Lassa, 1968, c’est une fois de plus durant la Révolution culturelle chinoise que Dai Sijie situe son dernier roman. Nous sommes dans l’enceinte du Potala, jadis palais du Dalaï-Lama, occupé par les gardes rouges. Bstan Pan, ancien peintre attaché au souverain, y est détenu et torturé. Durant des interrogatoires musclés ou sous forme de rêves, il évoque ses souvenirs d’une splendeur passée.
Échapper à la torture
Depuis la fuite du dernier Dalaï-Lama (le quatorzième) et l’arrivée des gardes rouges commandés par Le Loup, Bstan Pan vit une existence misérable et cherche à se faire oublier des troupes qui occupent et saccagent le Potala. Tout bascule quand Le Loup décide de faire avouer au vieil artiste des actes contre-révolutionnaires. Bstan Pan est alors jeté dans les prisons du monastère et torturé. Seuls le rêve et l’évocation de ses souvenirs lui permettent d’échapper aux souffrances physiques et morales que lui infligent ses bourreaux.
L’art des tankas
Dai Sijie nous fait revivre l’initiation de Bstan Pan auprès d’un maître, dès l’âge de 12 ans, ses progrès jusqu’à devenir proche du treizième Dalaï-Lama et à participer au choix de son successeur après sa mort. On découvre les techniques de la peinture sacrée bouddhique (tankas ou mandalas), l’importance des détails iconographiques pour des représentations très codifiées, de l’utilisation des pigments, minéraux ou végétaux, du choix des pinceaux… L’auteur n’est jamais avare de détails concernant cet art qu’il connait parfaitement.
Le rôle du peintre
Mais on comprend, à travers l’évocation des souvenirs de Bstan Pan, que le rôle du peintre officiel n’est pas uniquement d’ordre religieux et artistique. Le peintre de tankas fait office de scribe et de chroniqueur qui, par ses croquis ou peintures, rend compte d’événements, retranscrit des rêves, des idées, c’est tout un univers culturel que Dai Sijie nous fait découvrir. D’une certaine façon, le peintre fait parler les dieux, et comme le Tibet d’alors est une théocratie, ce talent rend le peintre proche du pouvoir.
Peut-être que certains lecteurs seront déroutés par l’érudition du propos. Il faut accepter de se plonger dans un monde inconnu, celui des nombreuses incarnations de Bouddha, un monde également peuplé de génies, de démons et de démones où les pouvoirs politique et religieux ne font qu’un, où le rêve est prémonitoire. Un monde aujourd’hui révolu.
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Parution le 3 septembre 2020 – 192 pages