Décryptage

Serge Gainsbourg en réseau : ses influences, ses proches et ses muses

18 mars 2021
Par Mathieu M.
Serge Gainsbourg en réseau : ses influences, ses proches et ses muses

Loin d’être un artiste maudit isolé dans sa tour d’ivoire, Serge Gainsbourg a développé, tout au long de sa vie, un réseau d’influences. Depuis ses débuts, où il s’est inspiré de maîtres comme Boris Vian, jusqu’à aujourd’hui, où il reste un modèle pour de jeunes chanteurs, retour sur cette galaxie Gainsbourg, emblématique de la musique populaire.

Serge Gainsbourg, l’enfance de l’art

Serge_Gainsbourg_1960_-_Jacques_AubertUne fameuse discussion, lors d’une émission de Bernard Pivot, a contribué à la légende de Serge Gainsbourg. Face à Guy Béart, le compositeur de la Javanaise assurait que la chanson était un « art mineur », arguant du fait que contrairement à la peinture ou au classique, cette forme de création ne nécessitait pas « d’initiation ».

De fait, Serge Gainsbourg connaissait bien le sujet. Dans sa jeunesse, il a été, lui, initié à deux pratiques majeures : le piano, que son père lui a enseigné, et la peinture, pour laquelle il a fréquenté les Beaux-Arts et eut pour maître Fernand Léger. Ne pouvant vivre de ses toiles, il se tourne vers la musique populaire dans les années 1950, comme artiste de piano-bar, s’essayant aussi à la composition de pièces pour le music-hall. C’est dans les cabarets et les caveaux qu’il se met à interpréter du jazz, un genre qui aura une profonde influence sur lui.

C’est Boris Vian qui incite Gainsbourg à passer à « l’art mineur ». L’écrivain et grand amateur de jazz, trompettiste à ses heures, a une petite carrière de chanteur. Voir Vian interpréter des textes satiriques, remplis de bons mots et de calembours, décomplexe pour toujours Serge Gainsbourg, qui devient rapidement le parolier le plus créatif, sur le plan poétique, de son époque.

En cheminant, Gainsbourg n’a jamais oublié la culture classique. Amateur de Rimbaud, Antonin Artaud, il a également beaucoup emprunté à la grande musique, de Chopin à Dvorak, pour étayer ses compositions. Du côté du chant, les crooners du temps du swing, comme Cole Porter, ont pu avoir une véritable influence sur sa diction et sa manière de timbrer sa voix.

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Serge Gainsbourg, pour faire chanter les autres

Comme auteur-compositeur-interprète, Gainsbourg n’eut pas beaucoup de succès à ses débuts. Mais le petit milieu de la musique trouva en revanche beaucoup de talent à cet échalas aux grandes oreilles. À une époque où les morceaux circulaient entre les artistes, la vraie reconnaissance lui sera assurée grâce aux interprètes s’exprimant par ses mots. Son premier tube, Le Poinçonneur des Lilas décolle ainsi avec la version des Frères Jacques, immenses vedettes des années 1950.

L-eternel-feminin-Best-Of-DigipackC’est auprès des chanteuses, surtout, que la manière d’écrire de Gainsbourg fit sensation. Il donna à Juliette Gréco quelques-unes des plus belles chansons d’amour de son répertoire, comme Les Amours perdues, La Recette de l’amour fou et bien sûr La Javanaise. Catherine Sauvage (Black Trombone, Les Goémons) ou Isabelle Aubret (La Chanson de Prévert) contribueront à sa notoriété comme compositeur de titres jazzy se prêtant à des vocalistes douces.

Gainsbourg, l’auteur de ses dames

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Au cours des années 1960, Gainsbourg prend, en marche, le train du yéyé, ce genre musical qui obtient alors un succès commercial record grâce aux « idoles » et à la bienveillance de la radio et de la télévision. Ce premier phénomène culturel destiné aux adolescents, et l’influence de Nabokov sur la société de l’époque et Gainsbourg en particulier, l’incitent à se tourner vers des icônes juvéniles : Petula Clark, pour qui il compose La Gadoue, et surtout France Gall, victorieuse de l’Eurovision avec Poupée de cire, poupée de son incarnent ce renouveau. Même s’il dépasse les limites (avec Les Sucettes), le grand Serge réussit là une métamorphose salutaire : l’influence du rock anglais marque un changement de dimension pour son œuvre personnelle, qui se fait plus pop.

Serge_Gainsbourg_1968_-_Jacques_Aubert_previewAprès la période Lolita, vient le temps des égéries. Là encore, la musique british n’est pas loin : son idylle avec Brigitte Bardot débouche sur Harley Davidson et la version initiale de Je t’aime, moi non plus (rapidement censurée par le mari de BB), deux titres qui ne déparent pas avec l’ambiance psyché et trépidante du Swingin’ London.

Jane-Birkin-et-Serge-GainsbourgSigne de ce rapprochement, Serge Gainsbourg débute en 1968 sa relation avec Jane Birkin par une série de chansons interprétées avec cette mannequin de 20 ans. Leur collaboration, remarquable sur les albums Jane Birkin et Serge Gainsbourg et Histoire de Melody Nelson, consacre la voix fragile de cette jeune femme-enfant, devenue l’une des icônes de la pop française, et qui vient de sortir son nouveau disque, Oh! Pardon tu dormais…, après une longue absence…

Une grande famille

From-Gainsbourg-to-Lulu

La famille est un continuateur important de l’œuvre de Serge Gainsbourg. Lui-même a initié sa fille Charlotte à la chanson dans les années 1980, avec l’album Charlotte For Ever avant qu’elle ne connaisse elle-même une belle carrière solo, et un grand succès au cinéma. Sa dernière compagne, Bambou, a été également son interprète. Leur fils Lulu a lui aussi conçu des disques dont From Gainsbourg to Lulu, où le jeune homme revisitait le répertoire de son père.

Francoise-50eme-Anniversaire-Edition-Limitee-Exclusivite-Fnac-Vinyle-BleuAprès son succès en solo comme interprète, notamment grâce à ses morceaux reggae, Gainsbourg continua de faire chanter les stars : il donna un hit, le duo Dieu est un fumeur de havane, à Catherine Deneuve à l’occasion d’un film de Claude Berri, Je vous aime, un autre à Isabelle Adjani (Pull marine), et, comme il l’avait fait pour Anna Karina et Françoise Hardy auparavant, proposa à l’une des vedettes de son temps des titres inspirés, lors de sa collaboration avec Vanessa Paradis.

Gainsbourg en héritages

Serge_Gainsbourg_et_Etienne_Daho_lors_dune_emission_de_TV_1987_-_Claude_Delorme_previewLa dernière décennie de la vie de Gainsbourg a vu se multiplier les continuateurs de son travail, notamment ceux qui ont collaboré avec lui. C’est le cas d’Alain Bashung, grand vocaliste de calembour, et qui reprit à son aîné le talk-over, cette manière d’interpréter les textes sans les chanter ni les parler tout à fait : l’inoubliable voix de La Nuit je mens a d’ailleurs recréé en entier l’album L’Homme à tête de chou.

Alain Chamfort, qui a été son interprète et a collaboré avec Jane Birkin, ou Étienne Daho, grand fan de yéyé et lui aussi amateur de musique érudite, qui fut un ami de Serge et Jane dans les années 1980, ont largement contribué à entretenir l’héritage musical de leur mentor, tout en participant à une sorte de revival yéyé dans les années 1960.

De nos jours, les descendants de Gainsbourg se multiplient, et l’on trouve sa profonde influence sur des artistes de rap (comme MC Solaar), des chanteurs-crooners (Arthur H, Bertrand Belin) sans compter les musiciens qui ont quasiment repris son mode de vie. Benjamin Biolay, lui aussi de formation classique, lui aussi auteur-compositeur-interprète, lui aussi connu pour ses collaborations, et qui fait chanter femme (et fille sur l’album Grand Prix) à l’occasion, apparaît comme l’un des plus dignes successeurs du personnage le plus charismatique de la chanson française du XXe siècle !

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Visuels d’illustration : © Jacques Aubert / Stan Wiezniak / Patrick Bertrand / Claude Delorme – Universal Music France

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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