L’instant Lire à la Fnac : le rendez-vous de toutes les littératures à ne pas manquer. Baptiste Liger, directeur de la rédaction du magazine Lire Magazine Littéraire, partage ses conseils de lecture. Et si on jouait un peu, en cette rentrée, avec la littérature ? Allez, amusons-nous avec l’Oulipo.
L’Oulipo, un mouvement littéraire et ses contraintes
Baptiste Liger : »On présente souvent la littérature comme une affaire de sujet et même de gros sujet, de style aussi. Mais il ne faudrait pas oublier une vertu, une fonction essentielle de tous ces ouvrages que l’on peut avoir entre les mains, à savoir, celle de la possibilité de jeu, de l’amusement.
Et bien c’est ce que nous propose depuis des années un mouvement littéraire, un groupe, une école, enfin bon, eux-mêmes ne sont pas tout à fait d’accord sur la manière de se présenter. À savoir, l’Oulipo qui justement, met en avant un procédé a priori paradoxal, celui de la contrainte comme moteur de création. La contrainte, ça serait plutôt, à priori, une privation de liberté. Non, c’est exactement l’inverse pour les oulipiens. Il s’agit d’une certaine façon d’une barrière qu’il s’agit de franchir pour pouvoir être créatif, inventif et ça ils l’ont mis en pratique à travers quelques petits bijoux qui sont devenus tout simplement des classiques de la littérature française.
Les Exercices de style de Raymond Queneau qui est justement l’un des instigateurs, l’un des fondateurs de l’Oulipo, soit 99 fois la même histoire, mais pas tout à fait la même histoire.
La Disparition de Georges Perec. Il n’y a pas une lettre qui manque ? Bah si, le e. Georges Perec a fait un roman en lipogramme, c’est comme ça que ça s’appelle, sans utiliser une seule fois la lettre e. Essayez de bâtir ne serait-ce qu’une seule phrase sans utiliser une seule fois le e et vous allez comprendre la prouesse.
Dépassons aussi les frontières de l’Hexagone, en allant du côté de l’Italie avec Italo Calvino et ce qui est l’un de ses titres les plus célèbres, Si par une nuit d’hiver un voyageur, qui repose sur une série de débuts de roman pour constituer un roman. Avec une autre contrainte, celle du tu, et d’autres encore parce que oui, les règles, on peut les multiplier à travers une seule et même œuvre.
L’Oulipo aujourd’hui
Bon, ce n’est pas tout de se reposer sur un passé glorieux, encore faut-il se montrer en activité aujourd’hui. Et à tout seigneur, tout honneur, c’est Hervé Le Tellier, à savoir le président de l’Oulipo, car oui, ils ont un président, de se mettre au niveau et de donner le la avec son roman qui est certainement l’un des plus malicieux, l’un des plus jubilatoire de la rentrée, j’ai nommé L’Anomalie. Nous sommes dans un futur proche en compagnie des passagers d’un vol Paris – New York avec des individus parfois un peu caricaturaux, mais c’est volontaire. Il faut savoir aussi que tous ces personnages peuvent symboliser, d’une manière ou d’une autre, un genre littéraire. On a l’impression que Le Tellier, à travers ce livre, a voulu réunir tous les genres littéraires en un seul roman. Mais ça n’est pas la seule contrainte comme vous allez le découvrir dans la deuxième partie du livre de cette expérience littéraire assez ambitieuse et qui a beaucoup de choses à nous dire sur le monde d’aujourd’hui.
Mais bon, les règles il fait parfois savoir s’en affranchir. Ainsi, s’il ne fait pas officiellement partie de l’Oulipo, Jacques Perry-Salkow n’en est pas moins un cousin très proche. Il l’avait prouvé au mois de mars avec un roman écrit à quatre mains intitulé Sorel Éros. C’est un roman palindrome de 10001 lettres. Oui, oui, c’est un malade. Je me permets de le dire, il est chroniqueur à Lire Magazine Littéraire, alors… Mais ce bougre de Jacques Perry-Salkow excelle également dans un autre domaine, un autre jeu de lettres, à savoir celui des anagrammes. Illustration avec un récent recueil des aphorismes amoureux cosigné avec Laurence Castelain, intitulé tout simplement Anagrammes dans le boudoir.
Jouons un petit peu façon des chiffres et des lettres. Qu’est-ce qui peut se cacher derrière “langue de Molière” ? Allez, quelques secondes de réflexion. Voilà ce que Jacques Perry-Salkow a trouvé : “Langue de Molière” / “Le génie de l’amour”.
Mesdames, Messieurs, applaudissements, Jacques Perry-Salkow.
Bref, tous ces auteurs oulipiens ont entre autres pour mérite de nous rappeler que la littérature est une affaire de mots qui se croisent, pour ne pas dire, de mots croisés. »