’homme de Del Amo : au nom du père, du fils et du sale esprit

20 septembre 2021
Par Melanie C.
Le fils de l'homme de Del Amo : au nom du père, du fils et du sale esprit

Récit clinique d’une transmission toxique, ode érudite à la nature déclamée dans une langue parfois trop riche, Le Fils de l’homme est un des romans majeurs de cette rentrée littéraire. Prix du roman FNAC 2021.

Homme engagé, auteur engageant, Jean-Baptiste Del Amo délivre depuis plus de dix maintenant des romans puissants et singuliers qui ne laissent personne insensible. Porté par un évident talent d’écriture, un redoutable sens de l’observation et une conscience affutée, ce toulousain de naissance puise dans ses expériences pré-littéraires, d’animateur et d’humanitaire en Afrique, pour présenter en 2006 son premier texte. Une nouvelle percutante et bouleversante distinguée par un prix destiné aux jeunes écrivains qui lui permet d’être rapidement repéré puis publié par une grande maison d’édition. Primé en 2009 par le Goncourt du premier roman et le prix de l’Académie, Une éducation libertine marque la première étape d’un parcours sans faute qui sera jalonné de récompenses.

Sexe, violence et transmission

Couvert de louanges par la critique dès sa première rentrée littéraire en 2008, Jean-Baptiste Del Amo construit roman après roman une œuvre cohérente marquée par la récurrence de certaines thématiques comme la famille et la figure paternelle, le rapport au corps et à la sexualité, le déterminisme social et la violence. C’est d’ailleurs avec l’historique et initiatique Une éducation libertine, abordant la bisexualité d’un petit bourgeois de Province du XVIIIe siècle, qu’il connaît son premier succès public et critique. Viendront ensuite le drame familial de Le Sel où la transmission par le père joue son rôle, les vagabondages transgressifs cubains de Pornographia récompensé par le prix Sade 2013, puis la fresque rurale et porcine de Règne animal. Dans ce roman qui retrace l’histoire sale et violente de l’élevage à travers cinq générations d’éleveurs de porcs, Jean-Baptiste Del Amo pose pour la première fois au centre de l’intrigue son engagement radical pour la cause animale. Avec Le Fils de l’homme, il reprend une partie du sujet en insistant cette fois sur l’idée de transmission filiale de la violence. Dans cette boucle de rage où seraient piégés à l’infini les pères et leurs fils, la femme, la mère, la fille occupent le rôle de victimes collatérales de la folie destructrice des hommes.

Le Fils de l’homme

Après plusieurs années d’absence, un homme réapparaît brutalement dans la vie de sa compagne et de son jeune fils. Pour ressouder les liens familiaux, il leur impose de partir s’installer pour l’été aux Roches, une masure perdue dans la montagne où il a grandi avec son père, un ignoble personnage aussi dément que mauvais. Au fil des jours, l’isolement, le manque de tout et les humeurs imprévisibles de l’homme rendent la vie de plus en plus difficile et misérable. Prisonnière d’une ruine, d’une nature hostile et de l’emprise pathologique d’un paranoïaque perverti par sa propre histoire, la mère affaiblie par sa culpabilité assiste alors impuissante à l’influence malfaisante du père sur son fils. Dans ces conditions, sans espoir d’évasion, le drame est imminent…

Tragédie glacée

Sous la plume de Jean-Baptiste Del Amo, l’homme n’est pas un animal comme les autres. Observateur impitoyable de la nature humaine, il le définit comme un élément perturbateur de la nature, un catalyseur de drames porteur d’une sauvagerie qu’aucun animal ne pourra jamais égaler. Il en fait la démonstration dans une scène-clé où le fils tombe nez à nez avec un ours, pourtant considéré comme une des créatures les plus dangereuses du règne animal, qui ne lui fera aucun mal. Car contrairement au plantigrade géant, la folie de son père peut, elle, à tout moment, devenir létale.

Tragédie glaciale et glaçante sur fond de survivalisme criminel et de transmissions de valeurs masculinistes toxiques, Le Fils de l’homme propose un récit exigeant d’où ne s’échappe aucune empathie pour ses trois personnages. Misérables au passé, dans cette petite ville ouvrière plombée par la grisaille qu’ils habitaient, comme au présent, dans cet enfer végétal qui pourrait bien être leur tombe, ils sont tous engagés dans une mécanique funeste et implacable qu’ils ne peuvent contrarier.

Eros et Thanatos

Formellement singulier, le roman offre une expérience de lecture parfois déconcertante. Rigueur, précision, érudition et poésie flamboyante sont réservés à une nature qu’il vénère et à qui il offre sa plus belle prose. En revanche, les trois êtres en mal d’amour qui peuplent son récit ont droit à un style sec et clinique qui contraste avec la luxuriance linguistique qui commande ses abondantes descriptions naturalistes. Au-delà de ces considérations stylistiques qui ne manquent pas d’importance, on se demande jusqu’à la fin, si cet homme doit être jugé comme un monstre ou comme la victime d’un héritage social et moral auquel il ne peut se soustraire. La réponse dépendant de la sensibilité de chacun. Mais une chose est certaine, Le Fils de l’homme est un roman sombre et fiévreux traversé par des éclairs de beauté dont l’origine n’est définitivement pas humaine.

Pour en savoir plus :

Rencontre avec Jean-Baptiste Del Amo : au coeur de l’homme

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Article rédigé par
Melanie C.
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