Finaliste du Prix du Roman Fnac 2020 et deuxième roman de Brit Bennett, L’autre moitié de soi nous plonge au cœur d’une famille, à l’époque d’une Amérique encore fortement ségrégationniste. Comment savoir qui l’on est ? Comme devenir quelqu’un d’autre ? Comment vivre avec des blessures qui ne sont pas les nôtres ? Voici toutes les thématiques qu’aborde l’auteure dans un roman fort et passionnant.
À la recherche d’une identité
Quand Desiree et Stella se sont enfuies du foyer familial pour aller vivre une autre vie, loin de Mallard et de l’enfermement que confère une petite ville, elles étaient loin de se dire qu’elles allaient elles-mêmes se perdre, les deux jumelles qui l’une sans l’autre n’étaient pas jugées « entières ».
Mais si les petites villes lient les gens – et souvent bien malgré eux -, les grandes villes les séparent et les changent.
« « Tout ce qui t’attends là-bas, c’est un monde sauvage et sans pitié « , disait sa mère »
Plus tard, les jumelles deviennent des femmes. Et si Stella abandonne un beau matin sa sœur, partant construire sa vie de Blanche loin de ses origines noires, Desiree reste et forge sa vie future dans les bras de Sam, un homme aussi noir que l’ébène, qui l’aime autant qu’il la bat.
Ensemble, ils auront un enfant, Jude, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son père. Puis vient le coup de trop, celui qui fait prendre à Desiree la décision de quitter Sam et la grande ville pour revenir à Mallard auprès de sa mère avec laquelle elle n’a plus parlé depuis sa fuite à l’âge de seize ans.
« Elle ne pouvait pas abandonner sa mère une seconde fois. Elle espérait toujours que Stella réapparaîtrait un jour. Et même si elle ne revenait pas, elle se sentait plus proche d’elle au milieu des affaires qui lui avaient appartenu. »
Quant à Stella, elle a elle-même une fille, Kennedy, grande aux yeux bleus. Parfait si l’on se rappelle que Stella cherchait à fuir ses origines pour devenir Blanche dans une Amérique encore bien ségrégationniste. Riche et ne manquant de rien, vivant dans une villa sans le besoin de travailler, elle est pourtant malheureuse. Sans cesse obligée de mentir à son mari et sa fille, à fuir ceux qui pourraient reconnaître la peau noire sous sa peau clair, elle finit par devenir ceux qu’elle déteste : « On ne joue pas avec les Négros » dit-elle à sa fille lorsqu’elle voit celle-ci jouer avec la fille de leurs voisins noirs, les Walker. Partagées entre divers sentiments, elle finira par devenir la proche amie de Loretta Walker, voyant en elle sa sœur jumelle. Malheureusement, plus Kennedy grandissit et plus l’absence d’identité de sa mère déteint sur elle, les éloignant l’une de l’autre.
La quête de soi ou comment se réinventer ?
L’autre moitié de soi de Brit Bennett donne la parole à différentes voix : celles de Desiree et Stella, qui loin l’une de l’autre, se construisent des identités aussi différentes qu’elles se ressemblent physiquement ; et celle de Jude et Kennedy, qui grandissent avec les fêlures de leurs mères.
Toute son enfance, Jude souffrira de sa couleur de peau trop foncée et de l’absence de son père.
« D’une certaine manière, c’était à Stella qu’elle pensait : une femme qui ressemblait à sa mère, mais en mieux. Stella qui ne ferait rien pour énerver papa et l’obliger à la frapper. Elle ne réveillerait pas Jude en pleine nuit pour la forcer à prendre un train et la traîner dans une petite ville où les autres enfants se moquaient d’elle. »
Quand vient pour elle l’âge de partir, elle profite d’une bourse d’athlétisme de l’Université de Californie à Los Angeles, pour s’en aller loin de Mallard, des « Bébé de goudron », des « Jus de réglisse », des « Noiraude », des Lonnie qui l’insultent en public et la désirent en privé.
Passé ce chapitre, la Californie ouvre ses portes sur Reese, un transgenre qui fera battre son cœur et créera une brèche dans sa vie.
« « Quand j’étais petite […], je croyais que c’était juste la carte de notre côté du monde. Que l’autre face se trouvait sur une carte différente. Mon père m’a dit que c’était idiot. » […] Alors qu’elle regardait Reese passer le doigt sur la carte, elle se rendit compte qu’une part d’elle espérait toujours que son père s’était trompé, qu’une partie d’u monde restait à découvrir ».
elle s’ouvre aussi sur Kennedy, qu’elle croisera au hasard d’un petit boulot, découvrant par la même occasion Stella, la sœur jumelle de sa mère qui était jusqu’alors introuvable.
Si Kennedy grandit dans l’aisance que procure l’argent et une grande maison, elle développe très tôt des rapports conflictuels avec sa mère. Sur les traces de celle-ci, elle se cache derrière une identité qui n’est pas la sienne, se forgeant une carrure de fille indépendante, superficielle et rêvant de faire de l’acting, son métier. Incapable d’avoir des amis et de garder un copain très longtemps, Kennedy est en roue libre, seule et entourée du vide que créent les questions sans réponses : D’où viens-tu ? Comment était ma grand-mère ? Quelle était ta vie avant ? À tout cela, Stella préférera l’ignorance que la vérité.
Puis, la trentaine passée, Kennedy s’en va voyageant de pays en pays, indiquant à ses parents qu’elle part en quête d’elle-même. Presque toute sa vie, elle ne réussira jamais à se trouver réellement, déconstruite par les mensonges de sa mère…
Ce deuxième roman de Brit Bennett est finaliste du Prix du Roman Fnac 2020. L’auteure décrit avec un talent exceptionnel la recherche d’une identité, la création de celle-ci mais aussi la quête de l’identité sexuelle et les blessures familiales, celles qu’on porte et celles qu’on subit.
De la première à la dernière page, Brit Bennet nous plonge au cœur de cette famille sur des générations, ne nous laissant pas un instant respirer. À l’heure de refermer le livre, il est temps de dire au revoir à Stella et Desiree, à Jude et Kennedy, et de transmettre ce livre au plus grand nombre.
À lire avec âme, tendresse et ardeur.
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Parution le 19 août 2020 – 480 pages
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Lalechère
L’autre moitié de soi, Brit Bennett (Autrement) sur Fnac.com