Dans l’empire Take Two, les studios Rockstar Games tiennent une place à part. En créant des jeux destinés aux adultes et en offrant une liberté nouvelle aux joueurs, Rockstar a bouleversé l’histoire du jeu vidéo et toute l’industrie de la culture et du divertissement. Retour sur l’histoire du studio à l’origine des GTA et des Red Dead Redemption.
En avril 2020, alors que le monde entier s’applique à compter les contaminations plus que toutes autres choses, Take Two Interactive, l’un des plus gros empires du jeu vidéo, compte plutôt les milliards de dollars qui s’accumulent dans ses caisses. Mais parmi toutes ses réussites, les 135 millions d’exemplaires vendus de GTA 5 ont une place particulière. Le dernier opus de la série mythique, qui était déjà le jeu ayant coûté le plus cher à développer avec 265 millions de dollars, devient l’un des biens culturels les plus rentables de l’histoire, avec plus de 6 milliards de dollars de recette revendiqués fin 2018, loin devant le film Avatar de James Cameron et ses 2,9 milliards, qui sert régulièrement de référence lorsqu’il s’agit de gros sous. Plus que l’industrie du jeu vidéo donc, c’est tout l’univers de la culture que Rockstar a bouleversé, au fil des années, en proposant des productions toujours plus ambitieuses.
À la tête de Rockstar Games, Sam Houser, président et fondateur du studio avec son frère Dan, qui a quitté le navire en avril 2020, cultive l’anonymat autant que le secret autour de ses créations. Phénomène de société, polémiques politiciennes mondiales, batailles juridiques, les frères Houser ont tout connu, sans jamais perdre de vue leur objectif initial : élever le jeu vidéo au rang d’art et le libérer de la case enfantine dans laquelle il était coincé jusqu’au début des années 2000. Des révolutionnaires au sang chaud, à l’origine d’un genre nouveau.
Sam Houser
Élevé à Londres par une mère actrice et un père avocat qui passe plus de temps dans les clubs de jazz qu’à la barre, Sam Houser a compris dès l’enfance la place capitale de l’art dans la société comme dans la vie. En 1982, il a 11 ans lorsqu’il découvre les bornes d’arcade et tombe amoureux de Mr. Do!, sur lequel il passe de nombreuses heures à récolter des cerises. Mais c’est probablement sa découverte du jeu Elite, en 1984, qui sèmera en lui la graine à l’origine de ses futures créations. Le joueur y incarne un marchand dans un vaisseau spatial armé. Le but est de s’aventurer de planète en planète dans ce qui ressemble à l’origine des mondes ouverts dans le jeu vidéo. Mais c’est surtout la possibilité de réussir dans le marché légal comme dans celui de la contrebande qui séduit le jeune Sam.
Comme la plupart des adolescents qui grandissent en Angleterre dans les années 80, Sam Houser et son frère Dan rêvent au départ de devenir des stars du rock’n’roll. Mais la culture américaine et son hip-hop, qui comme le rock est un mélange de musique, de mode et de style, séduit très vite les deux frères jusqu’à devenir leur principale source d’inspiration.
Au-delà de la musique, Sam est passionné par les films d’action et de gangsters et ne jure que par les productions de Don Simpson, notamment à l’origine de Top Gun. En 1988, Sam Houser a la chance de découvrir les Etats-Unis grâce à son père qui l’emmène en voyage d’affaires, au cours duquel il fait, à l’occasion d’un déjeuner, la rencontre de Heinz Henn, qui n’est autre que le directeur marketing de BMG Entertainment, l’un des piliers de l’industrie du disque. Passionné, Sam Houser impressionne Heinz Henn en lui expliquant sa vision de la musique et de son impact sur la société. À la fin du repas, Heinz Henn glissera même à l’oreille du père de Sam : « ton fils est complètement fou, mais il a des idées… ». Sans s’en rendre compte, Sam Houser vient de décrocher son premier job.
Quelques mois plus tard, Sam se retrouve donc stagiaire dans les bureaux londoniens de BMG. Loin de mener la vie qu’il imaginait en se projetant dans le monde de la musique, il est chargé de superviser les différents clips de boys band produits à cette époque. Il gravit néanmoins les échelons, et alors qu’il s’apprête à quitter l’entreprise, désabusé, on lui propose de gérer les relations entre BMG et DMA Design, un studio de développement de jeux vidéo, et d’en superviser les démos.
Le petit studio créé par un développeur autodidacte écossais, Dave Jones, s’est notamment fait connaître grâce au succès du jeu Lemmings. De quoi taper dans l’œil du géant BMG qui cherche à se lancer dans ce nouveau secteur du jeu vidéo. Pour convaincre ce nouvel investisseur, DMA Design présente plusieurs démos de jeux, et c’est un certain Race’n’Chase qui attire l’attention de Sam Houser.
La démo, très prometteuse, dévoile un jeu de poursuite, dans lequel le joueur incarnera la police et devra réussir à rattraper des bandits, dans une ville entière qu’il faudra apprendre à connaître afin de trouver le meilleur moyen d’intervenir. Tout en veillant à arrêter le plus vite possible les ennemis, il faudra faire attention au trafic des citoyens et aux piétons sur les trottoirs pour ne pas engendrer trop de dégâts…
Si Sam Houser est rapidement séduit par le concept global, il trouve néanmoins que le titre manque de personnalité. Il demande alors à Dave Jones de revoir la perspective du jeu, et lui propose d’inverser les rôles. Plutôt que d’incarner la police, il voudrait voir le joueur incarner les bandits. Et plutôt que de perdre des points en écrasant involontairement des passants, il veut en gagner ! Dave Jones est convaincu et tout le développement du jeu est repensé. De Race’n’Chase, le jeu devient Grand Theft Auto.
Grand Theft Auto, le surdoué retardataire
Très investi dans le développement du jeu, Sam Houser veille à ce qu’il soit truffé de références à la culture populaire. Dans l’une des missions, le joueur doit par exemple conduire un bus sans s’arrêter, sous peine de le voir exploser, exactement comme dans le film Speed sorti en 1994.
Une importance toute particulière est également apportée à la bande son et chaque musique est soigneusement choisie. Mais malgré toute cette attention portée aux détails, Dave Jones est inquiet. La Playstation est arrivée, et avec elle des titres bien plus ambitieux graphiquement que le premier GTA. Crash Bandicoot, Tomb Raider, tous les jeux à succès sont en 3D, et les graphismes de GTA semblent venir d’un temps déjà révolu. Dave Jones est à deux doigts d’annuler le projet, mais Sam Houser insiste.
Pour en faire un succès, GTA a besoin d’une communication soignée. Pour réussir un coup, DMA Design engage Max Clifford pour s’occuper de la communication autour du jeu. Connu pour ses coups dans la presse anglaise à scandale, Max Clifford joue sur son terrain et décide de mettre en avant la violence et la vulgarité du titre. Il n’hésite pas à sortir le carnet de chèques pour que GTA obtiennent de mauvaises critiques, mettant notamment en avant le danger qu’il représente pour les enfants. Bingo, la politique s’en mêle. Gordon Campbell, secrétaire d’État, et Gareth Williams, ministre de l’Intérieur, font des déclarations pour tenter de faire interdire la sortie du jeu. Après quatre ans de développement, GTA sort finalement le 18 novembre 1997, mais reste interdit aux moins de 18 ans. Qu’importe, la campagne de communication a fait son travail. Le jeu s’écoule à plus de 500 000 exemplaires, et permet au petit studio d’envisager une suite.
Malgré des chiffres de vente encourageants, BMG Entertainment décide de mettre un terme à ses investissements dans le jeu vidéo. Sam Houser est alors chargé de trouver un repreneur pour DMA Design. Il finira par trouver preneur auprès de Ryan Brant, fondateur de Take-Two Interactive. Pour le séduire, Sam Houser met en avant le fait qu’une génération entière vient de grandir en jouant aux jeux vidéo, et qu’il est désormais temps de proposer des jeux plus adultes, abordant des thématiques plus matures.
Il est choisi pour diriger le studio et décide d’embarquer avec lui à New York trois de ses amis, Terry Donovan, Jamie King et Gary Foreman. Un cinquième larron manque à l’appel, Dan Houser, frère de Sam, qu’il se chargera de convaincre en route. Cinq jeunes anglais partent à la conquête de New York pour fonder un studio de jeu vidéo. Le nom qu’ils choisissent est une évidence. Rockstar Games est né.
Rockstar Games
Tout juste diplômé en Lettres à Oxford, Dan Houser part en voyage pour un mois en Amérique du Sud. Alors qu’il vient de faire une « grosse bêtise » comme il le raconte sans plus de précision dans l’une des rares interview qu’il a accordées, pour le site Vulture.com, il se retrouve poursuivi par trois gangsters locaux armés de machettes. Il réussit à leur échapper miraculeusement et trouve refuge dans un cybercafé, et en profite pour consulter ses mails. Son frère Sam vient juste de lui écrire pour lui proposer de le rejoindre à New York pour fonder Rockstar Games et devenir scénariste sur le deuxième opus de GTA.
Découvrir New York et la culture américaine est un réel choc pour les cinq jeunes hommes. Rapidement, ils comprennent qu’ils devront se servir de tous ses travers pour écrire le scénario de leur jeu. Take-Two, qui veut vite rentabiliser son investissement, met la pression pour que GTA 2 sorte rapidement. Malgré les ambitions de Rockstar, le jeu doit sortir vite et n’a pas le temps d’opérer une révolution en termes de gameplay. Tout passera alors par l’écriture. Dan Houser à la manette, l’équipe travaille sur un scénario toujours plus référencé et surtout plus profond.
Convaincu par leur méthode de communication pour la sortie du premier GTA, Rockstar veut continuer dans le même registre. Un court métrage promotionnel, évidemment provocateur, est tourné, mais Sam Houser trouve que ce n’est pas suffisant. Au dernier moment, il décide de faire ajouter un autocollant « Steal this game » (« volez ce jeu ») sur toutes les boîtes du jeu pour sa sortie en septembre 1999.
Malgré ces efforts, le jeu reçoit un accueil mitigé de la part de la critique, qui trouve encore une fois que GTA 2 est très en retard graphiquement sur les jeux sortis la même année. Driver, sorti quelques mois plus tôt, repose sur le même principe et propose déjà des graphismes en 3D. Aux yeux de Take Two, GTA 2 est un échec, mais Ryan Brant maintient sa confiance en Sam Houser pour le développement d’un troisième opus.
L’équipe le sait, elle n’a plus le choix. GTA 3 devra être totalement repensé graphiquement pour avoir une chance. Le studio voit alors les choses en grand et décide de louer un studio pour faire de la capture de mouvements, afin de rendre le jeu le plus réaliste possible. De son côté, Dan Houser s’occupe toujours de l’écriture, et va beaucoup plus loin que dans GTA 2. Il écrit plus de 20 000 lignes de dialogues, qui ne servent pas uniquement les cinématiques, mais également l’ensemble de la population de la ville, les débats qu’on peut entendre à la radio…
En octobre 2001, GTA 3 sort et le succès est immédiat. La critique parle d’un chef d’œuvre et plus de 6 millions d’exemplaires sont vendus en quelques mois. Le GTA-Like devient un genre : Rockstar Games a réussi son coup. Son troisième opus dépasse largement le cadre de la presse spécialisée et devient un véritable phénomène de société, pour le meilleur comme pour le pire.
Car si le jeu est salué pour son écriture exceptionnelle et la révolution qu’il représente en terme de gameplay, la polémique autour des jeux violents enfle dans le monde entier, et notamment aux Etats-Unis, toujours sous le choc de la tuerie de Columbine. Posséder GTA 3 devient même un délit en Australie. L’ESRB est alors créé aux USA et son équivalent PEGI en Europe, afin de classifier par âge les jeux vidéo à leur sortie. Une autre manière pour GTA de marquer l’histoire. Qu’importe, Rockstar Games a son premier hit, et donc un énorme budget en poche pour continuer l’aventure.
Miami Vice
Alors que GTA 3 se déroule à Liberty City, l’équivalent de New York pour Rockstar Games, Sam Houser veut changer de décors pour le prochain opus. Il embarque donc toute la fine équipe à Miami pour plusieurs semaines d’observation afin de créer le futur monde ouvert façon GTA : Vice City. Les cinq fondateurs passent alors leurs journées à visiter la ville, à s’imprégner de l’ambiance, et passent leurs soirées à regarder l’intégralité de la série Miami Vice, et Scarface, en boucle, dans un cinéma privé loué pour l’occasion. Des références faciles à retrouver dans GTA Vice City, du personnage de Tommy Vicetti (Tony Montana), au Malibu Club (Babylon Club).
Avec la création des organismes de classifications des jeux vidéo par âge, Rockstar se retrouve soumis à certaines contraintes. Alors que Vice City est toujours plus violent et sexualisé, le jeu subit des modifications avant sa sortie en fonction des pays. En Australie, la possibilité de recourir aux services d’une prostituée est supprimée. En France, seule la mise en scène de l’acte de prostitution est supprimée, ainsi que les effusions de sang et la possibilité de ramasser l’argent des personnages morts. Des polémiques qui font une nouvelle fois une très belle promotion au titre, qui sort en octobre 2002.
Comme pour le précédent opus, le succès est immense. Le jeu a suffisamment de nouveautés, tout en conservant tous les aspects qui ont fait la force de GTA 3, la presse est emballée. Et le public aussi visiblement. En 5 ans, le jeu s’écoule à plus de 15 millions d’exemplaires. De quoi offrir des moyens considérables à Rockstar, qui, tout en préparant la suite de sa série phare, se lance aussi dans d’autres projets.
Outre la poursuite de ses licences Max Payne ou encore Midnight Club, Sam Houser tient particulièrement à développer un autre titre toujours plus violent. Comme une réponse aux accusations concernant la violence des GTA, il lance le développement de Manhunt, un jeu qui explore de manière très réaliste l’univers terrifiant des snuff movies , ces films qui mettent en scène de véritables meurtres. De nombreux développeurs quitteront le studio pendant le développement de ce titre en état de choc.
San Andreas et l’affaire Hot Coffee
Mais c’est bien sûr la préparation du prochain GTA qui occupe le plus le studio, et surtout les frères Houser. Direction la côte ouest des Etats-Unis cette fois-ci, avec trois nouvelles villes américaines représentées dans le jeu : Los Angeles (Los Santos), San Fransisco (San Fierro) et Las Vegas (Las Venturas). Pour s’imprégner de la culture locale, et assurer au titre la street cred qu’il mérite, Dan Houser fait appel à DJ Pooh, célèbre rappeur et scénariste de la côte ouest, pour l’aider dans l’écriture de dialogues toujours plus crédibles.
Au-delà de l’ambition d’écriture toujours intacte, le coeur du jeu est aussi pensé pour aller beaucoup plus loin. La map est absolument immense, la personnalisation du personnage est infinie, le nombre de véhicules qu’il est possible de conduire est toujours plus important… GTA San Andreas dépasse les limites de ce qu’il était possible d’imaginer à cette époque.
Mais le jeu va également plus loin en ce qui concerne le sexe. Beaucoup trop loin selon l’ESRB (le PEGI américain), qui décide que certaines scènes doivent être supprimées du titre, sous peine de voir sa sortie uniquement réservée aux adultes. Une catastrophe en termes de distribution pour Rockstar, puisque Walmart refuse de mettre en rayon des jeux pour adultes, notamment depuis la tuerie de Columbine. Le studio est donc obligé de revoir son jeu à quelques semaines de la sortie. Pour gagner du temps, les scènes qui posent problème sont alors cachées dans le code du jeu, sans en être supprimées complètement…
Une erreur qui finira par coûter très cher, quelques années plus tard. Mais pour sa sortie, et malgré les critiques habituelles sur le racisme, le sexisme et la violence du titre, le jeu est un immense succès. Il se vendra à plus de 25 millions d’exemplaires dans le monde, en comptant les ventes sur PC, puisque le jeu sortira, comme c’est l’habitude de Rockstar, un an plus tard sur cette plateforme. Et cette sortie aura notamment une terrible conséquence.
Très vite après la sortie du titre sur PC, des modders, ces joueurs qui aiment fouiller les codes d’un jeu pour y apporter de petites modifications, tombent sur les fameuses scènes de sexe cachées. Patrick Wildenborg, un Néerlandais, est le premier à sortir un mod donnant accès à la mission Hot Coffee, telle qu’elle avait été conçue à l’origine. Si dans les versions censurées, celle-ci ne proposait qu’une vue extérieur à la maison de la petite amie de Carl pendant que les deux tourtereaux faisaient leur affaire, le nouveau mod donne accès à l’intérieur de la chambre, et à un mini-jeu qui consiste à enchaîner diverses combinaisons de touches pour réussir à faire atteindre l’orgasme à la copine de Carl.
Forcément, la nouvelle fait rapidement le tour du monde, et Rockstar se retrouve de nouveau empêtré dans une affaire qui devient vite politique. La classification du jeu est revue, et la vente devient exclusivement réservée aux adultes aux Etats-Unis, et une nouvelle fois totalement interdite en Australie. En Europe, le jeu est déjà classé 18+, et ne voit donc pas sa classification modifiée. Au-delà du sexe, c’est la violence de GTA qui est de nouveau mise en avant par de nombreux politiciens américains, dont la sénatrice Hilary Clinton qui n’hésite pas à déclarer au coeur d’un discours accusateur : « les jeux vidéo violents sont responsables d’une augmentation de 13 à 22% des comportements violents chez les adolescents. Il faut les traiter de la même manière que le tabac ou l’alcool. »
Les chiffres absurdes n’empêcheront pas la polémique de continuer à enfler. Pour se défendre, Rockstar clame son innocence et accuse les modders d’avoir ajouté du contenu sexuel dans le jeu. L’ESRB mène alors une enquête et se rend logiquement compte que la mission Hot Coffee était bien enfouie dans le code du jeu vendu depuis plus d’un an déjà. GTA San Andreas est alors retiré de tous les points de vente jusqu’à ce qu’un patch soit publié par Rockstar. Take-Two révèlera plusieurs années plus tard que cette affaire aurait coûté plus de 45 millions de dollars à l’entreprise.
S’ouvre alors une période un peu moins faste pour les cinq potes anglais toujours à la tête de leur studio devenu un mastodonte. Les sorties suivantes sont des échecs, notamment Bully, qui met en scène un adolescent qui tente de se faire accepter dans son établissement scolaire, et Vice City Stories, un épisode préquelle à GTA Vice City, sorti sur PSP. Un ancien développeur du studio, Jeff Williams, accuse les frères Houser dans la presse. Il juge leur management chaotique et dangereux, et dévoile l’insistance de Sam Houser pour que le jeu Manhunt, qu’il était le seul à vouloir chez Rockstar, soit le plus traumatisant possible.
La recette de Rockstar pour sortir du tunnel ? Mettre d’énormes moyens pour le développement d’un nouveau jeu GTA. Après deux épisodes « hors série », GTA Vice City et GTA San Andreas, Sam Houser veut revenir au cœur du sujet avec GTA IV, qui se déroulera de nouveau à Liberty City. Plus de 1000 personnes travailleront sur le projet, qui coûtera plus de 100 millions de dollars. Grande nouveauté, le jeu sortira aussi sur la Xbox 360, alors qu’il était exclusivement réservé aux consoles Playstation et au PC jusqu’à présent. Il s’agit d’un tel événement pour Microsoft dans le monde du jeu vidéo, que le vice-président de la division Interactive Entertainment Business de la firme, Peter Moore, dévoile à l’E3 2006 un tatouage « Grand Theft Auto IV » aux yeux du monde.
Si GTA IV garde la même recette, certains ajustements vont permettre au titre de surprendre et de continuer d’émerveiller le public. La démesure de San Andreas est laissée de côté pour une map plus petite, mais beaucoup plus verticale et animée. Le niveau des graphismes est très nettement amélioré grâce à un nouveau moteur développé en interne, ce qui permet au titre de profiter au mieux des capacités de la PS3 et de la Xbox 360. Comme d’habitude, les efforts concernant la musique et l’ensemble des références culturelles du titre sont sans précédent.
Sans surprise, dès sa sortie en fin d’année 2008, le succès est énorme. Un nouveau record est battu avec 3,6 millions d’exemplaires vendus la première journée, et plus de 6 millions d’exemplaires la première semaine, de quoi atteindre 500 millions de dollars de recettes…
Red Dead Redemption
Un petit studio de développement de San Diego, Angel Studio, prépare une suite spirituelle du jeu Gun Smoke, sorti en 1985. Le jeu s’appelle Red Dead Revolver, et doit être édité par Capcom. Mais un désaccord entre les deux parties va anéantir les espoirs du studio, au bord de la faillite. Ça tombe bien, c’est la spécialité de Take Two. L’immense éditeur de Rockstar rachète Angel Studio, qui deviendra Rockstar San Diego. Le développement du jeu reprend, pour une sortie en 2004, mais c’est surtout l’univers qui intéresse Rockstar, et en particulier Dan Houser, le principal scénariste. Très vite, les équipes décident de poursuivre dans cette voie, en y rajoutant la patte Rockstar : un monde ouvert, et une écriture profonde. La suite s’appellera Red Dead Redemption.
Si les développements de tous les jeux au sein de Rockstar ont la réputation d’être chaotiques, celui de Red Dead Redemption premier du nom est probablement le pire. Les développeurs ont beaucoup de mal à travailler avec le nouveau moteur Rage, notamment mis en place pour GTA IV. LA communication est très mauvaise au sein des équipes et le jeu est charcuté dans tous les sens à plusieurs reprises avant de trouver la bonne formule. C’est d’ailleurs pour cette raison que la date de sortie a été plusieurs fois repoussée, jusqu’en 2010.
Quelques mois après la sortie, de nombreuses épouses de développeurs engagés chez Rockstar San Diego s’associent pour écrire une lettre ouverte qui dénonce les conditions de travail dans l’entreprise. Journées de 12 heures sans pause, travail le dimanche, baisse des salaires et des bonus de performance, Rockstar se retrouve accusé et dans l’obligation de faire face à son évolution néfaste. Une bonne moitié du studio de San Diego démissionne, et de nombreux autres employés sont licenciés, dans un fracas qui marquera à tout jamais l’histoire de Rockstar.
Heureusement pour le studio, Red Dead Redemption est acclamé dès sa sortie. La presse et les joueurs sont emballés par ce nouvel univers immense, et la qualité exceptionnelle de la musique est particulièrement soulignée. Il faut dire que, contrairement à GTA qui utilise des chansons populaires pour créer des bandes-sons appréciées et pleines de références, Bill Elm et Woody Jackson sont choisis pour composer entièrement toutes les musiques du titre. En tout, plus de 14 heures de musique seront produites en 15 mois, avec la participation de Tommy Morgan, considéré comme le meilleur joueur d’harmonica de la planète.
GTA V et Red Dead Redemption 2, la démesure
Malgré les controverses qui accompagnent les jeux mais aussi désormais le mode de fonctionnement de l’entreprise, Rockstar n’en finit plus de grandir. Après la sortie de Red Dead Redemption, Rockstar possède 10 studios à travers le monde, de l’Inde à l’Ecosse en passant par les USA et le Canada. Plus de 1 000 personnes sont entièrement dédiées au développement des jeux Rockstar, et après la sortie de Red Dead Redemption, l’ensemble des équipes rejoint Rockstar North (Edimbourg) dans la conception de GTA V, probablement le titre le plus attendu de la planète à l’époque. Alors que GTA IV avait déjà explosé les compteurs avec plus de 100 millions de dollars investis dans son développement, GTA V va encore plus loin avec plus de 265 millions de dollars de budget, communication comprise.
Après un peu plus de cinq ans de développement, GTA V sort le 17 septembre 2013. Et si le monde entier attendait évidemment un blockbuster, personne ne pouvait imaginer qu’il serait, plus de 7 ans plus tard, toujours au sommet des classements des ventes. Pour la première fois, le jeu permet d’incarner trois personnages différents, dont les histoires vont se croiser pour un scénario toujours aussi profond, bien écrit et crédible.
Mais c’est par les incroyables possibilités offertes par son mode multijoueur, qui prendra tout son sens à l’occasion de la sortie du jeu sur PC deux ans plus tard, que GTA va une nouvelle fois révolutionner le genre et bâtir une nouvelle communauté. Entretenu, mis à jour, perpétuellement mis en avant, GTA V s’est adapté, dans le courant de son existence, à un marché du jeu vidéo encore inexploité par Rockstar, celui du jeu à service, qui alimente les joueurs de contenus sur un même jeu pour de longues années. En 2020, l’aventure GTA V n’est toujours pas finie, et des versions remasterisées pour les consoles de nouvelles générations, Xbox Series et PS5, sont annoncées pour 2021.
Désormais habitué à la démesure, le studio va, après la sortie de GTA V, poursuivre sur cette voie pour le développement de la suite très attendue : Red Dead Redemption 2. Certains chiffres donnent le tournis. Plus de 500 000 lignes de dialogues sont écrites pour un script de 2 000 pages, plus de 300 000 animations différentes sont capturées pour 2 200 jours de tournage en motion capture (à titre de comparaison, c’était 5 jours pour GTA 3) dans lesquelles interviendront 1 200 acteurs, dont 700 uniquement pour les dialogues. Malgré la controverse autour du développement du premier opus, les développeurs s’infligent probablement l’un des plus gros crunch de l’histoire de l’industrie, avec des semaines à plus de 100 heures de travail en fin de parcours.
Vous connaissez la suite, habituelle pour le studio. Red Dead Redemption 2 est considéré comme l’un des plus grands chefs d’oeuvre de l’histoire du jeu vidéo, à la fois pour l’incroyable réalisme visuel et sonore de son monde ouvert, toujours actif et toujours surprenant même après des centaines d’heures de jeu, mais aussi pour l’intelligence de son scénario et la profondeur de ses personnages, tous plus travaillés les uns que les autres.
Succès critique et évidemment commercial (il deviendra le jeu le plus précommandé de l’histoire de Fnac.com), ce sera la dernière grande contribution de Dan Houser, frère de Sam, et scénariste en chef de l’ensemble des succès du studio, puisqu’il a décidé de quitter l’entreprise en avril 2020. À moins bien sûr, qu’il n’ait eu le temps, avant de laisser son grand frère seul à la barre, d’écrire les centaines de milliers de lignes qui composeront à coup sûr, le prochain titre du studio, attendu par la planète entière, démesurément.