Décryptage

Qu’est-ce que le Speedrun ? Analyse d’une pratique du jeu vidéo compétitive

11 mars 2022
Par Valentin Boulet
Qu’est-ce que le Speedrun ? Analyse d'une pratique du jeu vidéo compétitive
©Nintendo

Derrière un principe très simple, qui consiste à terminer un jeu vidéo le plus rapidement possible, le Speedrun cache de nombreux codes et une culture complexe, qui rassemble une communauté fidèle et avide de partage. Découvrez les subtilités de cet univers méconnu, et pourtant si fondateur, du jeu vidéo compétitif.

Des championnats du monde de League of Legends aux plus grandes compétitions Fortnite, les images d’arènes bondées et hystériques devant les plus grandes stars mondiales du jeu vidéo n’en finissent plus de clôturer des JT et leur fameuse rubrique « nouvelle tendance ». Les sponsors s’arrachent les plus grandes équipes à coup de millions, les audiences se rapprochent doucement de celles du sport professionnel et des financiers en costume évoquent des marchés à plusieurs milliards sans n’avoir pourtant jamais touché au moindre jeu : l’esport se fait doucement une place dans la culture populaire et semble loin des clichés qui l’enfermaient il y a encore quelques années.

Mais en matière de jeu vidéo, la compétition ne concerne pas que les jeux compétitifs. League of Legends, Starcraft, Counter-Strike, tous sont pensés pour offrir les meilleures compétitions et récompenser les meilleurs joueurs. Mais alors que le jeu vidéo représente l’une des offres culturelle les plus vastes de la planète, ce genre de jeux bien spécifiques ne représente qu’une infime partie du catalogue. La très grande majorité des jeux ont pour simple objectif de faire passer au joueur un bon moment, la plupart du temps seul, et si possible, pour une durée de vie la plus longue possible. À moins que ce ne soit l’inverse ?

Définition du Speedrun

Comme son nom l’indique, le Speedrun est une course. Les speedrunners, puisque c’est ainsi qu’on les appelle, tentent de terminer l’ensemble des objectifs d’un jeu pour une run 100%, ou d’atteindre la fin du jeu sans pour autant avoir complété tout ce qu’il était possible de compléter, pour une run any%, le plus rapidement possible. En fonction des jeux, ces runs peuvent durer quelques minutes, ou plusieurs dizaines d’heures. La pratique demande donc énormément de concentration, de résistance à la pression et surtout une connaissance extrêmement profonde du jeu. Car c’est avant tout comme ça que le speedrun est né.

Il vous est peut-être déjà arrivé de terminer un jeu, sans pour autant avoir envie de le lâcher. Il n’y a pourtant plus rien à y faire et tous les objectifs sont remplis, mais après de si nombreuses heures à parcourir son univers, il est parfois difficile de faire le deuil de l’aisance de jeu acquise en cours de route. Alors on y retourne, pour se balader, découvrir plus en profondeur ce que les différents niveaux ont à offrir, voir s’il est possible d’atteindre cet objectif en s’imposant telle ou telle contrainte. Mieux, en cherchant bien, et notamment dans les jeux les plus anciens, on peut y découvrir des bugs, qu’on appelle des glitchs. Certains d’entre eux sont ensuite utilisables pour aller plus vite ou plus loin.

Mais à quoi bon s’imposer tous ces défis si ce n’est pas pour se confronter aux autres amoureux du même jeu ? Pire, à quoi bon acquérir une telle masse de connaissance si ce n’est pas pour la partager ? De ces deux constats sont nés le Speedrun, ses règles, ses compétitions et sa merveilleuse communauté.

On estime le début de la pratique au début des années 90 sur le jeu Doom, lorsque les premiers passionnés du FPS ont commencé à mettre en ligne leurs exploits qui consistaient à terminer le jeu plus vite que les autres, vidéo à l’appui. Depuis, sans leader ni directives, toutes les communautés des différents jeux se sont rapprochées pour bâtir une véritable discipline, régie par ses règles et minutieusement catégorisée.

Les différentes catégories de Speedrun

Si le speedrun en général peut-être divisé en plusieurs catégories, qui s’apparentent à des méthodes de jeu et d’enregistrement différentes, il est important de noter que chaque jeu a ensuite ses propres catégories, une nouvelle fois déterminées par la communauté, ou simplement par le game design.

Par exemple, le jeu Super Mario 64, sorti en 1996 et encore aujourd’hui parmi les jeux comptant la plus grosse communauté de speedrunner, peut être terminé de cinq façons différentes : la run 100% qui demande donc de récolter l’ensemble des étoiles du jeu (120), et plusieurs runs any%, dont une run à 70 étoiles, une run à 16 étoiles, une run à 1 étoile et même une run à 0 étoile, dont le record du monde est établi par l’Américain Dowsky en 6min 32sec 150ms à l’heure où sont écrites ces lignes.

Le single segment

Comme son nom l’indique, la catégorie single segment rassemble les runs réalisées d’une seule traite. Le joueur lance le jeu et ne l’arrête que lorsque cela-ci est terminé, qu’il s’agisse d’une run 100% ou d’une run any%. C’est probablement la catégorie reine, puisque la moindre erreur, même après plusieurs heures de mouvements réalisés à la perfection, peut venir tout détruire.

Les multi segment

Le multi segment permet de diviser une run en plusieurs segments, et d’obtenir ainsi de meilleures performances. La run finale sera un montage des différents segments exécutés. Ils peuvent d’ailleurs être exécutés par différents joueurs, à l’aise sur différents niveaux, afin de créer une run communautaire parfaite.

Les individuals levels

Lorsque les jeux sont découpés en niveaux, ce qui est de moins en moins le cas avec l’essor des mondes ouverts, certains speedrunners se spécialisent sur un seul niveau pour devenir le meilleur du monde. Il peut donc exister autant de records du monde sur un même jeu qu’il ne possède de niveaux.

Les tool-assisted speedrun

Catégorie un peu à part, le tool-assisted speedrun (TAS) permet l’utilisation d’émulateurs pour améliorer les runs. Ces outils peuvent par exemple permettre de faire défiler le jeu image par image, afin de réaliser des mouvements parfaits et très difficilement reproductibles par un joueur humain.

Les émulateurs peuvent aussi permettre de mieux repérer et exploiter les différents glitchs d’un jeu. Si à première vue cette catégorie peut paraître moins intéressante et plus proche de la triche qu’autre chose, le TAS permet aussi de mettre en place des stratégies, qu’il est ensuite possible de reproduire sans émulateur, en s’y essayant des milliers de fois, jusqu’à réussir le mouvement parfait au pixel et à l’image près.

La communauté des Speedrunners

Très discrète lorsqu’on la compare aux autres communautés du jeu vidéo, compétitif ou non, la communauté Speedrun bénéficie en revanche d’une excellente réputation. Entièrement fondée sur le partage et sur l’entraide, elle a aussi le mérite de continuer à faire vivre des jeux sortis il y a des dizaines d’années. Mais le rétro gaming n’est absolument pas une religion pour les Speedrunners, et chaque nouveau jeu peut susciter leur intérêt. Par exemple, à l’heure où sont écrites ces lignes, c’est le jeu Hades, un hack’n’slash dungeon crawler sorti il y a quelques semaines seulement, qui agite la communauté.

Mais au-delà de tout le savoir que cette communauté rassemble, organise et diffuse gratuitement sur internet, les Speedrunners sont aussi connus pour des événements caritatifs. Les plus connus d’entres eux sont les Games Done Quick. Deux fois par an, en tout début d’année avec l’AGDQ (Awesome Games Done Quick) et durant l’été avec la SGDQ (Summer Games Done Quick), les meilleurs Speedrunners de la planète se rassemblent lors d’un marathon caritatif afin de récolter des fonds, principalement pour Médecins Sans Frontières ou Prevent Cancer Foundation. Durant cinq jours, les meilleurs joueurs du monde enchainent les runs, les uns après les autres, chacun sur son jeu de prédilection, afin d’encourager les spectateurs sur Twitch à donner pour la bonne cause. Lors de l’AGDQ 2020, la communauté a par exemple levé un peu plus de 3 millions de dollars pour Prevent Cancer Foundation.

Née sur internet, c’est évidemment là que se retrouve la communauté Speedrun, à travers des milliers de forum, de vidéos YouTube et d’influenceurs, qui n’en finissent plus de partager des astuces et des méthodes pour aider les plus passionnés à progresser. Si vous souhaitez vous lancer, ne le faites que par amour pour un jeu. Car avant d’atteindre le graal des classement de Speedrun.com, l’ultime référence du genre, vous aurez besoin de plusieurs mois, voire de plusieurs années passées à jouer plusieurs heures par jour. Inévitablement, le speedrun est une question de temps.

Glitch, clip, frame… un peu de vocabulaire !

Comme toutes les communautés dans n’importe quel domaine, la communauté speedrun a ses propres codes et évidemment, son propre langage. Si une simple maîtrise de l’anglais peut permettre d’appréhender les termes les plus simples, ce n’est pas toujours le cas. Certains ont déjà été évoqués et expliqués dans cet article. Petit index des autres termes techniques utilisés dans le monde du speedrun.

PB : « Personal Best » désigne le record personnel d’un joueur.

WR : « World Record » désigne le record du monde.

Glitch : Un glitch est un bug, un défaut de programmation donc, qui peut être exploité pour améliorer sa run.

Zip : Le zip est une catégorie de glitch qui permet de téléreporter le joueur à un autre endroit du jeu. Ce sont la plupart du temps des mouvements de caméra précis qui permettent de déclencher (ou de « trigger ») le glitch.

Clip : Le clip est une catégorie de glitch qui exploite elle aussi le mouvement de la caméra pour passer au travers d’un mur ou d’un obstacle.

OOB : « Out of bounds » désigne tout ce qui se trouve en dehors des limites du jeu. Les joueurs exploitent un glitch pour que leur personnage se retrouve en dehors du cadre dans lequel il est supposé rester.

Frame et Frame Perfect : Une frame est tout simplement une image, au sens de l’image par seconde. On parle donc de frame perfect pour un mouvement qui demande d’être exécuté à une image précise.

Pause buffer : Appuyer sur le bouton pause à répétition pour arrêter le jeu à une certaine frame.

Death abuse : Mourir volontairement pour profiter des avantages que donne le jeu après une mort.

Menuing : Le speedrun se passe dans le jeu, mais aussi dans les menus. Certains jeux nécessitent de longs passages dans les menus au cours d’une run : on parle donc de phase de menuing.

À lire aussi

Article rédigé par
Valentin Boulet
Valentin Boulet
Conseiller fnac.com jeux vidéo et high tech
Sélection de produits