L’Avare est sans doute l’une des comédies les plus célèbres de Molière. À tel point que le nom de son personnage principal, Harpagon, est entré dans le langage courant. Retour sur une pièce rocambolesque et cinglante et un personnage haut en couleur qui a des oursins dans ses poches.
Qui est Harpagon ?
C’est en 1668 que Molière présente pour la première fois L’Avare, une comédie en cinq actes saupoudrée de Commedia dell’arte, reprenant les thématiques de La Marmite, une pièce de Plaute. Harpagon, son personnage central, est comme le titre l’indique, un avare invétéré prêt à tout pour protéger sa cassette renfermant dix mille écus d’or, enterrée dans son jardin. Il désire également marier de force ses enfants Élise et Cléante, alors que leur cœur est déjà pris. Mais Harpagon n’en a cure, lui qui souhaite épouser la belle Mariane pourtant éprise de Cléante (et réciproquement). Tout ne va pas se passer comme prévu pour le richissime pingre : Valère, élu d’Élise et intendant d’Harpagon, ainsi que l’intrigante Frosine, vont tout faire pour déjouer ses plans…
La pièce quitte l’affiche après seulement neuf représentations. Cette critique de la bourgeoisie déplaît. Harpagon et son obsession pour sa cassette renouent toutefois avec un succès conséquent à partir du 19e siècle, sans discontinuer depuis. Régulièrement jouée sur toutes les scènes du monde entier, elle a été plusieurs fois adaptée au cinéma. Parmi les plus célèbres, L’Avare version Jean Girault et Louis de Funès avec ce dernier dans le rôle d’Harpagon, sa première co-réalisation et l’un de ses derniers rôles. Mais d’autres comédiens de renom ont également donné de la voix pour ce rôle de dindon de la farce, tels Michel Bouquet, Michel Serrault ou encore Denis Podalydès et Michel Aumont.
Quels sont les défauts et le caractère d’Harpagon ?
Outre son avarice extrême qui rend tout le monde suspicieux à ses yeux, même ses propres enfants, Harpagon a bien d’autres défauts. Et il en faut pour que La Flèche, valet du vieillard, en vienne à s’écrier qu’il est « de tous les humains, l’humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus serré » ! Harpagon ne pense qu’à protéger sa cassette, sans songer qu’à travers les deux mariages qu’il souhaite arranger pour ses enfants, il cause leur malheur. Égoïste, colérique, violent (il ne lésine jamais sur les coups de bâton), bourru et borné, il est également naïf, dès qu’il est question d’argent.
Pourquoi Harpagon est-il un personnage comique ?
Malgré sa violence, ses gesticulations, ses emportements et ses éclats de voix, Harpagon est avant tout un personnage de comédie. On rit souvent de lui et à ses dépens. L’Avare est une farce, une critique de la bourgeoisie, des mariages arrangés entre deux personnes non consentantes ou pour des intérêts d’argent. Molière fait tout pour ridiculiser son anti-héros, sans que celui-ci ne se rende compte du spectacle pathétique qu’il donne de lui-même. L’une des scènes les plus emblématiques et drôles de la pièce, est sans doute lorsque Harpagon se rend compte que sa cassette si chère à ses yeux, a disparu.
Il court dans tous les sens, éperdu, vitupère, grogne, se lamente tour à tour. Il crie au voleur, à l’assassin, au meurtrier. « Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent ! ». Pour lui, se retrouver dépourvu de ses dix mille écus d’or, renvoie à une mort certaine. Seul son argent compte, point le reste. Ni ses enfants, ni le mariage qu’il souhaite contracter avec la jeune et belle Mariane. Quand il se prend lui-même le bras pour demander à ce qu’on lui rende son argent, le ridicule l’emporte, la folie le guette et une pulsion de mort s’abat sur lui. Même si elle fait rire les spectateurs. « J’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie. Tout est fini pour moi et je n’ai plus que faire au monde : sans toi, il m’est impossible de vivre. (…) N’y-a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? ».
Pourquoi Harpagon veut-il épouser Mariane ?
C’est l’un des arcs narratifs de la pièce : l’idée fixe d’Harpagon qui a presque trois fois son âge, d’épouser Mariane. Il ignore toutefois qu’elle est éprise de son fils Cléante, également amoureux d’elle. Si Mariane est une orpheline de père totalement désargentée (à ce qu’elle croit), son physique avenant et sa douceur apparente, envoûtent Harpagon. Et une épouse aussi parfaite ne peut que servir les intérêts du sexagénaire. Pour être bien certain de garder Mariane pour lui seul, Harpagon arrange un mariage entre Cléante et une veuve fortunée. Ce n’est que le début de bien des quiproquos…
Un comique autant de situation que de geste et de mots et qui achève de faire d’Harpagon l’un des parangons de la comédie pure. Il personnifie son argent au point d’en faire une personne de chair et d’os, alors qu’il n’a que faire des sentiments contrariés de sa progéniture. Son outrance et son sens de l’exagération provoquent des éclats de rire tant chez les autres personnages qui observent la scène, médusés, que dans le public. Un point d’orgue rythmé et intense, qui achève de caractériser Harpagon en rajoutant à son compte, paranoïa et dédoublement de la personnalité. Harpagon ignore qui il est à la fin de ce monologue échevelé. Il sait simplement qu’il a perdu un être cher, une part de lui-même. De la grandeur de l’homme de la première scène, il ne reste plus qu’un vieillard pathétique, prêt à mourir pour avoir été volé. Une critique acerbe de la matérialité qui fait encore sens de nos jours…
Pourquoi Harpagon et Cléante se disputent-ils ?
On ne peut pas dire que les relations entre le père et le fils soient au beau fixe… Harpagon, tyrannique, n’a de cesse de chercher querelle à Cléante. Et les sujets de discorde sont légion. Tout d’abord, Harpagon craint que ses enfants n’aient entendu où il a dissimulé sa précieuse cassette et sa suspicion perpétuelle ne va pas permettre un dialogue serein. Lorsque Harpagon fait semblant de se lamenter qu’il ne trouve pas assez d’argent, Cléante déjoue une première dispute avec cette phrase : « Mon père, vous n’avez pas lieu de vous plaindre et l’on sait que vous avez assez de bien ». Harpagon ouvre les hostilités en jugeant son fils sur sa manière de dépenser son argent et qu’il ferait mieux de placer ce qu’il a gagné au jeu plutôt que de le dépenser en colifichets. Cléante ne réplique pas, mais la pique est lancée.
La dispute en suspend va pouvoir éclater. C’est bel et bien l’argent qui mettra le feu aux poudres. Cléante ayant besoin de quinze mille francs pour éponger ses dettes de jeu, recherche un prêteur. La Flèche, le valet d’Harpagon, se charge de le lui trouver. Mais l’homme en question réclame des conditions telles que Cléante refuse. Lorsque Cléante découvre que le prêteur n’est autre que son père, les ressentiments ressurgissent. Ils s’en prennent l’un à l’autre violemment au cours du second acte. Et cela ne fera qu’empirer au quatrième, quand Harpagon va découvrir que son fils est amoureux de Mariane également, alors qu’il l’a obligé à s’engager dans un mariage. Au paroxysme de cet emportement, Harpagon maudit Cléante.
Où Harpagon a-t-il caché sa cassette et où la retrouve-t-il après son vol ?
Ah, la cassette d’Harpagon ! Une histoire d’amour parallèle à celles que vivent d’un côté Élise et Valère et de l’autre, Cléante et Mariane. Harpagon, qui vit d’usure et d’eau fraîche, l’enterre dans son jardin, pour que personne ne puisse mettre la main sur les dix mille écus d’or qu’elle contient. Et surtout pas son fils en quête urgente d’argent.
C’est au moment de la dispute tonitruante du quatrième acte que le vieil avare s’aperçoit avec horreur qu’on lui a volé sa cassette. Il se lance dans ce fameux monologue qui lui fait perdre toute sa raison. Il fait mander un commissaire pour interroger tout Paris, afin de découvrir le fieffé voleur. Valère est accusé à tort par Maître Jacques, le cuisinier et cocher d’Harpagon, d’avoir commis le méfait. Mais c’est La Flèche, le valet de Cléante qui s’est emparé du trésor pour le compte des enfants d’Harpagon. Leur but, contraindre leur père à abandonner ses projets de mariages forcés. Il y renonce quand Anselme, le père de Valère et Mariane, consent à payer de sa poche les deux mariages de leurs enfants respectifs. Harpagon récupère sa cassette et la pièce se termine alors qu’il se retrouve seul à seul avec elle.
Quelle maxime Harpagon veut-il faire graver sur sa cheminée ?
Dans le troisième acte, au cours d’une discussion (sur l’argent) entre Harpagon et Valère, l’avare demande à faire graver en lettres d’or sur la cheminée de sa grande salle, cet adage : « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger ».
Quels sont les descendants d’Harpagon dans la culture populaire ?
Si Harpagon est le digne hériter d’Euclion, héros de La Marmite, d’autres avares vont se succéder dans la littérature, tous plus ou moins inspirés par le pingre imaginé par Molière. C’est le cas d’Ebenezer Scrooge dans le conte Un chant de Noël de Charles Dickens, de Séraphin Poudrier dans Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon ou de Félix Grandet dans Eugénie Grandet de Balzac.
Dans la culture populaire, un personnage d’avare est toujours propice à des scènes de comédie. Tout comme Haragon recherchant sa cassette, on rit de ces hommes pingres dont la vie ne s’articule qu’autour d’un argent qu’ils rechignent de dépenser. C’est Balthazar Picsou chez Walt Disney qui se baigne dans une piscine remplie de pièces d’or, Don Salluste dans La Folie des grandeurs, cousin espagnol d’Harpagon. Louis de Funès, fasciné par le personnage de Molière avant de finalement l’incarner en 1980, donne ici un avant-goût de sa version d’Harpagon. Gérard Oury remettra ça plus de vingt ans plus tard avec Christian Clavier dans La Soif de l’or, hommage déguisé à Molière. Tout comme Dany Boon en 2016 dans le film Radin ! devant choisir, comme Harpagon, entre l’amour et l’argent. L’Avare, un chef-d’oeuvre décidément intemporel.